Interview. Violences aux élus : "Il faut plus de moyens pour la justice", clame Jean-Philippe Dugoin-Clément


Par Julie Bossart
Publié le 17 Mai 23 à 8:36 

Voir mon actu
Suivre Actu Paris

Interview. Violences aux élus :

Jean-Philippe Dugoin-Clément, maire de Mennecy, dans l’Essonne, confie avoir lui-même été victime d’une attaque ciblée, mais se refuse à raccrocher l’écharpe. (©Vincent Isore / MAXPPP)Des maires en colère. Mercredi 10 mai 2023, Yannick Morez, le maire de Saint-Brevin-les-Pins, en Loire-Atlantique, annonçait avoir demandé au préfet de Loire-Atlantique d’accepter sa démission, motivée par l’agression dont il avait été victime dans l’exercice de son mandat. Un acte loin d’être isolé, et que dénoncent depuis de nombreuses années les élus locaux. Parmi eux, Jean-Philippe Dugoin-Clément.Alors que Yannick Morez doit être reçu ce mercredi 17 mai par Élisabeth Borne, le premier magistrat (UDI) de Mennecy (Essonne) et vice-président de l’association des maires d’Île-de-France (Amif) revient pour actu Paris sur un phénomène exponentiel et révélateur d’une « société à cran ». Il livre aussi des pistes concrètes pour l’enrayer.Actu : Quelque 2 265 plaintes et signalements en 2022, contre 1 720 en 2021. Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, dévoilés début 2023, les violences verbales ou physiques contre des élus ont augmenté de 32% en un an. En février, l’Observatoire de l’AMF faisait état d’une augmentation de 15% de ces violences à l’encontre des élus locaux, plus précisément, avec environ 1 500 agressions. Quelle est la situation à l’échelle francilienne ? Jean-Philippe Dugoin-Clément : Je ne peux pas vous fournir de données localisées. Ce que je peux vous dire, en revanche, c’est que, en 2018-2019, l’Amif avait déjà réalisé une étude, qui montrait une augmentation extrêmement forte des agressions et des menaces envers les élus. En tout cas, 70% des répondants, donc ceux dont on pouvait penser qu’ils étaient déjà sensibilisés à la question, disaient en avoir déjà fait l’objet. Je peux aussi vous citer une foule de cas personnels : les attaques contre Stéphanie Daumin, maire [PCF] de Chevilly-Larue [Val-de-Marne] en 2020, tout récemment, l’agression d’un adjoint au maire d’Athis-Mons [Essonne] ou le harcèlement contre Stéphane Blanchet, maire [DVG] de Sevran [Seine-Saint-Denis]. Que disent ces attaques de notre société ? : Il y a de cela dix, quinze ans, les tensions étaient localisées sur les secteurs dits difficiles. Aujourd’hui, c’est partout. Ces tensions ont lieu dans des secteurs aussi bien ruraux qu’urbains, et la personne qui déverse sa bile ou sa violence n’est plus le « voyou » qu’on décrivait, mais peut être aussi bien le père de famille que la maman isolée. Ce que l’on constate, à l’Amif, c’est que l’on est dans une société qui est de plus en plus à cran, où il y a de plus en plus de menaces, d’incivisme et d’agressions sur tout ce qui peut, à un moment ou à un autre, représenter une contrainte ou ne pas donner satisfaction. Donc, d’une certaine manière, ce qui peut représenter une forme d’autorité. C’est vrai des élus locaux, comme ça l’est des enseignants, des forces de l’ordre, des pompiers, des personnels soignants…Selon vous, quel en a été le tournant ? : Parmi les facteurs que l’on perçoit, en tant qu’association d’élus locaux, ce sont les confinements liés au Covid-19. Le premier [du 17 mars au 11 mai 2020] a donné lieu à un craquage généralisé. L’autre source, selon moi, qui a démultiplié ce phénomène, ce sont les réseaux sociaux. L’anonymat de façade, ou non, qu’ils confèrent aux auteurs de raids fait qu’il y a chez ces derniers un sentiment d’impunité. À cela s’ajoute une absence de poursuites pénales. Il n’y en a presque jamais. Dans ce contexte, les haters passent au stade suivant qui sont les attaques matérielles ou physiques. Début avril, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, indiquait que le nombre de maires ayant démissionné depuis le début de leur mandat en 2020 s’établissait à 1 293, une moyenne de 40 par mois « comparable » au mandat précédent. Avez-vous déjà songé à raccrocher l’écharpe ? : J’aime ce que je fais et, par nature, je ne plie pas. Mais j’ai déjà subi deux incendies de voiture, dont un qui a failli emporter une partie de ma maison. Il y a eu des dépôts de plainte, il ne s’est jamais rien passé, sauf que j’en ai été de ma poche avec les assurances et que j’ai dû déménager parce que ma femme et mes enfants étaient traumatisés. Des outils législatifs existent pour enrayer cette violence. La dernière loi en date, du 24 janvier 2023, étend la possibilité des élus municipaux de se constituer partie civile à d’autres élus (départementaux, régionaux, parlementaires) et associations, ainsi que pour d’autres violences*… : Oui, c’est vrai, cette loi permet aux associations de porter plainte à la place des élus eux-mêmes. Mais vous imaginez s’il faut qu’une association comme l’Amif, qui n’a que 8 collaborateurs, aille suivre des centaines de contentieux, parce qu’il y en a autant à l’échelle de l’Île-de-France ? Vidéos : en ce moment sur ActuLe Code pénal prévoit, lui, dix ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende en cas de menaces, violences ou intimidations à l’encontre d’une personne investie d’un mandat électif public… : Il faut dire les choses : les parquets sont saturés. Il y a des mois d’instruction pour un citoyen lambda qui s’est fait casser la figure près de chez lui par 5 bandits. Et puis, allez trouver des élus locaux qui ont réussi à obtenir des condamnations pour injures ou menaces sur Internet… Alors, sauf à être sur des phénomènes extrêmement graves, ils n’essaient même plus de porter plainte. Outre l’impuissance face à des gens qui agissent en toute impunité, il y a le sentiment d’isolement : quand on vit dans de petites communes, il n’y a pas de police municipale, il n’y a pas de services, ni d’avocats…. Quand on en trouve un, ça prend du temps, de l’argent… Peut-on parler d’une faillite du service public ? : Non, je parlerais plutôt de non-adaptation à un monde qui change extrêmement vite. On ne parle pas de l’uberisation de la société pour rien.Ce sentiment d’impunité dont vous parliez, contribue-t-il à la désacralisation du mandat de maire ? : Oui, totalement. Vous êtes l’élu à portée de baffe, comme dirait Gérard Larcher, mais au premier sens du terme [en 2015, face aux élus de l’Indre, le président du Sénat lâchait que « les maires sont ceux qui sont à portée d’engueulade de leurs administrés. Cela veut bien dire que ce sont des élus de proximité irremplaçables »]. Son sénateur, pas un Français ne sait qui sait, et vous ne le voyez pas. À la limite, le député peut prendre un peu, mais là, c’est très politique, c’est parce qu’il y aura une pression sur le vote de la réforme avec une attaque de permanence. Quand vous êtes élu local, vous êtes quasiment tous les jours en schéma de présence et de pression, vous êtes un déversoir d’une partie de l’agressivité de la population. Dominique Faure, ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales, a annoncé mi-mars la création d’une « cellule d’analyse et de lutte spécifiquement dédiée à la lutte contre les atteintes aux élus ». Comment cette annonce-t-elle été prise à l’AMF, qui dispose déjà d’un tel outil, en l’occurrence l’Observatoire des agressions envers les élus ?  : Dans ce pays, quand on ne sait pas quoi faire, on fait un comité Théodule [qui a peu ou pas d’utilité], une sous-commission ou un groupe de travail. Que préconisez-vous ? : Aujourd’hui, sauf à être ministre, figure nationale de tel ou tel mouvement, voire président de la République, rien ne se passe. L’Intérieur a recensé 2000 plaintes, mais on est sur l’écume de la vague. Ce recensement a-t-il donné lieu à des plaintes ? Combien de plaintes ont-elles donné lieu à des poursuites ? Combien de ces poursuites ont-elles donné lieu à des condamnations ? Si on veut vraiment protéger les élus, au-delà, n’importe quel dépositaire d’une autorité ou d’une mission de service public, c’est une tolérance zéro, plus de moyens pour la justice, des consignes au parquet pour passer tout ce qui est délit mineur en contraventionnel pour que ça aille vite et une aggravation des peines sur les agressions d’élus quand on est sur des attaques physiques et aux biens. Cela diminuerait l’engorgement des tribunaux, les procédures seraient beaucoup plus rapides et elles feraient beaucoup plus mal. Quand vous avez une majoration sur une amende 4e ou 5e catégorie, ça peut être beaucoup plus dissuasif qu’une procédure pénale qui va mettre quatre ans à, éventuellement, ne pas aboutir.Loïc Hervé, sénateur centriste, a rappelé sur Public Sénat qu’il y a « des mesures de droit pénal à prendre, mais qu’il y a aussi des mesures de prévention ». C’est-à-dire ? : Honnêtement, quand vous êtes élu d’un village de moins de 3000 habitants, que vous percevez 1500 euros par mois en bossant comme un chien, en vous faisant insulter quotidiennement sur Internet, et qu’on vous propose une formation avec le GIGN pour apprendre à réagir le jour où vous avez des types de 2 m qui débarquent dans votre bureau… On le fait, parce qu’on peut le faire, mais on reste dans un monde fou. Et on ne répond pas aux problèmes de fond. Des élus se rassemblent, comme dans le Tarn (pas plus tard que lundi 15 mai 2023), pour dire stop aux violences. Prévoyez-vous de tels rassemblements en Île-de-France ? : Des rassemblements, il y en a eu. Tant qu’il n’y aura pas de réponses extrêmement fortes face aux violences, elles continueront.Yannick Morez sera à Paris ce mercredi 17 mai 2023. Il doit être reçu par la Première ministre, Élisabeth Borne, et entendu par la commission des lois du Sénat. Comptez-vous le rencontrer ? : Je n’irai pas le voir, car je ne pourrai pas pour des questions d’agenda. Indépendamment des couleurs [politiques], des valeurs, des projets défendus, je suis totalement solidaire avec lui. Cet homme a été attaqué, traumatisé, je n’ose pas imaginer ce qu’a subi sa famille. C’est absolument scandaleux. J’espère que ça servira à quelque chose, mais, il y a trois ans, c’était un maire qui était dans un cercueil au cimetière [en 2019, un jeune maçon écrasait Jean-Mathieu Michel, le maire de Signes, dans le Var, venu l’empêcher de se débarrasser de ses gravats dans une décharge sauvage].* Jusqu’ici, le code de procédure pénale visait seulement les cas d’injures, d’outrages, de diffamations, de menaces ou de coups et blessures. Il vise désormais tous les crimes et délits contre les personnes et les biens, aux atteintes à l’administration publique, ainsi qu’aux délits de presse. Suivez toute l’actualité de vos villes et médias favoris en vous inscrivant à Mon Actu. Chaque semaine, recevez dans votre boite mail l’actualité politique en France vue des régions. Inscrivez-vous par ici, c’est gratuit !