Alors que Norman Thavaud a été convoqué jeudi par la police pour être confronté à une plaignante qui l’accuse de viol, Paris Match a enquêté sur l’emprise et les abus sexuels des stars du Web.
E lles croyaient au grand amour. « Je vais tomber in love », « J’ai envie de te présenter mes parents », « Si tu viens, je te demande en mariage », pouvaient-elles lire parmi les messages enflammés qu’elles recevaient. Alors elles se sont laissé bercer par le doux rêve d’être cette groupie dont la star s’amourache. Le pionnier de YouTube Norman Thavaud aurait ainsi fait miroiter à de nombreuses jeunes filles qu’il était l’homme de leur vie. Mais pas seulement…
En guise de mise en bouche, des portraits, puis on passe à «enlève ce gros pull» suivi de «il y a encore un peu trop de tissu».
Six femmes ont porté plainte contre Norman Thavaud pour viol et corruption de mineurs
et si Webedia, son réseau, l’a écarté, à ce stade aucune charge n’a été retenue contre lui. Malgré plusieurs heures de garde à vue.
Une première vibration avant le séisme. Le 6 août 2018, Squeezie dénonce sur Twitter le comportement de certains de ses confrères.
Cette affaire n’est pas un cas isolé. En 2018, le youtubeur Squeezie a lancé un pavé dans la mare avec #balancetonyoutubeur. Quatre ans plus tard, lorsqu’on tape ce hashtag, l’écran se remplit de milliers de messages. À chaque Tweet, des témoignages glaçants, parfois étayés de captures d’écran, accusent une bonne vingtaine de rois du Web. Parmi eux, Doc Seven, 2,23 millions d’abonnés sur YouTube.
Quand tu es fan de quelqu’un et qu’il te donne ce niveau d’attention, tu ne peux pas le refuser
En 2015, il a déjà une petite notoriété quand cinq admiratrices, âgées de 15 à 18 ans, créent un fil Twitter où elles échangent sur son actualité. «Il a commencé à nous répondre sur le fil public et, après quelque temps, il a proposé qu’on ait un groupe de discussion privé », confie l’une d’entre elles. La tendance est à Periscope, qui a depuis disparu. Chacun peut s’y montrer en direct, dans tous ses états. Sur la plateforme, les cinq adolescentes regardent Doc Seven vivre, cuisiner, travailler. «C’est sûr que c’est très étrange mais, à 15 ans, quand tu es fan de quelqu’un et qu’il te donne ce niveau d’attention, tu ne peux pas le refuser, continue-t-elle. Et il faut préciser qu’il n’y avait rien d’illégal ou de sexuel dans ces lives.»
De g. à dr. : Squeezie, Cyprien, Norman et Natoo, les pionniers de YouTube, à Paris en 2018. Squeezie est celui qui a lancé l’alerte. Lui et Cyprien auraient été entendus par les enquêteurs.
PARIS MATCH
/
«T’as des joues de bébé, tu sais? Ça donne envie de les pincer… ou de les bifler », écrit-il sur une conversation que la destinataire a montrée à Paris Match. Il rencontre la plus âgée du groupe, tout juste majeure, lors d’un événement.
Ton âge, ce n’est pas mon problème, tu n’as qu’à pas être bonne
Selon elle, c’est alors que se crée une relation entre eux. La première fois qu’elle se rend chez lui, à l’en croire, il la contraint à l’embrasser et lui fait peur au point qu’elle quitte les lieux précipitamment. Elle aurait malgré tout accepté de le revoir, cette fois dans un cinéma, accompagnée de deux de ses amies, mineures. Il aurait posé sur celles-ci ses mains baladeuses pendant la séance. Contacté récemment par l’une d’elles, il s’est défendu : «C’était il y a deux ans et demi, je ne vais pas m’expliquer longtemps mais je sais que j’ai pu être très con.»
Un message de Norman à l’une de ses jeunes abonnées.
Épinglé récemment, Amaru (560000 abonnés) envoyait ce genre de mots doux à une mineure : «Ton âge, ce n’est pas mon problème, tu n’as qu’à pas être bonne», entre deux Tweet bien sentis: «On baise des mineures en silence, la police se chargera du bruit » ou « J’ai 20 ans mais, à partir de 14, je vous accueille dans mes DM ».
La défense de DirtyBiology a été vue près de 1 million de fois. Celle d’Amaru, 1,3 million
une pour harcèlement sexuel, et une pour viol, par une étudiante de 22 ans. L’enquête est en cours. Ce dernier conteste les faits. Amaru, lui, plaide la blague avec une amie. Les deux vidéastes ont choisi de répondre à leurs accusatrices sur leur chaîne YouTube. Pouvant ainsi clamer leur vérité sans garde-fou ni contrepoint. La défense de DirtyBiology a été vue près de 1 million de fois. Celle d’Amaru, 1,3 million. Les plus de 15000 commentaires sous sa vidéo sont de plates excuses d’abonnés qui regrettent d’avoir douté de lui ou l’encouragent à poster ses contenus. le terme influenceur prend tout son sens.
Ci-dessous : le 30 juin 2022, une internaute dévoile une conversation avec Amaru (570 000 abonnés), également visé par le hashtag #BalanceTonYoutubeur.
«Si eux sont épinglés, je meurs.» Voilà qui peut laisser imaginer le sort réservé à celles qui parlent. «Moi j’ai décidé de parler le jour où j’ai eu le même âge que le mec qui m’a harcelée ado, confie une jeune femme. Je me suis rendu compte à quel point il est impossible de vouloir une relation saine avec quelqu’un de 16 ans quand on en a 24. Celles qui parlent sont plus écoutées aujourd’hui. Mais il faut être armée pour affronter leur communauté. Ça peut être très violent.»
rapporte un influenceur, écœuré.
«À une époque, les frasques de Norman se racontaient dans beaucoup de soirées, confie un autre. Tous disaient avoir coupé les ponts avec lui à cause de son comportement.» Ceux-là mêmes qui savaient se refusent aujourd’hui à tout commentaire ou balayent la question : «N’ont-ils pas tous à un moment donné profité de leurs jeunes abonnées?»
Norman et Martha Gambet, sa compagne depuis 2017. Le 2 juin 2022 à Roland-Garros.
Dans ce milieu, la séduction de mineurs semble être devenue une banalité. À croire que le numérique autorise tout. «Le Web n’est pas une zone de non-droit, prévient une avocate spécialisée. Si quelqu’un est accusé sur les réseaux sociaux, il peut porter plainte pour diffamation. Mais il est délicat d’engager des poursuites à l’encontre de tous les internautes qui relaient ces accusations, pour des raisons logistiques et de coûts. Ça ne se voit que très rarement. Toutefois, le harcèlement même sur Internet est un délit pénal, le chanteur Eddy de Pretto a d’ailleurs fait condamner ses cyberharceleurs.»
Ils ont détruit notre confiance en nous, la construction de notre sexualité, notre conception de l’amour et ils sont libres
« S’il n’est pas consenti, il est considéré comme du harcèlement sexuel ou contraire à la décence. Cette infraction peut donner lieu à une amende.» «En tant que victimes, on a quand même le sentiment qu’ils sont tous impunis, tout simplement parce qu’ils le sont, s’agace une jeune femme. Ils ont détruit notre confiance en nous, la construction de notre sexualité, notre conception de l’amour et ils sont libres. Pire : ils continuent à faire des vidéos et à en vivre. Où est la justice pour nous?» Certainement pas au tribunal des réseaux sociaux.