En cette période de confinement, Alexandre Aja surfe sur la névrose ambiante en nous dévoilant l’anxiogène “Oxygène”, un film qui a été pensé cinq ans avant sa sortie Netflix, le 12 mai.Le réalisateur de La Colline a des Yeux (2006), Piranha 3D (2010), Horns (2014), ou encore Crawl (2019), déjà réputé pour son goût pour les thrillers angoissants à la pointe de l’Horreur, continue sa lancée avec un oppressant huis-clos, une thématique qui lui est chère. Adepte du rendu américanisé, Alexandre Aja ne fait pas d’exception avec ce thriller de science-fiction aux effets grandioses, dont l’interprète principale est Mélanie Laurent.
Synopsis
“Une jeune femme, Liz, se réveille seule et bloquée dans une unité cryogénique, sans pouvoir en sortir. Elle ne semble pas se souvenir de son identité, ni de comment elle s’est retrouvée dans un caisson de la taille d’un cercueil. Afin de comprendre ce qu’il lui arrive, elle doit puiser dans sa mémoire”.
L’Histoire
Elizabeth Hansen (Mélanie Laurent) se réveille dans une unité cryogénique* (*unité dont la température est inférieure à -150°C afin de comprendre les phénomènes physiques qui s’y manifestent), pensant au départ qu’elle se trouve dans un hôpital, atteinte d’une maladie grave. Il semble très vite évident que le lieu et les raisons de son enfermement n’ont rien à voir avec une potentielle maladie.
Une angoissante épopée
Nous introduisant au huis clos dès le départ, le film nous emporte assez rapidement dans une frénésie constante liée aux angoisses et aux incompréhensions du personnage face à sa situation.
Plusieurs éléments nous annoncent un film qui ne nous laissera pas respirer de si tôt:
pour la rassurer, lui dit qu’il a lui-même vécu une situation d’enfermement similaire lorsqu’il était pris en otage pendant l’armée et enterré sous terre.
Or, le pitch de Buried est le suivant: “Paul, un entrepreneur américain, est pris en otage et enfermé sous terre dans une boîte. Son temps lui est compté et il doit trouver une solution avant de trouver la mort”.
Autre élément qui annonce l’ambiance oppressante du film : Elizabeth se réveille sans connaître son identité et pleine de questionnements, ce qui induit qu’en plus de devoir sortir d’une boîte, elle doit comprendre qui elle est.
Ainsi, d’emblée, le personnage est confronté à une double problématique qui amplifie sa situation, déjà très peu confortable. Il est intéressant qu’Alexandre Aja ait tenu à lier ces deux problématiques et à les rendre aussi importantes l’une que l’autre, de sorte à ce qu’elles en deviennent indissociables. Autrement, bien que cela ne soit pas une évidence normalement première, Liz doit comprendre qui elle est pour pouvoir sortir de l’unité cryogénique.
Pourquoi ?
Cette AI porte le nom de Milo. La voix masculine de Milo est apathique et peu rassurante, ne compatissant pas à la situation de Liz, qui lui pose plusieurs questions auxquelles elle ne reçoit que des réponses brèves et approximatives de la part du robot. En soi, la mise en place d’une technologie futuriste au sein de l’unité, nous indique déjà fortement que Liz ne se trouve pas dans un hôpital lambda.
Pendant un bref appel téléphonique avec ce qui semble être la police, Liz pose une question à Milo : combien de temps lui reste-t-il avant que sa boîte d’oxygène ne se vide complètement ? Nous constatons que Liz commence le film avec une jauge d’oxygène d’environ 33%, ce qui semble correspondre à 42 minutes avant que l’oxygène ne s’évapore. Autrement, tout le film est régi par un chronomètre lié à une jauge d’oxygène. Aussi, de la même qu’un jeu vidéo, le film se construit par niveaux, en quelques sortes.
Pour que Liz sorte de l’unité, il lui faut comprendre son origine. De même, pour qu’elle comprenne qui elle est, elle doit poser les bonnes questions à Milo. Cela signifie que le film et le personnage avancent grâce à une forme de système de récompenses.
“En appuyant sur tel bouton, ou posant telle question, vous débloquez un niveau”.
Bien entendu, le système de jauge crée davantage de stress chez le personnage. Que se passe-t-il lorsque l’on vous dit de ne pas penser à un cheval blanc ? Vous pensez à un cheval blanc.
La situation de Liz est similaire : elle sait que son temps lui est compté- d’autant que Milo ne cesse de lui rappeler par le pourcentage de sa jauge- et pourtant, elle ne peut s’empêcher, à plusieurs reprises, de perdre le contrôle, en respirant de manière saccadée; ce qui, précisément, fait baisser la jauge plus rapidement et la rend plus anxieuse.
Des questionnements pour le personnage mais aussi pour le spectateur
Malgré des crises d’angoisse effrénées, Liz prend doucement le contrôle de sa situation, enfermée dans sa boîte.
Son rapport avec Milo, notamment, change.
Liz comprend assez rapidement, au cours du film, que Milo donne des informations comme un ordinateur échangerait des données scientifiques. Autrement, ses questions doivent être formulées de manière à ce que l’ordinateur la comprenne. Un “Qui suis-je ?” doit très vite se transformer en un “Identité du patient”.
Le rapport qu’entretient Liz avec Milo évolue en fonction de la prise de conscience progressive de Liz.
Ce qu’on apprend
Au fur et à mesure que le film avance, nous en savons un peu plus sur Liz et son passé, rendant certaines pistes deviennent évidentes quant à sa compréhension et son adaptation rapide à sa situation, qui est celle de parler à une AI pour avoir des réponses. En effet, une question très simple nous vient à l’esprit durant le visionnage du film : si Liz avait été une citoyenne lambda, comment aurait-elle su tout ce qu’elle sait sur les codes et le vocabulaire scientifico-médical lui permettant de se sortir de sa situation ? Nous apprenons ainsi qu’elle n’est pas une citoyenne lambda, mais une doctoresse accomplie et réputée, ayant remporté de nombreux prix scientifiques.
Elle est ou a été mariée à un docteur également, Léo, dont la situation, dans le film, est floue.
Des indices (très) révélateurs
Les informations se déroulent petit à petit et Liz pose les bonnes questions à Milo. Très rapidement dans le film, elle demande à Milo qui elle est; ce à quoi Milo répond qu’elle est la « bioforme Omicron 267”.
Le langage biologique de l’AI est particulièrement révélateur de la véritable nature de Liz. Une nature d’autant plus évidente que cette dernière ne cesse d’avoir des hallucinations/souvenirs/cauchemars représentant des rats de laboratoire par centaines. Autrement, les indices sont, avec peu de filtres, exposés de façon à ce que nous comprenions qu’elle est la représentation d’un clone.
Liz est donc la représentation clonée de Elizabeth Hansen, doctoresse de renom dont le travail principal est de sauver la race humaine vouée à disparaître dans deux générations à cause d’un virus sur Terre. Une nouvelle planète (ou du moins une partie très précise se situant à la frontière du chaud et du froid de cette planète) a été trouvée par les scientifiques pour que les êtres humains puissent y vivre et se reproduire.
Liz prend très vite contact avec les êtres humains qui lui répondent ! Le contact avec des êtres humains et pas uniquement avec Milo, est important dans le film et permet au réalisateur de brouiller les pistes.
Bien qu’elle semble avoir des facilités peu évidentes pour tous dans le domaine de la biologie, Liz interagit de manière normale avec les personnes qu’elle a au téléphone. Ses comportements et ses émotions dûs à la situation dans laquelle elle se trouve, sont tout aussi légitimes. Il est vrai que la mise en place de l’appel à distance, bien qu’il semble peu probable, permet de nous rapprocher du personnage de Liz, et bien entendu, d’avoir des réponses avec elle.
Liz parle avec deux interlocuteurs majeurs au téléphone. Une troisième interaction est faite avec la mère de Liz, mais elle permet d’instaurer une séquence émotionnelle plus qu’une mise en place de réponses. Les trois interactions sont très différentes et peu liées entre elles en termes de répercussion émotionnelle.
bien que la conversation prenne un autre tournant plus tard dans le film, puisque il s’avère qu’il ment sous les ordres du gouvernement.
La seconde interaction est avec une femme âgée que Liz appelle car elle souhaite initialement parler à Léo, son mari, en comprenant qu’il existe.
La femme, d’abord froide et peu avenante raccroche à plusieurs reprises, choquée par cet appel étrange. Il n’y a pas vraiment moyen de savoir ce qu’il s’est passé sur Terre pour que la femme rappelle Liz et veuille absolument lui parler. Après quelques séquences humoristiques de “je décroche/tu raccroches”, Liz entend son appel.
Nous comprenons que la femme au téléphone est la véritable Elizabeth Hansen; celle qui a dirigé le travail d’une vie à la repopulation de la race humaine, car le monde se meurt. Que Liz dans la capsule est son clone, plus jeune. Mais surtout, nous apprenons que Liz se trouve dans une capsule spatiale depuis douze ans, avec dix milles autres prototypes se dirigeant vers la nouvelle planète en question.
Autrement, depuis une capsule qui circule dans l’Espace depuis maintenant douze années, il est très possible de converser au téléphone avec des personnes à Paris !
Liz se parle donc à elle-même lors de ces échanges, ce qui est aussi un moyen d’indiquer que le travail d’introspection et d’acceptation de soi est primordial à la résolution de son problème. Alexandre Aja se sert de cette métaphore de la conversation du “moi” au “je” également pour lancer le postulat de la remise en question et que, rarement une solution est envisageable si la personne ne se pose pas les bonnes questions propres à son bien-être personnel.
Un sentiment de déjà-vu
Une autre différence assez flagrante avec Buried, c’est que le sentiment d’enfermement de Liz semble être légitime.
Lorsque l’on déduit assez rapidement que Liz est un clone, une étrange sensation de non inquiétude se fait sentir. Parce que Liz n’est pas humaine, elle va s’en sortir. Autre chose, le voyage dans l’Espace, indiqué par une raison peu expliquée, qu’elle peut survivre à des choses que l’Homme ne peut physiquement pas faire.
Pour ma part, j’ai eu la nette impression que Liz devait absolument remettre tous les fils qu’elle avait enlevé depuis longtemps, car le sédatif incessamment proposé par Milo, et même devenu la “running joke” est LE moyen nécessaire pour qu’elle se rendorme et ne perde plus d’oxygène. C’est très vite évident et pourtant, nous devons assister à cette acceptation identitaire de Liz pour qu’elle prenne cette décision de se rendormir. Il fallait donc que 1/ Elle se rende compte de qui elle est, et où elle se trouve 2/ Qu’elle comprenne les raisons de sa situation 3/ Qu’elle le voit à l’oeuvre afin qu’elle puisse y croire et enfin 4/ Qu’elle comprenne que tout va aller pour le mieux et qu’elle n’est pas seule (ref à la séquence où elle découvre que Léo, son mari mort sur Terre de la maladie qui frappe tous les humains, a aussi été cloné pour qu’ils puissent se retrouver).
Autrement, le film est assez prévisible car construit de manière très classique, ce qui rend les réponses évidentes une fois qu’on les a reçues. Il n’en est pas moins un divertissement adapté à une réflexion sur une situation que le monde subit depuis 2020.
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