Eric Lindros : une transaction qui a ébranlé la LNH


Si le début de la saga Eric Lindros, voilà 30 ans, a causé tout un émoi, ce n’était rien en comparaison du dénouement, un an plus tard. Le 20 juin 1992, au repêchage à Montréal, les Nordiques échangeaient deux fois plutôt qu’une leur premier choix récalcitrant de l’année précédente, aux Flyers et aux Rangers. 

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Les principaux acteurs de cette mégatransaction qui a tourné au cirque reviennent aujourd’hui sur ce moment qui a façonné leurs équipes respectives.

Eric Lindros : une transaction qui a ébranlé la LNH

Vers 10 h 30 le matin du repêchage, les Nordiques et les Flyers s’entendaient verbalement sur les bases d’une transaction. Environ 80 minutes plus tard, branle-bas de combat : l’échange Lindros survenait plutôt avec les Rangers. Il aura finalement fallu sortir l’avocat torontois Larry Bertuzzi de son chalet pour mener une séance d’arbitrage qui s’est étalée pendant cinq jours sous haute tension, au terme de l’interrogatoire de 11 témoins et de la rédaction de 400 pages de notes.

Un appel clé

Entre les deux transactions, les Flyers avaient obtenu la permission des Nordiques de contacter Lindros pour vérifier son intérêt à jouer à Philadelphie. 

Les Nordiques avaient accepté de donner son précieux numéro de téléphone seulement quand ils considéreraient le marché comme conclu. C’est l’élément clé que l’arbitre a retenu pour finalement octroyer Lindros aux Flyers.

 

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« On peut dire que c’est l’échange le plus fou de l’histoire en raison de tout ce que ça impliquait et de la manière dont ça s’est fait. C’est aussi cet échange qui a mené à des changements de règlements pour que tout soit mieux structuré. À cette époque, on s’entendait sur un échange et on se serrait la main, sans qu’il y ait approbation par la ligue.

C’était une situation loufoque, qui a été rendue encore plus loufoque par tout le processus d’arbitration », confie au Journal le directeur général des Flyers à l’époque, Russ Farwell.

« Le matin du repêchage, tout a explosé quand nous étions convaincus d’avoir conclu un échange, mais Aubut prétendait que la transaction avait eu lieu avec les Rangers. C’était la confusion totale.

On n’avait même pas notre propre avocat sur place pour nous défendre parce que sa femme était en train d’accoucher. Il est venu nous rejoindre seulement quelques jours plus tard. C’était le chaos ! » enchaîne-t-il.

 

Vive déception

Pour son homologue Neil Smith, qui jouait le même rôle chez les Rangers, de longs mois d’efforts tombaient à l’eau.

« Toute la saison, je parlais à Pierre Pagé et à l’agent de Lindros pour savoir ce qui se passait en coulisses. Les Nordiques tenaient à garder Lindros jusqu’au repêchage à Montréal.

 

Les partisans de Québec ne s’étaient pas gênés pour narguer celui qui avait refusé de s’aligner à Québec.

On m’a dit d’attendre avant de l’annoncer et que les Flyers allaient déposer un grief.

À ce stade, je n’étais plus d’humeur et j’ai dit : Parfait, je m’en fous ! »

« Sauf que lorsque j’ai entendu la décision de l’arbitre quelques jours plus tard, j’étais sous le choc. On avait travaillé si fort pour que l’échange se réalise. À New York, c’était la manchette et j’étais terriblement déçu », raconte celui qui a été directeur général des Rangers de 1989 à 2000.

Une relation fragilisée

Autant Farwell que Smith n’hésitent pas une seconde à dire que cette transaction, avec tout le cirque autour, a manifestement contribué à rendre la relation avec les Nordiques et principalement Marcel Aubut beaucoup plus tendue par la suite. « Tout avec lui prenait l’allure d’un cirque. Les choses devaient toujours être faites différemment, parfois de façon bizarre », peste Neil Smith.

 

« Après cet échange, le lien de confiance était brisé. C’était un peu comme se présenter chez un concessionnaire pour acheter une Ferrari, en proposant 50 000 $ et qu’il accepte. Quand tu reviens avec ton argent pour payer, il te répond qu’il est désolé, mais qu’il a vendu la voiture pour le même prix à quelqu’un d’autre.

Penses-tu vraiment que tu retournerais une seule fois dans ta vie voir ce concessionnaire ?», image-t-il.

Même si les Flyers ont finalement remporté le derby Lindros, Farwell mentionne que l’organisation en a néanmoins tenu rigueur à Aubut.

« Nous avions la conviction d’avoir conclu l’échange.

Nous avons accepté de payer le prix et avons obtenu la permission de parler à Eric. Nous l’avons appelé et il voulait jouer à Philadelphie, mais il était confus parce qu’on lui avait dit qu’il avait été échangé aux Rangers. Nous nous sommes sentis trahis.

On nous a menti durant les négociations. La famille Snider a définitivement trouvé qu’Aubut avait ambitionné et la relation a été plus tendue par la suite », affirme-t-il.

Ce fut d’ailleurs la dernière transaction, mais non la moindre, avec les Flyers dans l’histoire des Nordiques.

Un premier match mémorable au Colisée

Entre les affiches « Bébé Lindros » et « Boss Bonnie », l’accueil réservé à Eric Lindros pour son premier match à Québec dans l’uniforme des Flyers, le 13 octobre 1992, n’avait rien de tendre. Des mois de tension se relâchaient dans ce qui s’est avéré l’une des soirées les plus survoltées de l’histoire du Colisée.

Les partisans échaudés, qui brandissaient la suce par milliers en symbole de dérision et dont plusieurs étaient vêtus d’accoutrements de bébé, n’ont pas manqué de faire sentir leur présence, bien avant la rencontre.

« L’échange nous avait aidés à passer à autre chose plus rapidement, sauf qu’on n’a pas oublié toute la saga quand on a joué contre lui », sourit l’ancien gardien Stéphane Fiset. « Durant l’échauffement, j’étais habitué de voir du monde un peu partout dans le Colisée. C’était la première fois que j’embarquais sur la glace et qu’il n’y avait personne derrière mon filet.

Les gens étaient tous dans l’autre zone avec leurs pancartes, leurs suces et toutes sortes d’affaires. Après le match, l’autobus des Flyers a eu de la misère à quitter le Colisée. Les gens s’étaient attroupés et l’avaient brassé », ajoute-t-il, toujours incrédule.

Comme en séries

Pour souligner les premiers pas de Lindros dans la LNH au Colisée, les Nordiques avaient eu gain de cause au compte de 6-3. Mike Ricci, obtenu dans la transaction, avait inscrit deux buts, et Steve Duchesne, lui aussi acquis contre Lindros, avait marqué le sien. 

Le méchant de la soirée avait touché la cible deux fois dans une cause perdante.

« C’est impossible d’oublier une soirée comme celle-là, avec toutes les suces sur la glace ! C’était comme une atmosphère de séries. Il y avait les joueurs francophones qui en avaient contre Lindros et tous les gars comme moi que les Flyers avaient échangés et qui voulaient prouver que c’était une erreur. Il y avait pas mal d’énergie », indique Duchesne.

« Au moment de l’échange, les gars m’appelaient et me posaient des questions sur la grosseur de la ville, le froid et les impôts parce que j’étais le seul Québécois impliqué dans l’échange. Ils ont rapidement compris qu’on allait avoir une maudite grosse équipe. On se parlait et on n’en revenait pas du prix payé par les Flyers pour Lindros », continue-t-il.

Une victoire haut la main

Steven Finn n’est pas prêt non plus d’oublier l’ambiance électrique et il a vite été d’avis que les Nordiques n’avaient pas seulement battu les Flyers sur la glace, mais aussi dans la transaction.

« C’était un match très émotif pour Lindros, nous autres et les gens de Québec. C’était lui contre nous et les 15 000 partisans dans les estrades.

« Mais c’est fou ce qu’on a obtenu en retour. Peter Forsberg un pour un, les Flyers ne le referaient pas aujourd’hui. On a eu un pur-sang qui s’élevait quand l’enjeu devenait plus gros », évalue le défenseur, à qui plusieurs donneront raison.