ENTRETIEN. "C'est à la société de se demander si on n’est pas en train de fabriquer des hommes violents et des fem...


Dans son livre « Nos pères, nos frères, nos amis », il se questionne : pourquoi les hommes frappent et quelle est l’origine de la violence ? Entretien. 

Vous qui avez assisté à différents groupes de parole à travers la France, quel point commun peut-on établir entre les auteurs de violences conjugales ?

ENTRETIEN.

Le premier point commun, c’est que ce sont des êtres humains. Je suis volontairement dans la provocation en disant ça, mais c’est pour éloigner l’image de la figure monstrueuse des auteurs de violences. Quand on regarde les chiffres, on voit bien qu’ils sont trop nombreux pour être massivement des monstres manipulateurs assoiffés qui sillonnent nos rues pour attendre leur prochaine victime. Ce sont des gens tout à fait normaux, dans le sens où ils sont, dans l’immense majorité d’entre eux, bien insérés dans notre société, avec des cercles d’amis, des parents, des enfants, des collègues de bureau. Ce sont des gens qui nous ressemblent et me ressemblent. Et c’est la première chose qui m’a frappé quand je suis arrivé dans ces groupes, car j’avais moi aussi l’image de l’homme violent serait forcément un peu bas de plafond – en tout cas plus bête que moi, moins éduqué. Et ce n’est pas ce que j’ai rencontré. 

« Bien que les violences conjugales touchent énormément de femmes et d’hommes, il n’y a qu’une infime partie des auteurs présumés qui ont à répondre de leurs actes devant la justice »

Car bien que ces violences touchent énormément de femmes et d’hommes, il n’y a qu’une infime partie des auteurs présumés qui ont à répondre de leurs actes devant la justice. Là, je n’étais pour le coup pas face à un échantillon représentatif des hommes violents, puisque j’étais seulement face à ceux qui avaient été condamnés. Et donc, statistiquement, ce sont des hommes qui sont plutôt représentatifs d’un milieu socio-économique plutôt bas. Les avocats, les médecins, les chefs d’entreprise, bien qu’ils soient tout aussi violents, statistiquement ce n’est pas eux que l’on retrouve en prison. 

D’ailleurs dans votre livre vous affirmez qu’en France il est plus aisé de condamner un individu pauvre pour ces faits de violences qu’un individu aisé. Selon vous, comment cela s’explique ?

Nous avons tous des préjugés et nous sommes face à une justice d’êtres humains. En France, ce sont des hommes et des femmes qui jugent et qui prononcent les condamnations. Et on en a toujours plus de sévérité à condamner quelqu’un qui est au chômage ou qui travaille en intérim qu’un médecin généraliste ou un cadre supérieur. Ce sont des faits et cela ne concerne pas uniquement les violences conjugales, mais la justice dans son ensemble.

« Dans certains cercles, on peut verrouiller les lèvres de celles qui devraient porter plainte ou qui pourraient porter plainte »

En revanche, ce qui peut différencier sur la question des violences conjugales, c’est que si vous êtes plutôt pauvre, que vous habitez dans une tour HLM et que vous frappez votre femme, vous avez de grandes chances que vos voisins du dessous et du dessus soient au courant et que l’un d’eux prévienne la police. En revanche, que si vous habitez dans une maison, en zone pavillonnaire, il est possible que vous exerciez votre violence sans que cela ne gêne les voisins.

Ensuite, il y a aussi le poids de la honte sociale. Dans certains cercles, on peut verrouiller les lèvres de celles qui devraient porter plainte ou qui pourraient porter plainte. Et ça, c’est aussi quelque chose qu’il faut prendre en compte. 

Vous cherchez à comprendre d’où vient la violence. Vous finissez par établir deux principaux facteurs, lesquels ?

Le premier facteur est l’idée, qu’en tant qu’être humain, on répète ce qu’on a vécu, on apprend en imitant, en observant les comportements de nos parents, de nos frères et sœurs, de nos voisins. Et donc, forcément, si on est exposé très tôt à la violence, c’est un comportement qu’on va apprendre et banaliser. Tout en sachant, qu’il y a aussi un effet très très puissant de marqueur du cerveau. La violence, c’est quelque chose qui sidère, qui traumatise, et donc être exposé très jeune à cela laisse des traces. Tous les travaux sur la mémoire traumatique le montrent.

La deuxième réponse, c’est tout simplement les vestiges du patriarcat : une domination masculine qui est à l’œuvre depuis des millénaires et qui aujourd’hui encore a des répercussions dans notre société et notamment dans le couple. C’est, en gros, la croyance – qui était encore extrêmement majoritaire il y a quelque temps -, du « chef de famille » qui induit forcément une hiérarchie entre l’homme et la femme. Celle-ci serait soumise à son mari qui, lui, aurait quasiment le droit de vie et mort sur les membres de sa famille, les enfants compris. C’est d’ailleurs pour ça, qu’il y a encore quelques décennies, on avait des martinets à la maison, qu’à l’école les punitions corporelles étaient autorisées et que la violence sur son conjoint était quelque chose de presque acceptée.

Aujourd’hui, on est en train de remettre en question ce modèle, mais il y a encore une grande prégnance dans ces comportements-là. Notamment chez les plus âgés, mais aussi chez les jeunes qui ont mon âge et qui ont grandi dans une société contaminée par ce patriarcal là, avec des préjugés sexistes et des comportements immédiatement liés à une notion de virilité : les hommes ne doivent pas pleurer, ne doivent pas exprimer leurs sentiments, doivent tout garder en eux et être capables de répondre au mépris et au manque de respect par les coups. Et donc, même si vous n’avez jamais connu la violence à la maison, si vous n’avez jamais vu votre mère se faire traîner par les cheveux par votre père et que lui-même ne vous a jamais frappé, si vous êtes un mec et que vous êtes hétéro, vous avez quand même été exposé à ces préjugés-là et cela laisse des traces. 

Votre livre s’intitule « Nos pères, nos frères, nos amis ». Pourquoi avoir choisi ce titre ?

Il est facile de ne pas se sentir concerné par les violences conjugales en pensant que ça n’arrive qu’aux autres. Et je parle pour les femmes comme pour les hommes. Quand je commence à travailler sur la question, je ne suis pas du tout un expert, et je réalise rapidement que ça touche des hommes qui me ressemblent et qui ont grandi à peu près en suivant les mêmes injonctions à la masculinité. Je pense qu’il est facile de ne jamais se poser la question de savoir si on a un jour exercé ou pas un rapport de domination avec les femmes de notre entourage. Quand on fait le test et qu’on commence à scanner nos 20 ou 30 dernières années en se demandant si on a été « clean » à ce niveau-là, je pense qu’on serait nombreux les hommes, qui n’ont a priori rien à se reprocher puisqu’ils n’ont jamais été inquiétés par la justice,  reconnaître qu’on a déjà exercé un rapport de domination sur une femme de notre entourage.

« Changer ces hommes violents, les déconstruire comme on dit maintenant, ça implique une prise de conscience globale »

Ces questionnements-là, j’aimerais qu’on se les pose parce que les chiffres de ceux qui passent à l’acte sont énormes. Et les chiffres de ceux qui pensent n’avoir aucun problème le sont aussi. Alors que ces comportements sexistes, ce rapport d’inégalité, sont encore extrêmement répandus. « Nos pères, nos frères, nos amis » parce que ça ne touche pas systématiquement l’autre. Et même, ça nous concerne nous aussi au premier abord, parce que changer ces hommes violents, les déconstruire comme on dit maintenant, ça implique une prise de conscience globale, des femmes comme des hommes.

La manière dont on éduque nos petits garçons et nos petites filles, les valeurs qu’on leur transmet, les stéréotypes qu’on leur donne dès le plus jeune âge. En fait, ça va très vite entre votre premier petit amoureux et les coups quand vous vous mettez vraiment en couple au sortir de l’adolescence. Bien entendu, ce n’est pas en suivant quelques groupes de parole que l’on réglera le problème, mais en se posant la question de manière globale. C’est à la société de se demander si on n’est pas en train de fabriquer des hommes violents et des femmes battues.

Nos pères, nos frères, nos amis. Dans la tête des hommes violents, de Mathieu Paulain, 237 pages, éditions Les Arènes, 20 €.