Éreutophobie : d’où vient la peur panique de rougir ?


Lorsqu’elle est en compagnie de ses proches, Alexandrine est une jeune femme comme les autres. Un peu réservée, certes, mais son comportement n’a rien d’inhabituel. En revanche, dès qu’elle est en poste, cette hôtesse de l’air perd tous ses moyens. Ou presque. Sa hantise ? Virer à l’écarlate devant un passager. Tant qu’elle distribue les plateaux-repas, tout se passe bien. Affairée, la trentenaire n’a pas le temps de penser à autre chose. En cas de rougeurs inopinées, elle sait même qu’elle peut se tourner vers son chariot et feindre de ranger les canettes de jus de fruit. Mais si quelqu’un appuie sur le bouton d’appel, son niveau de stress atteint illico des sommets. Alexandrine craint de ne pas savoir répondre à la demande. Bref, de ne pas être à la hauteur. Elle imagine déjà son visage s’embraser et n’a qu’une envie  : trouver une excuse bidon pour qu’une collègue aille renseigner le monsieur ou la dame à sa place.À lire >> Olivia, haptophobe : « Je ne supporte pas qu’on me touche »

Qu’est-ce que l’éreutophobie ?

Alexandrine est atteinte d’éreutophobie, qui est la peur obsédante de rougir en public. Pas parce qu’il fait chaud, mais parce qu’on a ressenti une émotion forte, qu’elle soit positive ou négative. Cette phobie, entre anxiété sociale et TOC, se développe souvent à l’adolescence et peut vite se transformer en calvaire. « L’éreutophobe est terrorisé à l’idée de parler devant une assemblée, explique la psychiatre Christine Mirabel-Sarron, mais il appréhende aussi nombre de situations de la vie de tous les jours, comme celle de tendre sa carte de fidélité à la caissière du supermarché. »

Éreutophobie : d’où vient la peur panique de rougir ?

D’où vient l’éreutophobie ?

Un peu d’anatomie pour commencer. Le rougissement du visage est dû à un afflux de sang dans les petits vaisseaux présents sous la peau, qui se dilatent lorsque l’organisme sécrète de l’adrénaline pour répondre à un stress. Ce phénomène, incontrôlable, est normal – tout le monde rougit, même si cela ne se repère pas forcément sur les peaux mates –, mais il est plus ou moins important en fonction des individus.A l’origine de cette peur de rougir, il y a souvent un sentiment de honte que l’on a éprouvé soi-même, ou vis-à-vis d’un membre de sa famille dans une situation gênante (un parent alcoolique, par exemple). Un épisode traumatique, comme une humiliation, peut aussi avoir marqué la mémoire. « Il se peut encore que vous ayez un jour rougi face à quelqu’un, non pas à cause de lui, mais simplement parce que vous étiez à ce moment-là en hypoglycémie ou un peu grippé, poursuit le professeur Mirabel-Sarron. Il n’empêche  : vous avez ressenti une telle sensation de vulnérabilité que vous avez associé vos feux aux joues à la présence de personnes, connues ou inconnues ».Loin de ne concerner que les tempéraments timides, l’éreutophobie touche ceux qui ne supportent pas l’idée d’être différents des autres, de se sentir regardés, d’être jugés négativement. Et de perdre le contrôle à une époque où il faut sans cesse maîtriser ses émotions et paraître sûr de soi.

Quels sont les symptômes de l’éreutophobie ?  

Comme pour toutes les phobies, le premier des symptômes est l’évitement. L’éreutophobe a tendance à fuir les situations qui font naître son trouble. Il fait donc tout pour ne pas se confronter aux autres, quitte à rester cloîtré chez lui. Autant dire que son quotidien en pâtit. La dépression n’est parfois pas loin. A 46 ans, Fabien n’a quasiment pas d’amis et sa vie sentimentale est aussi plate qu’une départementale landaise. Pour qu’on lui adresse le moins possible la parole au bureau, cet analyste financier s’est même construit un personnage distant et hautain. Mais cette solitude lui pèse.Si la rencontre avec autrui ne peut être esquivée, elle déclenche une angoisse très forte, accompagnée de sueurs, de tremblements, de palpitations, ainsi qu’une hyper-focalisation sur soi pour tenter d’arrêter, ou du moins de dissimuler – derrière une mèche de cheveu, par exemple – le fard aux joues. Hélas, plus on y pense et plus on rougit.

Solutions et traitements de la peur panique de rougir

Pour se libérer de cette peur, il faut commencer par dédramatiser la situation et assumer son émotivité qui, somme toute, reste une qualité humaine appréciable et plutôt touchante, si on en croit les réactions qu’elle déclenche. « Tu rougis ? C’est trop mignon  ! » Ces deux phrases, l’éreutophobe les connait par cœur, même s’il ne les comprend absolument pas.Certaines disciplines, comme le yoga, la relaxation ou la méditation, qui permettent de se concentrer sur l’instant présent, peuvent aider à accroître la confiance en soi. Le théâtre et la chorale sont également de bons moyens pour s’exercer à s’exprimer en public.Quand leur éreutophobie devient trop handicapante, certains vont parfois jusqu’à se faire ôter le nerf sympathique qui, entre autres, dilate les vaisseaux du visage. Mais cet acte chirurgical entraîne des effets secondaires non négligeables, comme l’hypersudation.« Le mieux est de se tourner vers les thérapies cognitivo-comportementales (TCC), glisse Antoine Pelissolo, chef du service psychiatrie de l’hôpital Henri-Mondor de Créteil. Elles consistent à apprendre au patient à déplacer son attention, à ne plus être aussi concentré sur lui, mais davantage sur son interlocuteur. » Le thérapeute préconise de poursuivre le travail en dehors des consultations en s’entraînant, par exemple, à se focaliser sur les bruits ambiants lorsqu’on est dans la rue ou dans un lieu public.L’objectif de cette thérapie n’est pas de faire disparaitre les rougissements, mais de les atténuer jusqu’à ce qu’on y prête quasiment plus attention.

Possibilité de prise en charge et guérison

L’éreutophobie se soigne plutôt bien. Une quinzaine de séances chez un psychothérapeute, ou chez un psychiatre, dont les consultations présentent l’avantage d’être prises en charge, suffisent en général à habituer le patient au regard de l’autre et à diminuer sa peur de prendre la parole en public.Pousser la porte d’un cabinet de psychiatrie pour ne plus trembler avant de décoller ? Alexandrine y réfléchit sérieusement. Elle comprendrait ainsi qu’il est tout à fait possible de dire à un passager qu’on n’a pas la réponse à sa question, mais qu’on va se renseigner et revenir au plus vite vers lui, sans avoir à perdre tous ses moyens.