La facture gonfle pour l’usine de Flying Whales en Gironde


De 23 à désormais plus de 30 millions d’euros. C’est le montant des aides directes accordées par la Région Nouvelle-Aquitaine à la startup industrielle française Flying Whales, qui ambitionne de bâtir au nord de la Gironde une usine géante pour fabriquer les plus grands dirigeables du monde. Réuni en assemblée plénière les 13 et 14 juin, le conseil a ainsi voté un nouveau protocole d’accord assorti d’une augmentation budgétaire.

Une rallonge imposée par la refonte d’un projet initialement peu compatible avec les exigences environnementales du site de 70 hectares, avait estimé en novembre dernier l’autorité environnementale (Ae). Le dossier suspendu par les services de l’État fin 2023, l’entreprise a travaillé à une nouvelle version, en conservant le même site d’implantation mais en proposant des aménagements. Réduction des surfaces artificialisées, renaturation des berges d’un ruisseau ou limitation des nuisances visuelles et sonores sont au programme des demandes de permis de construire et d’autorisation environnementale redéposées fin avril 2024.

Un montage public très avantageux pour l’usine de dirigeables de Flying Whales à Laruscade (1/3) Ce qui aboutit à une augmentation de 50 % des coûts de développement de l’usine, pour une entreprise qui aspire à décarboner le transport de charges lourdes en milieu difficile d’accès. L’aménagement de la zone d’activité économique, porté par la communauté de communes Latitude Nord Gironde et la Région, passe de 22,4 à 30,4 millions d’euros. Quant au coût des bâtiments, il s’élève désormais à 150 millions d’euros contre 100 millions estimés à l’origine, indique la délibération votée en conseil régional.

Un surcoût inévitable pour répondre à la réglementation.

Opération de refinancement

Le président et fondateur de Flying Whales dit à La Tribune avoir entendu les critiques et procédé aux adaptations attendues. « On pense qu’aujourd’hui, on a un dossier très nettement meilleur que le premier.

Initialement, on ne pensait pas que l’Ae rentrerait dans un tel niveau de détail, comme sur la question de l’empreinte lumineuse la nuit par exemple. Il y a des questions qu’on n’avait pas anticipées », reconnaît Sébastien Bougon. À la tête du conseil régional, Alain Rousset assume la rallonge alors que les pertes de la collectivité restent plafonnées à 20 millions d’euros en cas d’échec du projet.

« Il y a une part de risque, je ne le conteste pas, répond-il. Avec Flying Whales, nous avons la chance de créer un écosystème aéronautique à côté des deux déjà existants, le spatial et l’avionique », fait-il valoir, jugeant les critiques de l’Ae « très justifiées » comme l’application des réglementations environnementales « parfois grotesques ». En cas de succès de Flying Whales, il est prévu que la participation régionale soit désormais convertie en participation au capital de la société.

L’industriel et la Région espèrent désormais un lancement de l’enquête publique dans le courant de l’été en vue d’obtenir les autorisations d’ici fin 2024 et de démarrer les travaux l’an prochain. Côté financement, « une augmentation de capital se fera dans les douze prochains mois », indique Sébastien Bougon, avec l’entrée de l’Australie qui, avec le Québec, doit accueillir une des trois usines. Les partenaires historiques, notamment l’État français, vont aussi être sollicités pour remettre au pot car il faudra inévitablement compenser les surcoûts.

Un dossier qui « coche toutes les cases »

Les opérations avancent en coulisses mais le projet nourri des interrogations importantes. En particulier dans l’écosystème aéronautique où, si l’on sait qu’un programme met au moins dix ans à être développé, l’on pointe les difficultés à réussir un tel défi technologique. Défiance du secteur ou vraie zone de turbulence ? Début mai, la cellule investigation de Radio France a publié une enquête pointant les incertitudes techniques et financières qui émaillent le projet Flying Whales.

Ce qui a été lu et commenté avec gourmandise par les acteurs de l’aéronautique à Bordeaux, fait valoir l’un d’entre eux à La Tribune. Pour l’écosystème local, les contours techniques du programme de dirigeables restent flous et les retombées locales bien maigres pour l’instant alors que les 200 salariés de la startup sont quasi-exclusivement basés au siège de Suresnes dans les Hauts-de-Seine. Des rangs de l’aéronautique jusqu’au Ceser, via un avis rendu en juin, et les groupes politiques du conseil régional, beaucoup reprochent à l’industriel et la majorité socialiste d’opérer en coulisses.

Le groupe centriste a déposé un amendement pour que les décisions relatives à Flying Whales ne se fassent plus seulement en commission spécifique. « Il ne s’agit pas d’un petit projet, mais d’un projet de grande envergure, innovant, structurant, de dimension internationale. Nous vous demandons de bien vouloir à chaque fois revenir devant la séance plénière pour qu’il puisse être abordé et débattu », a suggéré la conseillère régionale (Modem) Pascale Requenna, qui a vu son amendement être refusé.

Fait particulier, le dossier est en effet piloté directement par le cabinet d’Alain Rousset, qui en fait un totem symbolique de son action économique dans l’aéronautique. « C’est une action industrielle disruptive, une action écologique extraordinaire et une action d’aménagement du territoire, on coche toutes les cases ! Ce dossier est exceptionnel puisqu’on invente le troisième secteur aéronautique après l’espace et le civil », a-t-il brandit le 13 juin à la suite des critiques émises sur la gestion en assemblée plénière.

Chouchous des présidents ?

D’un côté, le président du conseil régional défend une implantation à Laruscade, dans un bassin d’emploi délaissé et marqué par le vote d’extrême droite.

De l’autre, le président de la République soutien ardemment Flying Whales en considérant l’entreprise comme un symbole de la nouvelle industrie française capable de décarboner la logistique lourde.  « On n’est pas les chouchous du président, rétorque Sébastien Bougon. C’est un raccourci fait pour beaucoup d’entreprise des programmes French Tech 120 et Next 40, mais Emmanuel Macron je ne l’ai vu que deux fois dans ma vie.

» Un statut de « petit protégé du président » qui revient pourtant au sein de l’écosystème régional et jusque dans les couloirs des services de l’État chargés d’instruire le dossier en Gironde, sceptiques à la lecture du premier dossier déposé par Flying Whales quant au respect des réglementations environnementales. Malgré le caractère stratégique du projet, classé dans la liste des projets d’envergure nationale ou européenne, l’entreprise n’a pas échappé à la refonte de son schéma d’implantation. De quoi presser son calendrier qui se joue sur deux tableaux, avec d’un côté l’implantation des usines et de l’autre la certification du programme aéronautique espérée pour 2028, seize ans après la création de l’entreprise.

Comment Flying Whales veut aspirer les talents de l’aéronautique mais pas que… (3/3)