Éric Mouzin, le père d’Estelle, disparue le 9 janvier 2003 sur le chemin de l’école, continue de se battre pour faire reconnaître les manquements de l’État lors de l’instruction. Il dénonce le « délai » et « l’absence d’instruction efficace », qui aurait pu faire retrouver la dépouille de la fillette.
Publié le 23/07/2024 10:22
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Éric Mouzin, le père d’Estelle, disparue en 2003 et toujours pas retrouvée. (SANDRINE ETOA ANDEGUE / RADIOFRANCE)
Le 19 décembre 2023, après trois semaines de débats éprouvants devant la cour d’assises des Hauts-de-Seine à Nanterre, Monique Olivier est reconnue coupable de complicité dans les enlèvements, suivis de meurtres de Marie-Angèle Domèce, Johanna Parrish et Estelle Mouzin. À l’issue du procès, Éric Mouzin, le père d’Estelle, enlevée à Guermantes le 9 janvier 2003, décrit ce nouveau face-à-face avec l’ex-épouse de Michel Fourniret ainsi : « Je n’ai pas vu la moindre émotion sur le visage de l’accusée. C’était particulièrement éprouvant de voir et de toucher cette absence d’humanité. On ne se souvient plus des noms, on ne se souvient plus des lieux. On confond les victimes… »
Monique Olivier a été condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité dont 20 ans de sûreté. Et si elle a livré des détails effroyables sur les conditions de l’enlèvement de la fillette, elle n’a rien dit de concluant sur le lieu où se trouve sa dépouille. Ce que la famille d’Estelle espérait tant. Éric Mouzin se bat inlassablement depuis plus de 20 ans et ce n’est pas fini, ce qui l’occupe aujourd’hui, c’est sa plainte contre l’État pour faute lourde.
« On voit bien que ce n’est pas fini. Les interrogations que nous avons sont très présentes dans notre mémoire, confie-t-il, et en même temps, elles sont mises de côté pour faire en sorte qu’on continue à vivre le mieux possible, afin que l’enlèvement d’Estelle et son assassinat ne soient pas une source de décomposition de nos vies. On s’est vraiment efforcé pendant toutes ces années de ne pas laisser la mort rentrer en nous. Ça a été un combat permanent, mais je pense que nous y sommes arrivés ». Avec sa femme Dominique, qu’il a épousée en 2008, « véritable pillier de la famille », et avec les frères et soeurs d’Estelle, ils ont fait en sorte de continuer à vivre malgré tout et « de profiter de tout ce que nous pouvions. Et ce n’est pas parce que nous faisons ça qu’Estelle n’est pas présente dans nos pensées et dans notre affection, même si elle n’est pas là, bien sûr. »
La plainte contre l’État engagée en 2018 avance bien, informe Éric Mouzin. Les avocats de la famille d’Estelle depuis toujours du cabinet Seban, ont envoyé leurs conclusions au représentant de l’État. Cette procédure, « c’était un mouvement de ras-le-bol quand on constatait avec les avocats le nombre de dysfonctionnements des services d’enquête et de justice pendant toutes ces années. Le procès nous a fourni un nombre considérable d’informations qui justifient encore plus notre démarche. »
Il dit s’être rendu compte que « pendant toutes ces années-là, on aurait pu aller beaucoup plus vite. Les juges d’instruction et les services d’enquête sont passés à côté d’éléments très importants, qui ont abouti à prolonger la durée de l’instruction. Jusqu’au point où, quand Michel Fourniret finit par passer aux aveux, il commence déjà à être dégradé mentalement et ses propos sont très flous. Il meurt pendant l’instruction, donc l’action s’éteint et sa complice, dans une position ambiguë, ne répond pas à toutes les questions qui lui sont posées. Donc le délai d’instruction et l’absence d’instruction efficace aboutit à ce fiasco et cette absence de réponse. »
À la question de savoir si au fond de lui, après deux décennies de combats, de procédures judicaires, de manifestations avec l’association Estelle, il garde au fond de lui l’espoir de retrouver un jour le corps de sa fille, il répond : « L’idée de retrouver le corps d’Estelle, c’est une bonne illustration du poison qu’on peut fabriquer en soi. Je n’ai pas les moyens de rechercher le corps d’Estelle, ce n’est pas à moi de le faire. La personne qui sait, ne veut, ne peut et ne sait dire où est le corps d’Estelle. Au bout de 20 ans, elle peut avoir oublié, elle peut confondre des crimes. Je ne veux pas me retrouver en position de dépendance totale vis-à-vis de Monique Olivier. Donc il faut accepter l’idée qu’on peut ne pas retrouver le corps. Mais il ne faut pas que cette impossibilité devienne un voile qui recouvre tout, au contraire. »
Éric Mouzin, expert en assurances, a toujours continué de travailler. « Un excellent dérivatif aux autres problèmes ». Il espère obtenir le jugement de sa plainte contre l’État à la rentrée. Il a lancé une autre procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme pour, explique-t-il, « mettre en évidence l’absence de moyens efficaces de la France pour rendre justice ».