comment la DSI d'ACC a construit un système d'information en partant de zéro


Projets

le 12 Juillet 2023

Lusine de Billy-Berclau-Douvrin : plus de 600 mtres de long sur 100 de large. Pour optimiser lempreinte de sa premire gigafactory, ACC a mis sur un jumeau numrique, via un partenariat avec Siemens. (Photo : ACC)

Dans les Hauts de France, la premire gigafactory franaise de batteries pour l’automobile est sortie de terre. Pour supporter cette activit nouvelle, la DSI d’ACC, l’industriel la tte de ce projet a bti un systme d’information en un temps record. Reportage.
PublicitUn paquebot de plus de 600 mtres de long pos sur l’ancien site de la Franaise de mcanique, cheval sur les communes de Billy-Berclau et Douvrin, entre Lens et Lille. La premire Gigafactory de France s’apparente encore une ruche. Prs d’un millier d’ouvriers – dont de trs nombreux Corens et Chinois qui livrent l’essentiel des machines au coeur du processus industriel complexe de production des batteries -, s’affairent encore la finalisation de l’usine qui doit livrer ses premiers modules de batteries Stellantis en novembre prochain. Un calendrier contraint qui pousse ACC (Automotive Cells Company), l’industriel qui porte ce projet et qui est soutenu par l’tat et des actionnaires majeurs (TotalEnergies, Stellantis et Mercedes-Benz), commencer la prise en main du futur appareil de production. Les 300 premiers salaris de l’usine de Billy-Berclau Douvrin (ou BBD) sont dj pied d’oeuvre. Le site est appel atteindre les 1200 salaris en 2025, selon les plans d’ACC.Ct informatique, Franois Carrot, le DSI, doit faire face des contraintes similaires : livrer rapidement un systme d’information minimal, tout en construisant celui de demain, quand l’entreprise comptera 3 gigafactories (Billy-Berclau-Douvrin, Kaiserslautern en Allemagne et Termoli, en Italie) et emploiera plus de 10 000 personnes. Nous sommes partis d’une page blanche, mais en voyant grand, dit le DSI, recrut en novembre 2020 aprs une carrire d’une trentaine d’annes dans l’automobile. Un des enjeux consiste accompagner le passage l’chelle du jeune industriel – ACC est n dbut 2020 -, avec d’abord la naissance en 2021 du centre de R&D de Bruges ( ct de Bordeaux), d’o sont sortis les premiers modules, puis la cration de l’usine pilote de Nersac, en 2022. Et, dsormais, Billy-Berclau-Douvrin, sur une chelle qui est tout autre. Le premier bloc en cours de finalisation – l’usine doit en possder 3 terme – affiche une capacit de production de 13,4 GWh en 24/7, 365 jours par an. De quoi quiper 100 000 200 000 vhicules ! Aucun modle rpliquer Sur le plan IT, partir d’une page blanche est videmment une chance unique, reprend le DSI. Sauf qu’il n’existait aucun modle que nous aurions pu rpliquer. Et il fallait construire le systme d’information trs vite pour rpondre aux besoins essentiels d’ACC, et surtout le construire en mme temps que se construisait l’entreprise, son centre de R&D, son organisation, ses usines . Si le dpartement IT peut un temps s’appuyer sur les actionnaires de la socit pour certaines fonctions transverses (comptabilit et paye), l’essentiel de sa feuille de route dcoule des attentes du Pdg, Yann Vincent.Franois Carrot, le DSI d’ACC ( gauche) et Lionel Taisne, le responsable IT de la gigafactory de Billy-Berclau-Douvrin. Derrire eux, l’alle principale de l’usine, mesurant plus de 600 mtres de long. (Photo R.F.)PublicitEn tte de liste, la volont de rattraper le retard pris sur les industriels asiatiques. D’o une exigence de performances, de matrise des cots de revient et de rduction des rebuts, en particulier le taux de modules de qualit insuffisante (en jargon, le scrap, NDLR) qui doivent tre recycls. D’emble, il nous a demand d’exploiter la data au maximum pour matriser ces paramtres, reprend Franois Carrot. ACC a traduit son ambition sur les datas en crant une entit ddie la valorisation de la data, entit dirige par un CDO (Chief Data Officier).Pour le dmarrage de la production, ACC prvoit de mesurer la qualit chaque tape d’un processus de fabrication qui en compte neuf. Si nous ne rentrons pas dans le dtail, nous ne progresserons pas sur le rebut (le taux de cellules dfaillantes, NDLR), dit le DSI. (Photo : ACC)Autre lment clef point par le dirigeant, et trs sensible dans les choix effectus par Franois Carrot et ses quipes : la cyberscurit. En particulier la capacit protger l’appareil de production des menaces externes. Parce que c’est un des moyens les plus simples de nous faire prendre du retard dans la comptition mondiale qui s’amorce ! , pointe le DSI. Pour l’instant, au sein de la gigafactory BBD encore en chantier, les machines restent la proprit de leurs fabricants asiatiques. Ds que le transfert de proprit sera act, nous mnerons un audit de scurit pour traquer les ventuelles failles et autres accs distances, dtaille Lionel Taisne, le responsable informatique de la premire usine ACC.Traabilit : au niveau de l’agroalimentaire et de la pharmacieLe Pdg imprime encore deux autres priorits sur la feuille de route de la DSI : le respect de la politique RSE du groupe – sans oublier la contribution de l’IT la matrise des missions de l’entreprise – et la traabilit sur toute la chane de fabrication, en raison de la dangerosit des produits manipuls. Les exigences en matire de responsabilit sociale et environnementale sont essentielles. partir de chaque cellule en bout de chane, il faut tre en mesure de remonter au feuillard (une feuille d’aluminium ou de cuivre o sont enduites les encres, NDLR) et aux matires premires, le lithium et le manganse. Ce lien de gnalogie est au niveau de ce qu’on trouve dans l’agroalimentaire ou la pharmacie, indique le DSI.Ces gigantesques armoires, installes en bout de chane, servent tester les cellules, via des cycles de charge et dcharge. ACC entend utiliser le machine learning pour pronostiquer la courbe de dcharge et ainsi couter ce processus qui s’tale sur plusieurs jours. (Photo : R.F.)Cette feuille de route exigeante, couple au calendrier serr de monte en charge de l’activit, pousse la DSI travailler avec une double focale. Il faut la fois livrer court terme des systmes, car les attentes sont fortes, tout en nous prparant rpondre aux ambitions affiches deux ou trois ans, rsume Franois Carrot. Aujourd’hui compose d’une quarantaine de personnes au niveau central (des quipes informatiques sont aussi dployes dans les usines, qui conservent une forte autonomie en matire d’IT, voir encadr), l’IT d’ACC est dcompose en six groupes, refltant les problmatiques essentielles auxquelles l’entreprise fait face : infrastructures et cyberscurit ; ERP ; ingnierie, industrialisation et qualit (autour du PLM essentiellement) ; fonctions transverses (comme les RH) ; gestion de la donne ; et, enfin, manufacturing, autour du MES (o Aveva de Schneider Electric a t retenu). Notre mthode de travail consiste travailler dlibrment en silos, avec peu d’interfaces, pour que chacun puisse avancer son propre rythme, dtaille le DSI. Mais nous avons veill dfinir nos donnes de rfrence pour crer des interfaces dans un second temps. Matrise de la logistique : avancer tape par tapePour avancer rapidement, Franois Carrot a mis ce qu’il prsente – avec le sourire – comme un oukase : ne prendre que des systmes sur tagre, sans dveloppement spcifique . Exemple emblmatique de cette volont de rester dans le standard pour aller vite : l’implmentation de l’ERP QAD en quatre mois, pour la finance et les achats indirects. D’abord install on-premise, le progiciel a depuis migr sur un cloud, pour accompagner la stratgie de l’diteur. notre demande, cet environnement a t install chez OVH, au lieu d’IBM qui est l’hbergeur habituel de QAD, prcise Franois Carrot. L’ERP a galement t tendu la logistique et aux achats directs, un enjeu majeur tant donn le cot des flux de matires que manipulera ACC. Nous avancerons par tapes. Pour l’instant, ces processus sont supports par notre ERP. Mais, quand il faudra aller plus loin sur la gestion des transports ou les prvisions – ds 2024 -, nous envisagerons des systmes complmentaires, dit le DSI.Sur le flanc du premier btiment de la gigafactory, d’anciens btiments de la Franaise de Mcanique ont t rass et le terrain terrass. C’est ici que sera construite la seconde tranche, attendue pour fin 2025 ou dbut 2026. (Photo : R.F.)Pour ce dernier, un autre sujet embarque encore davantage de complexit : le MES. Car nous devons construire le systme tout en amliorant notre matrise des process de fabrication . Le spcialiste interne du sujet vient tout juste d’tre recrut. Cette question de la matrise du processus industriel est galement central dans l’exploitation de la donne : l aussi, la DSI doit rcuprer les donnes issues de ses processus de fabrication tout en livrant les premires analyses, essentielles la matrise de la qualit. Le centre de R&D ainsi que l’usine pilote de Nersac ont permis de rcolter de premiers jeux de donnes issus des quipements. Notre quipe data s’en est servi pour btir de premires applications portant sur la gnalogie des produits et proposer de premiers tableaux de bord. Une app pour tablette a galement t dveloppe pour que les oprateurs puissent saisir des informations, relve le DSI. Pour la rcupration des donnes des machines, nous avons appris au fil de l’eau, abonde Lionel Taisne.La donne l’chelle d’une gigafactoryMais la gigafactory des Hauts-de-France place la barre encore bien plus haut. Tant en matire d’chelle (par exemple, une seule machine d’empilage est prsente dans l’usine pilote, l o 46 seront dployes BBD ! ), qu’en matire de diversit des quipements dploys. Nous faisons face un travail important de matrise des donnes. Chaque quipementier peut nous fournir un certain nombre de variables. En dehors du fait que celles-ci ne sont pas forcment traduites depuis le Chinois ou le Coren, il faut dterminer quoi elles correspondent et leur utilit relle, rsume Lionel Taisne. Les quipes d’ACC sont donc en train de construire des tables d’change entre les formats sources et les formats cibles, tables que l’industriel prvoit d’intgrer ses futurs appels d’offres, qui seront lancs pour ce que la socit appelle sa Wave 2 (soit la seconde tranche de BBD, la premire de Kaiserslautern et deux tranches Termoli). Pour l’instant, nous sommes encore trs loin du monde rv de l’OPC UA* plug & play, glisse Franois Carrot.* : OPC UA (Open Connectivity – Unified Architecture) est un standard d’change de donnes facilitant l’interoprabilit des systmes industriels. La norme est maintenue par la fondation OPC, consortium industriel spcialis sur les standards de l’automatisation.

Une Gigafactory qui n’aura pas la tte dans les nuages

Chez ACC, le choix est clair et assum : chaque gigafactory disposera de sa propre quipe IT et de ses quipements en local. Billy-Berclau-Douvrin, deux personnes au support de proximit, ainsi qu’un ingnieur rseau et systmes, un chef de projet data et un expert MES viennent entourer le responsable IT du site, Lionel Taisne. Nous avons besoin de proximit avec les mtiers et les automaticiens, notamment pour recueillir leurs besoins en matire de projets data, dit ce dernier.Ct rseau et infrastructures, la gigafactory se traduit d’ores et dj par des dploiements consquents : 500 bornes WiFi Cisco, 64 kilomtres de fibre optique, une baie ddie pour chacune des 64 salles sches (certaines parties du processus se droulant dans des salles blanches, pour viter les contaminations), deux mini-datacenters chaque bout du btiment (avec un coeur de rseau Cisco et des serveurs HPE).L’un de deux datacenters – encore en cours d’installation – situ une des extrmits de l’usine de Billy-Berclau-Douvrin. (Photo : R.F.) Notre systme doit tourner constamment et de faon trs scurise. Par ailleurs, nous avons des machines sensibles aux interruptions rseau sur les processus de traitement lectrique, prcise Lionel Taisne. Des caractristiques qui, couples aux considrations gopolitiques jamais trs loin des rflexions d’ACC, ont pouss la DSI carter le cloud pour toutes les applications lies au process industriel, hors traitement de la donne. Nous avons privilgi une informatique 100% locale, avec des sauvegardes croises entre sites. Notre volont est clairement de minimiser les flux vers l’extrieur, rsume le responsable IT de BBD.

Article rdig par

Reynald Flchaux, Rdacteur en chef CIO Suivez l’auteur sur Twitter

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