Depuis six ans, le débat autour de la levée ou non des interdits vestimentaires, souvent réduit au port du maillot couvrant, agite la société et la classe politique française. Pourtant, il est aussi question de libération des corps, d’inclusivité et de tolérance.
« Je défends juste le fait que chacun puisse s’habiller comme il le souhaite. Je défends un principe universaliste d’accès pour toutes et tous au service public. »
Ce 16 mai
l’autorisation du port du maillot couvrant tant que celle-ci respecte les normes d’hygiène.
« On veut enlever tous les interdits qui ne nuisent pas à l’hygiène. Cela devrait être un non sujet. La piscine doit être un espace où on peut porter des maillots plus ou moins couvrants, que ce soit pour des questions spirituelles, ou seulement parce que vous en avez envie ce jour-là. »
responsables de nombreuses discriminations
L’absence de directive précise à l’échelle nationale conduit encore à une zone grise entraînant de nombreuses discriminations à l’égard des femmes, comme le confirme Éric Piolle :
« Ce sont surtout les femmes qui sont visées par ces interdits. On oblige parfois des femmes à montrer leur cul, on leur interdit à d’autres endroits de montrer leurs seins, comme si les seins des femmes avaient un statut différent de ceux des hommes. On leur interdit de porter des maillots couvrants pour des raisons tordues. Pour moi, tout cela est très malsain. »
Anissa, militante depuis 2018 de l’association Alliance citoyenne, qui essaie de faire évoluer les règlements des piscines de la ville de Grenoble, confie à Madmoizelle partager cette vision universaliste d’un débat souvent réduit à la simple question du burkini.
« Notre combat est plus large. Certes les premières demandes venaient de femmes portant le foulard, qui se plaignaient de ne pas pouvoir avoir accès à la piscine, de ne pas pouvoir y accompagner leurs enfants. Mais on s’est vite rendu compte qu’il y avait beaucoup de femmes, qui ne se reconnaissaient pas dans les règlementations vestimentaires en vigueur, car elles ont des cicatrices, des problèmes de peau, ou qu’elles ne veuillent tout simplement pas s’exposer. »
Car l’enjeu touche aussi à la question de l’accessibilité des structures sportives aux personnes transgenres.
« Ces règlementations alimentent une exclusion qui ne se fait pas frontalement mais qui nous dissuade d’aller à la piscine. Pour une personne transgenre, c’est un espace très intimidant et peu accueillant. En tous cas, les règles varient d’une piscine à l’autre. C’est très révélateur de la manière dont on pense les espaces publics, les installations sportives en terme de genre. »
Via plusieurs actions, Acceptess-T veut permettre aux personnes transgenres, une activité physique dans des espaces qu’elles ont souvent abandonné pour éviter de s’exposer à de la transphobie. L’association a notamment lancé depuis 2016, grâce au soutien de la Mairie de Paris et de l’association Viacti, des séances hebdomadaires de natation dédiées aux personnes transgenres et à leurs proches, à la piscine des Amiraux du 18e arrondissement de Paris.
Un moment où chacun et chacune peut venir dans la tenue de bain de son choix, quel que soit son identité de genre et où la transphobie n’a pas sa place.
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Rennes La Mairie de Paris et celle de Toulouse, qui avaient accepté un entretien dans un premier temps, ont préféré se désister au dernier moment.
Seule celle de Strasbourg après avoir annoncé par mail qu’ « aucun(e) élu(e) n’est disponible pour répondre à vos questions autour du burkini dans les piscines ». Nous avions demandé d’aborder le sujet de la levée des restrictions vestimentaires dans les bassins, et pas uniquement du port du maillot couvrant, on nous a finalement renvoyé vers la règlementation en vigueur.
Quelque peu surprenant : sur leur infographie présentant les tenues de bain autorisées ou non, une note de bas de page indique que « des dérogations sont possibles pour raison médicale uniquement après accord écrit du service Piscines, patinoire et plans d’eau. »
Être une femme qui choisit de porter le voile, être une femme qui désire faire du topless, ou être une personne transgenre, ne sont pourtant pas des maladies. Ces personnes sont donc exclues de ces cas particuliers.
amputant les droits de certains d’entre nous ?
La cohabitation de toutes les tenues vestimentaires de bain serait-elle au goût des Français ?
François Kraus, directeur du pôle « Genre, sexualités et santé sexuelle » à l’IFOP, a observé auprès de nos confrère d’Atlantico, que ce rejet massif serait moins partagés par les jeunes que les aînés :
« Ce qui ressort, c’est que pour cette jeunesse, la notion de respect et de droit à la différence prime sur quelque chose qui est sans doute perçu par leurs ainés comme un signe d’égalité homme/femme. Il est possible qu’on ne perçoive pas autant la dimension politique d’un vêtement qui doit couvrir le corps d’une sexe mais pas de l’autre. La jeunesse se distingue de la population, ce qui signifie qu’à termes dans notre société, vous aurez une plus grande tolérance face aux différentes visibilités de l’Islam dans notre société. »
on constate aussi que les normes de pudeur évoluent. Par exemple, la pratique du topless diminue aussi sur les plages car elle peut parfois déranger, constate François Kraus :
« 22% des Français rejettent la pratique du topless. Il y a un effet générationnel : plus on est jeune, plus on est gêné – et social : plus on est pauvre, plus on est gêné aussi. Ce sont des effets culturels qui montent, notamment chez certaines personnes de culture arabe musulmane, on a un clair rejet de la nudité féminine »
Alliance citoyenne ne doute pourtant pas d’une possible cohabitation entre tous les individus, si les règlementations actuelles sont abolies. « Si jamais une femme faisant du topless me gêne ou bouscule mes mœurs, bien sûr je changerais d’endroit, confie Anissa avant d’ajouter : Mais nous devons tous pouvoir à accéder à un service public pour lequel on paie des impôts. »
Un débat politique interminable…
À l’été 2016, le maillot couvrant attire toutes les lumières sur lui, lorsque plusieurs maires de France prennent des arrêtés interdisant les tenues religieuses à la plage. Et depuis six ans, dès l’apparition des premiers beaux jours, le débat est perpétuellement relancé par la classe politique. À qui la faute ? Pour Eric Piolle, le gouvernement n’a pas pris ses responsabilités. Il a donc pris sa plume, le 29 avril, pour invoquer Emmanuel Macron à « renforcer les socles de la République. »
« Il y a eu le choix pour moi délibéré de la part du président de la République de laisser une confusion sur le terrain de l’extrême droite sur ces questions-là. Et ça déborde du cadre des piscines bien sûr… »
Nous devons revenir aux fondamentaux, à notre mode de vie à la française : – La loi de 1901 qui garantit la liberté d’association– La loi de 1905 sur la laïcité– Notre système de solidarité nationale1/7
Mais le pire, selon Alliance citoyenne, est que le gouvernement en ne prenant pas position clairement sur la question, oublie les « personnes précaires qui n’ont pas les moyens de partir en vacances » et pour qui l’accès aux piscines publiques de leur commune est primordial, tout en laissant un terrain de jeu immense aux opposants politiques, surtout à droite et à l’extrême droite, dont « la parole est tellement décomplexée. »
« Cela les arrange bien qu’on soit des femmes de ménage, de nous avoir pour faire des gâteaux au kermesses, mais dès qu’on sort de ce cadre-là, c’est compliqué. Actuellement, lorsqu’on écoute les médias, le sujet se cantonne uniquement aux femmes voilées. Et les gens ont dû mal à sortir de cela. Et c’est cela qui bloque la réflexion. Je ne pense pas que ça aurait pris la même ampleur si c’était un autre groupe de femmes qui se serait battus pour ce droit…»
Et les sorties politiques sur le sujet sont nombreuses et quotidiennes dans la presse et sur les plateaux télévisés. Le 2 mai dernier, c’est au tour de Laurent Wauquiez, de réagir aux ambitions de progrès sociaux d’Éric Piolle, via son compte Twitter, en assurant que « Pas un centime des Auvergnats-Rhônalpins ne financera votre soumission à l’islamisme. »
Je mets le maire en garde : dans ce cas 2022
Et cette nouvelle punchline du Président du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, désole le maire EELV de Grenoble qui dénonce « une zemmourisation des esprits qui veut tordre la loi de 1905 pour en faire un véhicule de combat contre les croyants musulmans. »
« Selon l’agenda politique, on se fait régulièrement humilier », constate Alliance Citoyenne, tout en nuançant que les difficultés actuelles d’accès au service public ne sont pas dues aux actions de l’extrême droite, mais plutôt au gouvernement LREM, qui n’a pas hésité lors de son premier mandat à partir en croisade contre l’Islam.
« Sous Macron, il s’est passé des choses de fou : des dissolutions d’associations, des ONG, des mosquées qui sont fermées sans raison… Ce n’est pas l’extrême droite qui a fait cela… Des petits évènements prennent des proportions folles. On se soumet à la loi française, car on l’est, car on vit en France, et on en est fière, mais à un moment donné, il y a des choses qui doivent changer. »
La France définitivement en retard : faut-il un référendum sur le sujet ?
Loin de la France, le port du maillot couvrant, des T-shirts anti-UV ou même la pratique du topless sont tolérés dans de nombreux pays européens, comme la Suède, l’Espagne, ou encore l’Allemagne. Mais alors pourquoi la France, pays des Lumières et de Simone Weil est-elle si en retard sur ses voisins européens ? D’après Eric Piolle, la France est à la traine sur de « nombreux combats progressistes » :
« La France a été en retard pour le mariage pour tous. On l’est dans d’autres domaines comme la légalisation du cannabis. Les raisons de la manière dont on se vêt pour se baigner ne regarde que soi. Nous n’avons pas à poser d’interdits vestimentaires autres que liés à des questions d’hygiène. Nous sommes structurellement en retard. Et il faut agir car les droits des femmes sont fragiles et peuvent potentiellement reculer. »
a demandé qu’un référendum soit proposé aux Grenoblois sur cette levée des interdictions vestimentaires dans leurs bassins, comme l’a relayé Le Dauphiné Libéré.
Madmoizelle
Alliance Citoyenne encourage cette idée, car elles l’ont déjà faites en septembre 2021, et Madmoizelle les avait suivies lors de leur quête des signatures nécessaires afin de lancer un atelier d’initiatives citoyennes sur le sujet. Le processus de consultation citoyenne avait été cependant quelque peu bousculé…
Deviendra-t-elle la collectivité territoriale qui fera figure d’exemple pour les suivantes barbotant dans le même bassin de liberté, d’égalité et surtout de fraternité ?…
« Rien ne dit que le maillot couvrant est un problème au regard de la loi » : à Grenoble, les féministes font trembler la mairie sur le burkini