EXCLU. Les confidences de Véronique, la soeur des Bogdanoff  : « Cette maladie leur a permis de mourir ensemble »


Véronique Bogdanoff : Oui. J’ai 54 ans et nous avions une grande différence d’âge mais justement, ils m’ont beaucoup choyée. Quand notre mère est morte d’un cancer foudroyant j’avais 15 ans. Ils ont veillé à me protéger. Ils m’emmenait partout dans leurs fêtes, sur les plateaux de télévision. Ils ont encouragé ma passion pour l’écriture et mon attention pour les mots. C’étaient des pédagogues nés.GALA : Igor a-t-il su que Grichka était décédé quand il est mort lui-même ?Véronique Bogdanoff : Non. Il était dans le coma. Il est parti sans savoir. Mais on ne peut pas nier qu’il y a ce mystère de la communication entre les jumeaux. Même si ça paraît terrible à dire je suis soulagée qu’ils nous aient quitté ensemble. Je ne peux pas imaginer les beaux yeux marrons d’Igor suivant le cercueil de son frère. L’un n’allait pas sans l’autre. Mes frères sont morts à six jours d’intervalle quasiment à la même heure. Grichka à 13H38 et Igor à 13H20 Presque quarante ans jour pour jour après notre grand-mère qui nous a quitté en janvier 1982 et qui les avait élevé en partie. J’étais présente à l’hôpital. Je les ai accompagné jusqu’à leur dernier souffle et l’un et l’autre. C’était très important pour moi.GALA : Aviez-vous préparé l’enterrement de Grichka ?Véronique Bogdanoff : Il en était question mais il y avait une angoisse à organiser les funérailles d’un des deux frères sans que l’autre y assiste. Nous avions un espoir pour Igor et nous redoutions qu’il puisse se réveiller en ayant manqué ça. Ensuite, quand la situation s’est dégradée pour Igor, nous sommes restés dans une sorte d’attente. Et puis voilà… ils seront enterrés ensemble.

Cette maladie leur a permis de mourir ensemble

François En aviez-vous conscience ?Véronique Bogdanoff : Comme les jumeaux sont nés presque 20 ans avant moi je ne les ai jamais connu qu’adultes mais un jour où nous étions quatre -Laurence, Grichka, Igor et moi- comme des enfants qui se retrouvent dans la même chambre, Grichka s’est confié sur sa peur de d’abandon. Les jumeaux ont été élevés par notre grand-mère essentiellement et sans leur père qui est revenu ensuite donc. Ça m’a fait de la peine d’entendre ça, je crois qu’on ne peut pas expliquer leur parcours, leur aspiration à la singularité ou à s’extraire des contingences sans cette clef. Concernant Grichka, c’est sans doute ce qui explique qu’il n’ait pas fondé pas de famille ou qu’il ne se soit pas marié. Il ne supportait pas l’idée d’être potentiellement abandonné, c’est une crainte qu’il n’a jamais soignée. Sa seule façon d’être certain d’un lien était la gémellité. Igor et Grichka se sont vus tout le temps, tous les jours de leur vie.GALA : Votre grand-mère imposait ses règles ?Véronique Bogdanoff : C’était une ex-femme d’ambassadeur. Elle appartenait à une des plus immenses familles du Gotha. Un monde moribond brassant la haute noblesse tchèque et viennoise dont elle avait recrée le faste dans un château gersois parfaitement restauré où elle résidait. Elle régnait sur la commune de Saint-Lary. Notre tribu, dominée par son matriarcat, fascinait pas mal les gens du coin. Imaginez en plein sud-ouest… notre grand-mère Bertha qui était comtesse, notre mère Maya, les jumeaux, le bâtiment lui-même, tout cela suscitait l’intérêt. Et puis notre grand-mère était très cultivée. Elle recevait souvent des personnalités. Je crois me souvenir que c’est elle qui avait présenté Roland Barthes à Igor et Grichka.GALA : Les jumeaux n’ont jamais vraiment parlé du racisme, eux qui avaient des racines afro-américaines. Etaient-ils épargnés ?Véronique Bogdanoff : Oui. Ils savaient en revanche que ça m’était arrivé. J’ai pu entendre « Tais toi sale négresse» dans la cours de récréation, pas eux. Par la suite ils se sont plus identifié à l’aristocratie que le reste de notre fratrie. Peut-être notre grand-mère les avait-elle davantage imprégné mais c’était aussi du ressort d’un choix de vie ou d’une nécessité d’appartenance.GALA : Avez-vous vu une évolution chez les jumeaux ?Véronique Bogdanoff : Je dirais que ces vingt dernières années ils se sont beaucoup cherché. Comme je suis sophrologue et que je m’intéresse à différentes thérapies, j’ai essayé l’hypnose ou la PNL avec eux mais ils avaient des freins. Ils étaient aussi intéressés que mal à l’aise avec ces pratiques. Igor et Grichka était très croyants mais ils avaient peur de la mort. Ils avaient beau être catholiques, ils avaient du mal à se projeter dans l’au-delà. Ils restaient très attachés au présent.

EXCLU. Les confidences de Véronique, la soeur des Bogdanoff  : « Cette maladie leur a permis de mourir ensemble »

On jouait à « Je te tiens, tu me tiens par la barbichette »

Une fois Grichka m’a dit « J’ai crée un personnage ».GALA : Que pensez-vous des déclarations de Luc Ferry qui a parlé du fait qu’ils n’étaient pas vaccinés ou de Jean-Paul Enthoven qui a évoqué leur manque d’argent ?Véronique Bogdanoff : J’ai été un peu étonnée de certains propos qui m’ont paru impudiques. Mes frères n’ont jamais dit du mal de personne et ils étaient très sensibles. Ils n’auraient pas aimé entendre ça. Pour eux l’argent, ça allait et venait. Nous avons, dans notre famille, un rapport curieux à tout ce qui est pécuniaire. On croit toujours qu’il y a de l’argent même quand il n’y en a pas. Ma grand-mère n’a jamais travaillé, elle avait hérité. En tout cas mes frères étaient tout sauf des escrocs qui laissaient des ardoises. Enfin quand j’entends la polémique autour des non vaccinés que génère leur décès, moi qui suis vaccinée, je trouve ça inapproprié. Leur vie, faite d’audace, d’imagination et de projets, ne se résume pas à ça.

COADIC GUIREC / BESTIMAGE