Interview. Montpellier. Alenka Doulain : "Ce sera un moment de clarification important pour la suite"


Par Cédric Nithard
Publié le

16 Mar 24 à 17:40
 

Interview. Montpellier. Alenka Doulain :

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L’option prise par la Métropole de Montpellier d’installer une filière CSR comme réponse au traitement de ses déchets a provoqué une crise politique, dont on mesurera les impacts réels, au-delà des postures, lors du conseil de métropole du mardi 2 avril. Une situation qui semble conforter Alenka Doulain comme principale protagoniste de l’opposition. Tirant comme à son habitude à boulets rouges sur la politique menée par Michaël Delafosse, elle place aujourd’hui les élus de la collectivité, et notamment les écologistes de la majorité, face à leurs responsabilités sur un sujet aussi important écologiquement qu’économiquement pour le territoire. Un choix qui aura, quoi qu’il arrive, des conséquences politiques pour la suite du mandat et les municipales à venir.Cela fait plusieurs mois que vous alertiez François Vasquez et la majorité quant à vos doutes sur la mise en place de la stratégie Zéro déchet. Quels sont vos sentiments aujourd’hui ?Effectivement, depuis mars 2022, quand il y a eu la délibération sur la stratégie Zéro déchet, j’ai alerté sur le fait qu’il s’agissait d’un plan sans planification avec de belles promesses mais sans moyen financier et humain. De plus, personne ne parlait des refus et de ce que l’on en faisait. Ce qui me frappe le plus sur le conseil du 2 avril avec la fameuse délibération sur la DSP Ametyst, c’est que, sur un sujet aussi important, Michaël Delafosse dit « j’assume », mais finalement, il place cette délibération au fin fond d’un avenant d’une DSP. En fait, il n’assume rien parce qu’il sait très bien que le choix qui est fait aujourd’hui est dicté par les lobbies des déchets. Il sait très bien que ce choix hypothèque la stratégie Zéro déchet en nous conduisant vers toujours plus de déchets. Et, surtout, il sait très bien qu’il n’y a pas eu d’alternative étudiée, sérieuse, avec un vrai travail. Donc, aujourd’hui, c’est évidemment un scandale démocratique et écologique avec une stratégie Zéro déchet qui n’a pas été mise en place sur Montpellier. Michaël Delafosse n’a rien d’un écologiste. Personnellement je ne suis pas surprise, mais je pense que cet épisode est un point supplémentaire qui atteste de ce fait.Quelle est votre position sur la filière CSR ?Le CSR est une aberration. Aujourd’hui, cette vision qui consiste à considérer les déchets comme une ressource est un chemin vicieux et pernicieux car il vise à figer une production de déchets. Ceci étant dit, bien sûr qu’il faut trouver une solution locale à nos refus, car quelque soit le scénario, que ce soit celui de François Vasquez ou de Michaël Delafosse, il y a finalement des refus qu’il faut traiter. Je suis contre l’export de ces refus à l’autre bout de la région.Des refus qu’il faut donc traiter localement. C’est à dire sur la Métropole de Montpellier ?C’est là où, pour moi, il y a d’autres alternatives possibles. Mais, aujourd’hui, quand vous êtes élu métropolitain, il n’y a aucun scénario chiffré et comparé. C’est là où je dis que c’est un cadeau pour le lobby industriel des déchets. Il n’y a pas eu de vrai débat démocratique du sujet. Quels sont les autres alternatives que tout le monde doit bien avoir en tête ? Le premier scénario est de créer un partenariat avec les autres intercommunalités voisines qui elles ont des incinérateurs et verront leur tonnage baisser. Le deuxième scénario c’est de faire un incinérateur. Un troisième serait de faire de l’enfouissement. Il y a plusieurs solutions possibles. Cette décision est prise aujourd’hui par ceux qui ont créé les problèmes et qui ne font pas l’évaluation de ce qui a été fait dans le passé. Pour moi, c’est irresponsable que sur un sujet aussi important, qui nous coûte autant d’argent public et constitue la principale hausse de la fiscalité locale, et évidemment d’un point de vue écologique, que cette décision soit prise à la hâte, en catimini, dans le dos d’un vice-président. Cela témoigne d’une gouvernance qui est tout sauf apaisée et, à nouveau, d’un cadeau à un groupe industriel privé. Des groupes qui ont l’air de faire leur loi sur notre territoire. À ce titre-là, je crois que ce choix et cette délibération sont entachés de ces scandales. C’est navrant car, dans le passé, sur les déchets, de nombreuses décisions désastreuses ont été prises et on continue dans cette voie. On est au pied des murs et les élus qui sont aujourd’hui aux manettes, même s’ils font comme s’ils étaient nouveaux, alors qu’ils sont le fruit d’un système qui a pris des décisions calamiteuses, ne prennent pas leurs responsabilités et ne mettent pas de la méthode. C’est donc un scandale démocratique criant.Vidéos : en ce moment sur ActuQue pensez-vous de la position de René Revol. Ce n’est pas le plus dangereux des capitalistes et pourtant il se montre favorable à cette solution CSR ?J’ai évidemment échangé avec lui sur ce sujet. Ce qui m’étonne, c’est que sur un sujet aussi structurant que la Régie publique de l’eau, il a fait ça avec méthode, démocratie, concertation… en ayant objectivé et chiffré ses choix pour que cette décision soit prise en conscience et aussi pouvoir faire de ce moment un choix collectif porté par l’ensemble des élus de ce territoire. Là, c’est tout l’inverse qui est fait. Que l’on ait aujourd’hui des débats sur les options possibles, bien évidemment, mais rien que sur la méthode, je suis en désaccord. Et je m’étonne que René Revol suive Michaël Delafosse sur cette gestion désastreuse et la délibération du 2 avril. C’est ma position, après que Michaël Delafosse mette la pression sur ses vice-présidents et que sa gouvernance soit très proche de celle de Philippe Saurel, je ne suis pas étonnée. Je pense qu’aujourd’hui que les conditions ne sont pas réunies pour qu’il y ait un vote dans de bonnes conditions le 2 avril.Une fois le constat posé, la période qui s’est ouverte avec la mission d’informations (visite sur le terrain des élus, auditions…), ne va pas permettre ces bonnes conditions ?Bien sûr que non ! Déjà cette mission a lieu parce que François Vasquez a eu le courage de démissionner en disant qu’un projet était fait dans son dos et que cela allait hypothéquer la stratégie Zéro déchet sur Montpellier. C’est donc grâce à cette pression que Michaël Delafosse s’est senti dans l’obligation de mettre en place une pseudo touche de transparence sur cette décision mais un mois ce n’est pas suffisant pour étudier différents scénarios, commanditer des études sérieuses et que l’ensemble des options soient mises sur la table. Les sujets autour de ce CSR sont importants avec des enjeux sanitaires, écologiques et économiques. Aujourd’hui, personne n’est capable de donner un chiffrage de ce CSR, combien il va coûter et quelles sont les décisions qu’il va hypothéquer. Je pense qu’il faut bien comprendre ce que ce CSR hypothèque de la stratégie Zéro déchet par un engagement budgétaire conséquent, tant en termes financier que d’exploitation. C’est donc de l’argent qui ne pourra pas être mis sur une vraie stratégie Zéro déchet qui consiste à trier à la source. De fait, ce CSR va nous rendre dépendant à la production de déchets qui ne sont pas souhaitables c’est à dire les refus de Déméter et les encombrants. En gros, tous les meubles de mauvaise qualité que l’on aimerait aujourd’hui qu’ils ne soient plus produits ou réparés dans des ressourceries. Toutes ces options vont être « sabotées » et « sabordées » par ce choix de CSR. Pour moi, la problématique principale est que les conditions ne sont pas réunies, car il n’y a pas eu de scénario présenté et chiffré dans le cadre de la Métropole. Le premier débat contradictoire s’est déroulé à La Carmagnole, ce n’est pas normal. Je dis aux autres élus du conseil de Métropole qu’il faut peser de tout notre poids pour dire que les conditions ne sont pas réunies et qu’il faut malheureusement décaler cette décision. Que l’on nous dise que l’on est au pied du mur et qu’il faut prendre cette décision maintenant comme s’il y avait une urgence qui n’avait pas été préparée, cela en dit long sur l’impréparation et l’incompétence de ces gens.Selon vous que faudrait-il donc mettre en place pour avoir un débat démocratique serein ?On pourrait imaginer d’impliquer les citoyens, et je pense que c’est important, en faisant une convention citoyenne. On pourrait imaginer un référendum sur ce sujet. Il y a plein d’outils utilisés aujourd’hui sauf peut-être pour les sujets les plus importants pour le territoire. Ce sujet montre une nouvelle fois qu’il s’agit d’une gouvernance solitaire, isolée, autoritaire et cela doit nous inquiéter pour la suite. Il faut absolument bloquer cette décision du 2 avril, demander à auditionner plus d’experts et à avoir un vrai travail sérieux de contre-propositions chiffrées.Pour vous, la stratégie Zéro déchet, telle qu’elle avait été présentée par François Vasquez en mars 2022, aurait pu régler la question du traitement des déchets sur la Métropole de Montpellier ?Pour la gestion des refus, François Vasquez met sur la table un partenariat avec les incinérateurs de Sète et Lunel-Vieil qui sont à moins de 50km. C’est une option intéressante sur le principe. On n’est pas capitale européenne de la culture, mais on peut peut-être travailler en partenariat sur les sujets aussi importants que les déchets. L’orientation de François Vasquez était de diminuer nos déchets au global et évidemment d’améliorer la part de biodéchets. S’il dit qu’il n’a pas eu les moyens, c’est qu’il ne les a pas eu. On le sait, François Vasquez était là pour cette cause, s’il a aujourd’hui le courage de rappeler à Michaël Delafosse sa promesse, je pense qu’il faut écouter ses alertes. C’est dommage que cela se fasse au pied du mur, au moment d’une décision aussi structurante, mais je comprends ses alertes. Il faut aujourd’hui que ses propositions mais aussi celles portées par d’autres puissent être écoutées, chiffrées et débattues.Sur le plan politique, comment expliqueriez-vous qu’à l’issu de cette séquence, votre groupe MUPES ne grossisse pas ?De facto, s’ils ne siègent plus dans la majorité, François Vasquez et Véronique Ribot (ndlr : les deux sont EELV) rejoignent l’opposition. Nous sommes effectivement en dynamique, on a constitué un groupe au conseil municipal et il faut rappeler que nous avons trois députés NUPES (ndlr : Sylvain Carrière, Nathalie Oziol et Sébastien Rome) à l’Assemblée nationale pour relayer à Paris ce qu’il se passe sur Montpellier. Cette force est réelle et, nous l’avons dit depuis le début du mandat, nous ouvrons effectivement nos bras et les portes à ceux qui veulent travailler à une alternative en 2026. Par contre, l’alternative doit se faire autour d’un projet clair et de rupture par rapport au modèle proposé par Michaël Delafosse. Nous restons sur cette ligne car, et nous l’avons dit sur d’autres sujets, Michaël Delafosse n’a rien d’un écologiste et qu’en plus de mépriser l’écologie, il méprise les écologistes. Aujourd’hui, il faut construire la suite.Est-ce que selon vous cette séquence ouvre les municipales ?C’est en tout cas un moment de clarification pour les élus qui siègent dans cette majorité et qui avaient peut-être crus pouvoir peser de l’intérieur. C’est un moment où ils sont face à leurs responsabilités. Et ceux qui resteront alors qu’ils sont contre ce CSR, qui resteront dans cette majorité parce qu’ils veulent sauver leur poste, cela se verra le 2 avril. Il faut aujourd’hui être clair. Soit ils sont là pour défendre une écologie de rupture et pas de petits pas, dans quel cas il faut rejoindre l’opposition, soit ils sont là pour défendre un système et jouer les faire-valoir ? La situation aujourd’hui a le mérite d’être très claire. C’est à chacun de faire son choix en son âme et conscience.Vous attendez quoi précisément de ce conseil de Métropole du 2 avril avec à la fois la délibération sur Ametyst et le vote du budget ?Ces deux votes sont bien sûr très importants. Je ne peux pas prédire ce qu’il va se passer. Je connais le style de gouvernance de Michaël Delafosse, la pression qui sera mise sur les élus, le chantage aux délégations des vice-présidents… J’espère un report de la délibération, car les conditions ne sont pas réunies et, a minima, un vrai débat le jour J. C’est une décision importante, on parle de millions d’euros injectés et de la manière dont on traite nos déchets sur le territoire, on ne peut pas faire ça à la va-vite. Comme je disais précédemment, je pense que ce sera un moment de clarification important pour la suite.Sur le budget, vous avez appelé Michaël Delafosse à avoir un politique keynésienne. Que feriez-vous différemment ?Michaël Delafosse n’a rien d’un Keynésien. Les projets mis en place aujourd’hui dans la Métropole sont des projets prévus de longue dates, comme la ligne 5 de tramway ou les bustrams qui sont attendus depuis longtemps par la population.Ce ne sont pas des investissements suffisamment structurants selon vous ?Aujourd’hui, il faut lancer la suite, car cela ne suffira pas pour répondre aux problématiques de mobilité sur le territoire. De nombreux habitants sont sans solution et sont « obligés » d’utiliser leur voiture. Il faut relancer l’étoile ferroviaire, répondre à l’enjeu des fréquences sur les lignes du réseau, certaines lignes de bus sont les parents pauvres de ce réseau… Pour mener à bien toutes ces politiques, à la fois lancer les études pour les futures lignes et répondre aux problématiques urgentes de ceux qui utilisent ce réseau, il faut mettre le paquet. Mais on a fait des choix budgétaires démagogiques qui ne permettent pas de répondre aux besoins. Nous portons et poussons par exemple pour un vrai plan de développement du solaire à Montpellier qui permettrait à la fois de réduire sa facture énergétique mais aussi de soutenir l’économie locale avec un tissu de TPE et PME sur ce sujet. Ce qui est fait aujourd’hui n’est pas du tout à la hauteur du gisement solaire de cette métropole. Finalement, l’écologie de Michaël Delafosse, c’est l’écologie de la Macronie. On fait des effets d’annonce, des pistes cyclables… mais il n’a pas compris que l’écologie c’était planifier les déchets,  notre dépendance énergétique et alimentaire et que pour cela il faut de la méthode et mettre les moyens. Et il faut surtout arrêter de penser que c’est le privé qui va tout résoudre sur notre territoire. Des cadeaux ont été faits à JC Décaux, à Suez, avec ce qu’il se dessine pour le nouveau stade… on a l’impression que ceux qui décident sur notre territoire ce sont de grands groupes privés avec des élus qui ont très peu de vision et qui, selon moi, ne prennent pas soin des quartiers de Montpellier et continuent toujours dans cette politique d’attractivité pour grossir toujours plus. Ce modèle montre aujourd’hui très clairement ses limites.Sur le problème qui touche actuellement les crèches c’est aussi selon vous un manque de planification et d’accroissement de la population ? Comment peut-on résoudre ce problème ?Déjà dire aux parents qui n’ont pas de solution de place en crèche ou de garde, que la politique de Michaël Delafosse ne va pas résoudre leur problème. Il y a effectivement clairement un manque de planification sur ce service de la petite enfance et on a un maire qui insulte ses agents, alors qu’il y a une commission parlementaire qui vient d’alerter quant au développement de l’offre privée, qu’elle soit associative ou lucrative, sur la petite enfance qui pose de grandes questions. On livre la prise en charge de nos tout-petits à une lecture privée des choses et donc des logiques d’optimisation. Ce sont des logiques qui n’ont rien à faire dans ce domaine et malheureusement Michaël Delafosse va continuer, en en changeant le nom, sur ce modèle de gestion. Par ce fait, il insulte les agents du service public qui font tourner ces crèches en leur disant qu’ils coûtent trop chers et ne sont pas efficaces. Je pense à toutes ces assistantes puéricultrices qui sont débordées dans nos crèches, avec pour conséquence aujourd’hui qu’un tiers de nos crèches sont en réduction d’horaire et demandent aux parents de faire des efforts. Et tout ça, car on n’arrive pas à recruter, à prendre soin de nos agents, à valoriser des métiers faits par des femmes… ce qui amène à la situation que l’on connait aujourd’hui, où tout le monde est perdant. Les agents qui s’occupent de nos enfants, les parents et au final les tout-petits. Je crois que c’est très révélateur de la vision au rabais du service public de Michaël Delafosse, une vision très libérale, proche de la Macronie finalement et qui, sur un secteur aussi essentiel, montre tous les jours ses limites.Une question peut-être un peu stupide sur le sujet, vous êtes devenue mère durant votre mandat, est-ce que cela a changé quelque chose dans votre manière de voir ou faire de la politique ?Évidemment d’être parent cela renforce votre perception que pour dans dix, vingt ou trente ans, il faut changer notre monde. J’avais déjà cette conviction, mais cela la renforce encore plus. De se projeter sur des échelles lointaines, cela n’a pas changé grand chose mis à part qu’aujourd’hui rien n’est fait pour permettre à une femme de conjuguer un congé maternité et des mandats électoraux. La maire de Poitiers Léonore Moncond’huy (EELV) a justement pointé cette problématique récemment. Cela montre une nouvelle fois un décalage de la représentation des élus et de la population, car il est très important d’avoir une diversité d’élus et que ce ne soient pas que des retraités ou des fonctionnaires. Il est donc important d’avoir de vrais débats sur ces sujets.Comme vous le réclamiez depuis longtemps, Mohed Altrad a démissionné de son mandat au conseil de Métropole mais pas au conseil municipal. Qu’en pensez-vous ?Nous demandions la démission de l’ensemble de ses mandats, car il n’a pas le temps de siéger. Cela reste évidemment notre ligne, on l’a demandé à plusieurs reprises, et on s’étonne que les autres conseillers municipaux et notamment monsieur le maire, ne porte pas le message simple, que pour siéger il faut être présent lors des conseils. Je montre tous les jours mon implication dans des mandats d’opposition qui ne sont pas faciles, mais on a besoin d’élus sur le terrain qui soient les porte-voix des habitants et de ceux qui ne sont pas représentés dans l’hémicycle. C’est ce à quoi je m’emploie tous les jours avec Flora Labourier et Clothilde Ollier.https://cdn.logora.com/embed.html?shortname=actu-867591&id=13806&resource=groupSuivez toute l’actualité de vos villes et médias favoris en vous inscrivant à Mon Actu.