Kevin Ramkaloan : «Les salaires ont augmenté plus vite que la productivité»


Il table sur un taux de 4,6 % en 2023, alors que les autorités misent sur les 5 %. Est-ce que la reprise sera moins rapide que prévu ? 

notamment l’Union européenne, le Royaume-Uni et les États-Unis. Cependant, il faut aussi noter que, pour l’instant, dans les secteur touristique, manufacturier ou agricole, les contraintes observées sont moins liées à la demande qu’à des problèmes tels le manque de main-d’œuvre. 

Kevin Ramkaloan : «Les salaires ont augmenté plus vite que la productivité»

Pour ce qui est de l’inflation, le FMI prévoit un taux élevé de 9,5 %. Dans ce contexte, faut-il s’attendre à ce que la Banque de Maurice poursuive sa politique de resserrement monétaire ? Et si oui, quel en sera l’impact sur le secteur privé qui était endetté à hauteur de Rs 174,56 milliards à fin février ? 

La gestion de l’inflation a été fondamentalement modifiée par la décision prise au niveau de la Banque de Maurice de remplacer le key repo rate par le key rate, changement effectué en janvier cette année. L’idée était d’assurer que l’inflation soit ramenée à un taux entre 2 % et 5 %, et à moyen terme à 3,5%. Si pour 2023, nous estimons que l’inflation tournera autour des 5 %-6 %, il n’empêche que l’augmentation des taux d’intérêt représente un coût conséquent pour les entreprises, et pourrait rendre moins viables certains projets tels ceux autour de l’énergie renouvelable, où le taux d’intérêt reste un facteur critique.

Le Budget sera présenté dans environ deux mois. Dans son mémoire soumis aux Finances, Business Mauritius met en exergue quatre axes à privilégier : les services financiers, le secteur de l’énergie, l’ouverture aux talents et investisseurs et le développement de la santé et de l’industrie pharmaceutique. Pourquoi ces quatre axes en particulier ? 

Depuis la pandémie, la question de la reprise économique est restée au cœur même du dialogue entre les autorités et la communauté des affaires, avec l’objectif de retrouver la santé économique dont nous jouissions en 2019 sans perte conséquente de notre capacité de production. Depuis un moment, nous parlons aussi de croissance dans le moyen terme avec les autorités, notamment autour de ces quatre axes qui nous semblent porteurs de croissance et d’emplois. 

Business Mauritius est en faveur d’une réforme du marché du travail et préconise, à cet effet, la création d’un observatoire de l’emploi, la mise sur pied de deux comités techniques, dont l’un pour recruter de la main-d’œuvre étrangère et le second pour revoir les contraintes dans les lois du travail. Dites-nous-en plus.

Aujourd’hui, si nous voulons assurer un développement continu, la main-d’œuvre et les compétences demeurent des éléments incontournables, et le sujet même demande une approche holistique. 

En termes de législation, nous constatons plusieurs changements dynamiques dans l’emploi occasionnés notamment par la pandémie, changements qui ont demandé plusieurs amendements à la Workers’ Rights Act de 2019. 

À Maurice, comme de par le monde, la pandémie a entrainé une métamorphose dans la façon de travailler, par exemple, avec le « présentiel » ou le « télétravail » ou encore établir une « flexibilité » qui renverse les horaires fixes traditionnels. Si c’est la pandémie qui a braqué les projecteurs sur ces nouvelles pratiques et perceptions, nous savons aujourd’hui que ces changements n’auront pas été temporaires. Ils reflètent la nécessité de voir un véritable réaménagement dans la conception même du travail, que ce soit par rapport à la flexibilité, aux congés, au work-from-home ou encore au remote working.  

En même temps, toujours en ce qui concerne la Workers’ Rights Act, qui a été sujette à des amendements constants, nous notons plusieurs points qui rendent les opérations peu pratiques. Je pense, par exemple, à la comptabilisation des heures à la journée lorsque le type d’emploi demande plutôt une comptabilisation par semaine ou même par quinzaine. À Business Mauritius, nous pensons que le moment est propice pour mener des consultations approfondies afin de développer un cadre qui favoriserait l’emploi, tout en respectant les droits des travailleurs et les valeurs de l’Organisation Internationale du Travail (l’OIT).

par exemple 

Cela, pour les besoins de l’économie actuelle, mais aussi pour les années à venir. C’est dans cet esprit que nous proposons un observatoire de l’emploi qui permettrait de bâtir des ponts entre l’éducation, la formation et les demandes des industries dans le moyen et le long terme.

Si le manque de main-d’œuvre touchait principalement le textile et la construction, le phénomène s’est étendu à tous les secteurs, conséquence d’une pénurie de talents, mais aussi de la fuite des cerveaux. Quels sont les principaux constats de l’étude menée par Business Mauritius sur la fuite des cerveaux ? 

par exemple, que l’observatoire de l’emploi prend son sens, avec des mécanismes pour l’orientation professionnelle ainsi que pour l’identification des skills gaps. Deuxièmement, pour subvenir aux besoins de main-d’œuvre dans le court terme, nous devons nous tourner vers la main-d’œuvre étrangère, ce qui demande des processus de migration et d’embauche plus flexibles et adaptés. Finalement, l’attractivité du pays, incluant l’environnement fiscal, aura un rôle important à jouer pour l’attraction des talents comme des investisseurs. 

mais aussi aux standards internationaux. 

L’autre priorité, c’est d’accélérer la transition vers un modèle de développement plus durable et plus inclusif. Quelles sont vos recommandations pour décarboner plus rapidement notre économie ? 

Si notre contribution nette aux émissions de carbone à l’échelle mondiale reste infime, Maurice se range cependant parmi les pays les plus vulnérables aux effets du changement climatique. Ce qui est critique pour nous aujourd’hui, c’est de pouvoir nous adapter à une économie mondiale qui tente d’accélérer la décarbonation. Pour cela, il s’agira de mettre en place des systèmes de transition pour réduire les risques aux entreprises et commerces, mais également de construire des communautés résilientes, capables de s’adapter. Ce qui passe d’abord par la transition énergétique. En réduisant notre dépendance sur l’import et des prix associés, la transition énergétique nous permettra de construire notre résilience face aux chocs géopolitiques qu’entraînent déjà le changement climatique. Rappelons aussi que notre initiative commune avec l’État et l’Agence française de développement (AFD) sur le Programme National d’Efficacité Énergétique a transformé le paysage des investissements du privé sur cette transition vers le développement durable. 

 

Nous continuons, au niveau de Business Mauritius, à encourager les membres de la communauté des affaires à adopter le pacte SigneNatir, afin qu’ils puissent non seulement signifier leurs intentions, mais qu’ils adoptent concrètement des pratiques de développement durable. Sous les thèmes de la ‘transition énergétique’, de ‘l’économie circulaire’ et la ‘biodiversité’, nous proposons des actions pour que les entreprises puissent décarboner leurs activités, et en même temps, protéger et augmenter les puits de carbone.  

Nous avons aussi accueilli l’engagement du gouvernement pour ce qu’il est de développer un roadmap vers une économie circulaire à Maurice. Le sujet est pris en commun par la communauté des affaires, notamment avec nos membres de la Chambre de Commerce et d’Industrie et l’Association of Mauritian Manufacturers dont plusieurs membres s’attèlent déjà à concevoir à travers l’éco-design, puis utiliser les ressources d’une façon responsable, pour finalement ramener les déchets dans le cycle de production autant que possible. Dans le traitement des déchets, nous accueillons l’adoption toute récente du Waste Management and Resource Recovery Bill, qui a été débattu dernièrement au Parlement. Il s’agira maintenant de s’assurer de la bonne implémentation de ces initiatives.

La compétitivité et la productivité reviennent constamment sur le tapis. Où est-ce que le bât blesse ? 

Rappelons que notre économie est tournée vers l’exportation. Cela signifie que nos produits et services locaux se retrouvent en compétition avec des produits et services internationaux, ce qui nous appelle à rester compétitifs par rapport au marché mondial. 

À Maurice, nous nous retrouvons aujourd’hui dans une situation où le coût unitaire de la main-d’œuvre, ou le unit of labour cost (ULC), est en hausse constante. Entre 2011 et 2021, cet index a grimpé par 2,9%, ce qui indique que les salaires ont augmenté plus vite que la productivité. Ceci a un impact direct sur la compétitivité de nos produits et services à l’international. 

Une meilleure productivité du port est aussi un sujet stratégique qui demandera des décisions courageuses. Quelques années de cela, la proposition de trouver un partenaire stratégique était sur le tapis.

Dans le milieu syndical, on soutient que les conditions de travail et les salaires sont deux facteurs qui démotivent les jeunes à travailler dans certains secteurs, dont le tourisme. Vos commentaires ? 

L’objectif clé du National Employee Engagement Survey (NEES) – qui a d’ailleurs déjà recueilli les réponses de plus d’une centaine d’entreprises – est d’avoir une idée précise, ancrée dans les données, de la perspective des employés sur le travail à Maurice. Il faut souligner que ce genre d’étude, qui a pu être faite au niveau de compagnies individuelles, n’a jamais été entreprise à l’échelle nationale. À terme, le NEES nous permettra d’identifier, avec données, témoignages et analyses à l’appui, ce qui constitue les véritables facteurs affectant l’emploi, globalement mais aussi par secteur, à Maurice. 

En parallèle, dans plusieurs secteurs, dont le tourisme, des formations sont proposées qui permettent des cycles de progression rapide au sein des entreprises, la réinsertion ou l’apprentissage. Je pense notamment au National Skills Development Programme avec le HRDC. Mais, aujourd’hui, il s’agit aussi de réfléchir stratégiquement sur la question de la formation par rapport aux besoins changeants du marché, des nouvelles technologies, des secteurs émergents, entre autres. 

Quelles sont les solutions que vous préconisez ? 

Nous avons d’ailleurs fait une demande officielle auprès des autorités pour qu’un moratoire soit accordé à certains secteurs, ce qui permettrait aux entreprises de mettre en place des systèmes pour, par exemple, produire elles-mêmes l’énergie renouvelable. Cela non seulement réduirait leurs factures, mais leur permettrait en même temps d’atteindre des objectifs de développement durable. 

Nous espérons aussi retrouver une roupie plus stable. Ce qu’il ne faudrait pas, c’est que la dépréciation de la roupie soit unidirectionnelle, car cela entraînerait de la spéculation, ce qui pourrait se transformer en une self-fulfilling prophecy d’une roupie en chute libre. Dans ce contexte, nous saluons les différentes interventions de la Banque de Maurice pour remédier à ces risques, et nous espérons que ces efforts se poursuivent suffisamment pour éviter une situation de spéculation.

Pour certains observateurs, le secteur privé a tendance à trop s’appuyer sur le gouvernement et pèche en termes d’innovation. On reproche aussi au secteur privé de ne pas assez investir (Ndlr : cette année-ci, l’investissement du secteur privé va croître de 4,9 % contre 9,6 % en 2022). Critiques erronées ou infondées ? 

Si toute l’économie a effectivement souffert ces dernières années, largement dû à la Covid-19, et le conflit russo-ukrainien, il faut aussi reconnaître la reprise considérable de l’investissement depuis 2022. La formation brute de capital fixe, ou le Gross Fixed Capital Formation (GFCF), indicateur d’investissement, est en croissance depuis 2021, et cela, même si entre 2011 et 2021, la productivité du capital a connu une chute annuelle de 0,8 %. Avec un capital moins productif, le secteur se retrouve néanmoins à investir. Pour 2023, le taux d’investissement est estimé à 20,4 % du PIB, ceci contre 18,8 % en 2022.

Pour cela, nous avons un partenariat avec le Mauritius Research and Innovation Council (MRIC) pour plus de ponts entre les universités et les entreprises ainsi qu’un groupe de travail focalisé qui nous aide à réfléchir sur la recherche et l’innovation. Mesurer le niveau de recherche dans les entreprises est une des premières étapes à concrétiser. 

notamment pour le développement de nouveaux types de textiles

 

Où en est l’affaire logée par Business Mauritius pour contester la constitutionnalité de la Contribution Sociale Généralisée (CSG) ? 

À ce jour, l’affaire est toujours en cours. 

Le Premier ministre a annoncé son intention d’organiser des consultations sur les réformes électorales incluant la question de financement politique. Sur ce sujet, le patronat se dit en faveur du principe que tout parti politique soit reconnu comme une entité légale et que les dons en espèces soient réglementés. Doit-on aller dans cette direction et pourquoi ? 

Il serait important que les partis politiques soient reconnus comme des entités légales, ce qui permettrait plus de transparence dans le financement politique. Il serait bon de noter que même les ONG et les professions non financières désignées, ou les Designated Non-Financial Businesses & Professions, sont régies par ces cadres régulateurs. Le montant dépensé par candidat et par parti politique pour une élection devrait aussi être revu.