L’entreprise albertaine Pieridae Energy reporte sa décision sur le sort qu’elle réservera à son projet d’usine de production de gaz naturel liquéfié Goldboro LNG, en Nouvelle-Écosse. Les groupes écologistes estiment toutefois que le geste signe l’arrêt de mort du projet, qui aurait vu la construction d’un nouveau gazoduc dans plusieurs régions du sud du Québec.
Les promoteurs de Goldboro LNG souhaitent construire dans les Maritimes des installations qui permettraient de produire chaque année cinq millions de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL) destinées à l’exportation par navires vers l’Allemagne.
Puisque Pieridae Energy compte liquéfier du gaz albertain, le transport du gaz jusqu’à l’usine nécessiterait l’utilisation du réseau de gazoducs Trans Québec et Maritimes (TQM), qui appartient à TC Énergie (anciennement TransCanada). Il transiterait donc par un gazoduc qui traverse l’est de l’île de Montréal, puis une partie de la Montérégie et de l’Estrie, avant de franchir la frontière américaine. Il passe notamment dans les secteurs de Sainte-Julie, Granby, Bromont, Magog et Coaticook.
Un projet estimé à 10 milliards de dollars
Le projet, qui a soulevé des critiques de la part des groupes environnementaux, pourrait toutefois ne pas voir le jour. Dans une déclaration écrite transmise aux médias, Pieridae Energy a en effet indiqué que, malgré les « énormes progrès » réalisés, « toutes les conditions clés nécessaires pour prendre une décision finale d’investissement » n’ont pas été réunies.
Les contraintes financières et de temps liées à la pandémie auraient rendu la réalisation du projet impossible dans sa « version actuelle », peut-on lire dans la déclaration.
Dans ce contexte, l’entreprise souhaite que son projet puisse aller « dans une nouvelle direction ».
Pieridae Energy estime néanmoins que ce projet d’usine de liquéfaction de gaz naturel demeure pertinent en raison de la demande en Europe, des prix sur le marché et de sa volonté de récolter l’appui des différents gouvernements.
L’entreprise n’a précisé ni quand elle prendra une décision quant à l’avenir du projet ni la forme que celui-ci pourrait prendre.
Elle n’a pas non plus répondu aux questions du Devoir sur ce projet estimé à 10 milliards de dollars et qui pourrait être appelé à prendre de l’expansion pour produire jusqu’à 10 millions de tonnes de GNL chaque année. À titre de comparaison, GNL Québec prévoit une production annuelle de 11 millions de tonnes à son usine du Saguenay.
Le début de la fin ?
Aux yeux des groupes opposés au projet Goldboro LNG, la déclaration de l’entreprise signe l’arrêt de mort du projet gazier.
« Les dominos tombent de plus en plus vite. Bientôt, aucun investisseur privé ou public ne voudra toucher aux projets de combustibles fossiles, même avec un bâton de 10 pieds. Ce n’est plus qu’une question de temps avant que toutes les nouvelles infrastructures de combustibles fossiles soient abandonnées », a commenté le porte-parole de Greenpeace, Patrick Bonin.
« Nous sommes très heureux de constater que le projet est essentiellement annulé. Nous restons tout de même vigilants si jamais d’autres projets d’agrandissement du pipeline Trans Québec et Maritimes voyaient le jour », a pour sa part souligné Guillaume Loiselle, co-porte-parole du Collectif Goldboro parlons-en, qui a mobilisé les opposants au projet en Estrie.
Le gouvernement fédéral n’a pas souhaité commenter le dossier lundi.
« Nous sommes au courant du fait que Pieridae a repoussé son projet Goldboro LNG. Il s’agit d’une installation de GNL qui a été proposée à la province de la Nouvelle-Écosse. Aucun projet de pipeline connexe n’a été déposé auprès de la Régie de l’énergie du Canada.
S’il est déposé, un processus d’évaluation équitable et rigoureux aura lieu », a simplement indiqué le cabinet du ministre des Ressources naturelles, Seamus O’Regan, dans une réponse écrite au Devoir.
La question des gazoducs
La réalisation du projet en Nouvelle-Écosse implique en effet la construction d’un nouveau gazoduc au Québec afin de transporter le gaz naturel en provenance de l’Ouest canadien vers le Portland Natural Gas Transmission, situé en sol américain, puis vers le Maritimes & Northeast Pipeline, et enfin à l’usine de Goldboro.
La conduite actuelle du réseau de gazoducs TQM a été terminée en 2001 et elle mesure 217 kilomètres.
En plus du fleuve Saint-Laurent, plusieurs cours d’eau se trouvent sur son tracé, dont la rivière Richelieu. La conduite traverse également plusieurs milieux naturels, dont des zones boisées, ainsi que des routes.
Or, selon le service des affaires publiques de TQM, la « capacité opérationnelle » du gazoduc existant est de « 320 millions de pieds cubes par jour », soit 40 % des besoins quotidiens de la future usine de Goldboro.
L’entreprise ajoute que « la capacité physique réelle du pipeline peut parfois être supérieure à la capacité opérationnelle », en fonction de différents facteurs, mais sans préciser d’ordre de grandeur.
Selon les données de la Régie de l’énergie, le flux quotidien de gaz naturel n’a jamais excédé 350 millions de pieds cubes par jour depuis 2006. Or, selon Pieridae Energy, la première phase du projet consisterait à liquéfier chaque jour 800 millions de pieds cubes de gaz.
Démarches de lobbying
Le gouvernement Trudeau a fait l’objet de plusieurs démarches de lobbying de la part de Pieridae pour le projet Goldboro LNG au cours des derniers mois. Le registre fédéral des lobbyistes fait état de « communications », notamment dans le but de « sécuriser un soutien fédéral » pour le projet. Selon des informations inscrites dans un document interne de Pieridae Energy diffusé par des opposants au projet, l’entreprise souhaitait obtenir 925 millions de dollars de la part du fédéral.
Ottawa a signé plus tôt cette année un « partenariat énergétique » avec l’Allemagne, un pays qui serait l’acheteur du gaz naturel liquéfié produit par l’usine de Goldboro. Dans le cadre de ce partenariat, le GNL est présenté comme faisant partie du développement de « l’énergie propre », dans un contexte de lutte contre la crise climatique.
Après la publication d’un texte du Devoir portant sur le projet Goldboro en avril dernier, le premier ministre François Legault avait affirmé que le gouvernement du Québec était ouvert au projet Goldboro LNG.
M. Legault a toutefois indiqué qu’un tel projet doit permettre « une réduction » des gaz à effet de serre à l’échelle internationale.
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