Éteindre les panneaux publicitaires la nuit, une idée simple et lumineuse qui pourrait un peu atténuer la crise énergétique qui s’annonce. La preuve en chiffres.
Winter is coming… Et avec lui la perspective de coupures de courant. La fin des livraisons de gaz russe et une production électrique nucléaire au plus bas font craindre aux entreprises énergétiques de possibles ruptures d’approvisionnement. L’heure est à la sobriété imposée puisqu’en France, on n’a toujours pas de pétrole. Mais a-t-on encore des idées ?
Pour éviter d’éventuelles coupures de courant, la première ministre française Elisabeth Borne en appelle à la sobriété. Elle la définit comme « des millions de décisions individuelles » en vue de réduire les « consommations inutiles ». C’est presque la même stratégie que celle de Gaspi, la mascotte qui encourageait les Français à chasser le gaspillage lors du second choc pétrolier en 1979.
Un autocollant Chasse au gaspi, 1979
Dès le premier choc de 1973, le gouvernement avait pris des mesures drastiques : rationnement de l’essence, baisse de la vitesse sur les routes, fin des programmes télé à 23 heures mais également l’interdiction de la publicité lumineuse ainsi que l’éclairage des monuments publics et des bureaux inoccupés de 22 heures à 7 heures.
Ne pas se tromper de « cible »
Pour le moment, le plan du gouvernement prévoit de fermer la porte des magasins climatisés et de suggérer aux entreprises de baisser le chauffage. On nous demande aussi de ne plus envoyer de pièces jointes trop lourdes. Ce n’est pas une mauvaise idée : le numérique consomme 10% de l’électricité et émet 4% du CO2 mondial. Madame Pannier-Runacher nous a également conseillé de couper le wifi. Voilà.
Mais faire reposer la sobriété et la transition écologique sur les gestes individuels peut-il suffire ? Est-ce une erreur ou une escroquerie ? Autant de questions légitimes. Urgentes. Et qui sont vite répondues.
Selon le cabinet d’études Carbone 4, si tous les ménages français se comportaient de manière parfaitement écologique, la baisse des émissions de CO2 ne serait que de 25%. En effet, 75% des émissions relèvent d’investissements et de règles collectives qui sont du ressort de l’État et des entreprises. L’heure est aux choix systémiques, aux actions massives et exemplaires. Et un objet urbain cristallise ainsi la question de la sobriété imposée : les écrans publicitaires.
La rue, « c’est plus Versailles » non plus
Selon le rapport Analyse sociétale du gestionnaire du Réseau de transport d’électricité (RTE) de février 2022, plus de 9 000 de ces panneaux publicitaires lumineux étaient installés en France en 2019. Selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), l’impact de chaque panneau serait de 245 kg d’équivalent CO2 par année d’utilisation, en comptant la phase d’utilisation et le coût de production de l’écran (une mesure que les opérateurs contestent puisqu’ils ne sont responsables que de l’usage de ces écrans). L’Ademe estime qu’au bout de 10 ans d’utilisation, chaque panneau aura consommé 20 477 kWh. C’est la dépense énergétique annuelle de quatre ménages français ou 8,8 personnes. Multipliée par 9 000, c’est la consommation annuelle de 79 200 personnes.
Les éteindre aurait donc une conséquence directe non négligeable. Et bonne nouvelle, on sait que l’État peut agir. Il a a déjà mis en place des mesures pour une technologie moins énergivore et moins polluante : les enseignes lumineuses.
Un décret de 2012, (peu) appliqué à partir 2018, oblige que les publicités lumineuses soient éteintes entre 1 heure et 6 heures du matin, sauf pour les aéroports et les agglomérations de plus de 800 000 habitants. Selon le ministère de la Transition écologique, cette mesure devait permettre d’économiser 1 000 gigawatts par heure, soit l’équivalent de la consommation de 370 000 ménages et autant de CO2.
Puisque chaque geste compte…
Agnès Pannier-Runacher a indiqué travailler à un décret qui étendrait cette extinction quelle que soit la taille de la ville, sauf dans les gares et les aéroports. Mais interrogée sur le choix d’éteindre complètement les écrans publicitaires, la ministre de la transition énergétique a indiqué qu’elle avait le pouvoir de le faire en cas de « signal eco-watt rouge », c’est-à-dire de forte tension…, sur le système énergétique. Voilà qui révèle la priorité des actions présentées : il n’est pas question de transition écologique mais d’assurer l’approvisionnement et la consommation d’énergie, malgré le fait que tous les signaux planétaires soient dans le rouge.
Madame Agnès Pannier-Runacher présentera le plan de sobriété de l’État début octobre. On sait déjà qu’il sera suivi d’une campagne de communication intitulée « Chaque geste compte ». C’est vrai. À commencer par ceux de l’État et des entreprises.