Personne ne l’appelle le « Mozart de la finance ». Il n’a pas de baguette, ni de superpouvoirs pour dénicher de « l’argent magique », n’est ni banquier ni trader. Il n’a jamais été président de la Cour des comptes. Et encore moins ministre du Budget.
Et pourtant, quand il chausse ses lunettes, Éric Bocquet trouve des milliards d’euros partout. « Il est faux de dire que la France vit au-dessus de ses moyens. Nous n’avons jamais produit autant de richesses. Elles sont là, sous nos yeux. La question, c’est de créer le rapport de force pour aller les récupérer et enfin les redistribuer », insiste le sénateur communiste du Nord qui, après treize années d’intenses mandats, a décidé de passer la main, ce 31 octobre.
Mais où sont donc ces milliards ? « Quatre-vingts à 100 milliards d’euros échappent à l’impôt chaque année en France à cause de la fraude fiscale. On parle de 1 000 milliards d’euros annuels à l’échelle de l’Europe. Notre déficit n’est pas creusé par notre modèle social, mais par les multinationales et les ultrariches qui font sécession et refusent de participer au pot commun », assure l’élu qui a œuvré avec rigueur à mettre en lumière « cette ingénierie très fine située au cœur de la machine capitaliste ».
Avec son frère Alain Bocquet, ancien député PCF, Éric s’est lancé sur les traces des Gafam, a mené une commission d’enquête parlementaire et coécrit deux livres : Sans domicile fisc (2016), et Milliards en fuite ! (2021). « La fraude fiscale existe, on le sait, mais les gouvernements refusent de la combattre réellement », indique celui qui a réalisé un tour d’Europe des paradis fiscaux, puis un tour de France pour les dénoncer. « Une expérience d’éducation populaire passionnante » qui a porté ses fruits, la lutte contre la fraude fiscale devenant peu à peu une revendication populaire, notamment au cœur des gilets jaunes.
Un « militant de l’impôt juste »
Très vite, Éric Bocquet ressort sa calculette. « Il y a 465 niches fiscales qui coûtent 94,2 milliards par an sans qu’on ne mesure leur utilité. Les aides au monde économique sont de 180 milliards chaque année, la plupart du temps sans condition… On marche sur la tête. Et selon la Cour des comptes, nous avons perdu 62 milliards d’euros en 2023 à la suite des allègements fiscaux. Qu’avons-nous gagné à la place ? »
À rebours des cadeaux d’Emmanuel Macron aux plus riches, Éric Bocquet défend les prélèvements publics. « Je suis un militant de l’impôt juste, progressif, équitable et auquel personne n’échappe. S’il n’y a pas d’impôt, il n’y a pas de société, pas de services publics, pas de solidarité. Sans impôt, c’est le règne du marché, des inégalités et du privé », argumente-t-il. Avant d’ajouter que l’impôt est « un pilier de notre souveraineté financière à rebâtir ».
Le sénateur est aussi intarissable sur la question du déficit : « On se fait rouler dans la farine avec cette histoire de dette. Cette année, on va rembourser 55 milliards d’euros d’intérêts aux marchés financiers. Ce sera 72 milliards d’euros en 2027, soit le produit actuel de l’impôt sur le revenu. Qu’est-ce que cela veut dire ? Que nos impôts ne serviront qu’à engraisser les marchés plutôt qu’à construire des écoles et des hôpitaux ? Depuis 1979, nous sommes à plus de 1 300 milliards d’euros d’intérêts versés aux marchés. Il est là, le véritable boulet qui nous empêche de répondre à l’urgence sociale et climatique ! » alerte-t-il.
L’ancien professeur d’anglais précise très vite que « le problème n’est pas d’emprunter pour investir pour notre avenir, mais que notre dette est détenue par les marchés, alors que d’autres solutions existent. Il faut sortir de cette tutelle et retrouver notre souveraineté budgétaire ».
Pour ce faire, Éric Bocquet assure que « la Banque centrale européenne pourrait financer à taux zéro les emprunts des États. De plus, l’épargne des Français est de 6 000 milliards d’euros, soit deux fois notre dette. Pourquoi ne pas imaginer un grand emprunt national pour mener à bien la transition écologique, sous forme de bons du Trésor ? Voilà qui pourrait faire société ».
Transmettre le flambeau
L’ex-maire de Marquillies (Hauts-de-France) souligne au passage qu’en 1945, la dette de la France était de 160 % du PIB. Vingt ans plus tard, elle n’était plus que de 20 %. « À l’époque, on n’a pas fait d’austérité, au contraire, on a développé le pays. Il faut faire pareil aujourd’hui. Il faut rompre avec une dette qui sert à justifier les privatisations et la casse des services publics pour renouer avec une dette vertueuse. »
À l’entendre parler avec passion d’un sujet qu’il maîtrise du bout des doigts, on se demande bien pourquoi Éric Bocquet passe la main. « J’ai 67 ans, sourit l’intéressé. Ce n’est pas un âge canonique au Sénat et les collègues me demandent » mais tu es malade ? » Non ! Je vais très bien. Mais je veux passer le témoin aux plus jeunes. Je sais qu’Alexandre Basquin (son successeur – NDLR) fera du très bon boulot, et moi, je compte continuer à militer. » Pour aller chercher les sous où ils sont, à tous les échelons.
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