Un bloc-notes sous les yeux, Lionel Guedj s’adresse à la cour d’appel et à ses anciens patients. Ce jeudi marque le septième jour du procès de cet ancien dentiste des quartiers Nord de Marseille, accusé de mutilations dentaires. Le ton de Lionel Guedj, calme, contrôlé presque mécanique, tranche avec l’agressivité et les emportements des jours précédents. « J‘ai commis des manquements et je ne peux que leur présenter des excuses, avance l’ancien praticien. L’évidence est là. Je l’ai entendu en première instance. Je savais très bien à quoi m’attendre en deuxième instance. De revoir tout ça, je ne peux que constater la souffrance et la douleur des parties civiles. »« Je sais ma position délicate, ajoute-t-il d’une voix monocorde et récitative. Je suis obligé de me défendre et, d’un autre côté, il y a des personnes qui souffrent. » Et d’insister quelques secondes plus tard : « pour moi, l’essentiel est là. Il y a des patients qui ont des douleurs, qui souffrent, qui ont des problèmes. Et évidemment qu’il y a eu des manquements de ma part. Je suis sincèrement désolé. »
« Il m’a enlevé mon sourire »
Cette souffrance à laquelle Lionel Guedj fait référence vient de sauter aux yeux du tribunal. Cinq premières victimes du dentiste se sont présentées à la barre pour raconter, une à une, leurs histoires aux étranges similitudes. Celles de patients des quartiers Nord, victimes de mutilations dentaires, comme des centaines d’autres dans ce dossier. Marie, vêtue d’une élégante robe verte, lit avec émotion une lettre adressée au tribunal. Une lettre dans laquelle elle raconte son « calvaire ».
« Certes, quand on me voit, on n’imagine pas ce que je vis et ce par quoi je suis passée, confie la trentenaire au bord des larmes. Je me sens tellement diminuée, tellement dévalorisée que j’ai des idées noires. » Venue consulter le Dr Guedj pour une simple carie, elle ressort du cabinet avec 17 dents dévitalisées. « On m’appelle faux sourire, il m’a enlevé mon sourire, explique Marie, pour qui cette histoire a eu raison de son couple. Mon compagnon m’a quittée, pas facile pour un homme de supporter une femme qui est déprimée, est mal à l’aise, a des odeurs. » Dans un silence de cathédrale, Marie conclut : « J’ai compris grâce à ce procès que la seule richesse, le seul patrimoine que possède un pauvre, ce sont ses dents, et cela m’a et nous a été volé. »
« Je n’ai jamais attaché quelqu’un sur le fauteuil »
Son calepin dans la main, Lionel Guedj se veut compatissant après ces récits difficiles. Lui qui, il y a quelques jours, s’attelait à démontrer les erreurs des experts, patient après patient, classeur à l’appui, dit avoir changé d’avis. « Par respect pour les parties civiles. Je n’ai pas envie de rentrer dans chaque détail. » « Je ne veux pas dire qu’eux, ce sont des menteurs, eux, ils ont tort », ajoute Lionel Guedj. C’est pourtant ce que le dentiste a assuré, mardi, devant la cour. « Le sujet réel, c’est la douleur, poursuit Lionel Guedj. C’est le problème réel des parties civiles. »
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Mais pourquoi alors avoir agi de la sorte ? Quels sont ces manquements que Lionel Guedj reconnaît ? Les questions sont posées à l’ancien dentiste à de multiples reprises par la cour. « J’ai fait des choix thérapeutiques que je pensais à l’époque judicieux pour le patient », répond Lionel Guedj, avant d’insister immédiatement : « je ne remets pas en question l’existence de la souffrance devant vous. » « Vous reconnaissez des erreurs de diagnostic ? », demande alors un assesseur. « Oui, au niveau du plan de traitement », répond Lionel Guedj. Son avocat le regarde en hochant la tête. Quid des dévitalisations ? L’assesseur poursuit ses questions. « Elles étaient justifiées à l’époque », affirme encore Guedj, sans donner plus de détails.
« Si vous êtes respectueux, donnez des explications aux parties civiles », insistera alors le président, agacé par le manque de précisions du dentiste. Et, soudain, ce dernier lâchera, retrouvant le ton offensif qui est le sien : « Je reconnais des manquements, des problèmes dont j’assume pleinement la responsabilité. Je ne me voile pas la face. Après, je n’ai jamais attaché quelqu’un sur le fauteuil ! Je n’ai jamais forcé personne ! » Et de se reprendre : « je pense que c’est une question de respect de reconnaître clairement les problèmes sur les patients, que je suis responsable de ces problèmes. Je n’ai pas du tout envie d’augmenter l’animosité entre les patients et moi concernant les difficultés rencontrées. »Lionel Guedj a été condamné en première instance à huit ans de prison. Il encourt jusqu’à dix ans de réclusion.