Choisir dignement sa fin de vie, une question d’humanité et de libertés



Publié le 28 juillet 2023


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C’est bien connu, la loi a toujours un temps de retard par rapport à l’évolution des mœurs. Alors que les Français semblent aujourd’hui largement en faveur d’une plus grande autonomie donnée aux individus dans le choix de leurs fins de vies, la loi française est encore trop timorée et ne semble pas en phase avec la société.
C’est certainement pour rattraper ce retard qu’un projet de loi est en préparation, et devrait être débattu au Parlement à partir de septembre.

Depuis quelques mois, les « avis » s’enchaînent : avis 139 du Comité consultatif national d’éthique (septembre 2022), Commission parlementaire d’évaluation de la loi Caleys-Léonetti (mars 2023), Convention citoyenne sur la fin de vie (avril 2023)… et le dernier en date, celui de l’Académie nationale de médecine pour « favoriser une fin de vie digne et apaisée ».

Que dit l’avis de l’Académie de Médecine ?

 
L’avis insiste sur la nécessité de maintenir le socle législatif actuel en l’améliorant pour « mieux protéger les plus vulnérables » et « répondre à certaines souffrances non couvertes par la loi actuelle ». Une tension traverse tout le texte, entre d’un côté la volonté de donner davantage d’autonomie aux individus, et de l’autre celle de vouloir protéger ces mêmes individus des « dérives auxquelles pourrait donner lieu l’évolution du cadre législatif ».

Concrètement, selon l’Académie, les axes d’améliorations du système législatif français concernent les personnes dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme, mais dont la situation de détresse physique et psychologique pose une véritable question de dignité humaine. L’avis se montre favorable à des changements afin d’offrir à ces malades un moyen d’abréger leurs souffrances.
Contacté par la rédaction de Contrepoints, Philippe Lohéac, Délégué général de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), note que « cet avis marque un revirement très important dans la doctrine médicale puisque même cette institution, peu suspecte de libéralisme et de modernisme, reconnaît un certain droit à l’autodétermination ».

S’il se félicite que « l’institution de la rue Bonaparte, en disant à son tour que l’aide active à mourir n’est pas incompatible avec la prise en charge de la fin de vie, pèsera dans les débats », il regrette cependant que « cet avis à minima ne préfigure pas la grande loi de liberté que les Français attendent ».

Oui au suicide assisté… non à l’euthanasie…

 
En effet, l’Académie se prononce en faveur d’une extension de l’assistance au suicide (mettre un produit létal à la disposition d’une personne qui le demande et se l’auto-administre) mais s’oppose à une légalisation de l’euthanasie (administration par un tiers d’un produit à un patient qui en fait la demande). Les raisons invoquées sont les suivantes.

D’abord, l’euthanasie « transgresse le Serment d’Hippocrate », qui expliquerait les « vives réserves et les inquiétudes de la majorité des professionnels de santé ». Aussi, il est préférable de « respecter l’hésitation et l’incertitude du choix ultime du patient ».
Bien sûr, l’Académie a raison d’insister sur la nécessité d’avancer prudemment sur cette question.

Il n’est pas question de considérer qu’il faille abandonner toute personne en grande souffrance psychique, qui, momentanément, se trouverait dans une telle situation de désespoir que rien d’autre que la mort ne pourrait les délivrer. Des garde-fous solides doivent exister afin d’éviter toute dérive.
Mais il reste que le choix d’évacuer l’euthanasie est un véritable problème.

En effet, il va maintenir des personnes dont la demande est légitime et pleinement réfléchie dans une souffrance aussi inutile qu’inhumaine. L’assistance au suicide requiert en effet d’avoir les capacités physiques d’effectuer soi-même le geste ultime. Sans légalisation de l’euthanasie, de nombreuses personnes seront donc de fait toujours exclues de ce droit de choisir une mort digne.

Pour le Délégué général de l’ADMD, « très vite, il apparaîtra injuste aux académiciens – et avec eux, à tous les Français – que la loi française ne réponde pas aux demandes de ceux qui, comme Vincent Humbert, comme Vincent Lambert – par l’intermédiaire de son épouse – comme tous ceux qui sont enfermés dans leur corps du fait, par exemple, de la maladie de Charcot, ne sont plus aptes à pratiquer eux-mêmes un geste de libération et n’ont donc pas accès à cette liberté ultime ; il faudra alors rouvrir les débats. »
 

Vers une conception libérale de la fin de vie ?

 
Je me propose à présent de pousser la réflexion encore plus loin.
Les débats actuels se concentrent sur des cas bien précis : si le pronostic vital est engagé à court terme ; si le pronostic vital n’est pas engagé à court terme, mais les personnes souffrent de maladies graves et incurables, sources de souffrances inapaisables.

L’expression d’une volonté par un individu ne se fait pas toujours en situation de « souveraineté absolue », et il serait naïf de penser l’inverse. Nos maigres connaissances sur le fonctionnement du cerveau et de la psychologie humaine suffisent à nous montrer qu’un individu peut, dans certaines circonstances, perdre toutes capacités de discernement, d’autonomie et donc de responsabilités. On peut citer par exemple certains troubles psychiatriques, ou encore certaines situations d’emprise[1].

Là encore, l’Académie a raison d’insister sur la nécessité d’un cadre et de garde-fous.
Mais dans d’autres situations, le choix de la mort n’est pas imposé par la souffrance d’une maladie incurable, mais par une philosophie personnelle, une conception de la vie particulière. C’est le cas de la militante pour le droit à mourir dans la dignité, Jacqueline Jencquel, qui avait expliqué en 2018 avoir fait le choix de ne pas attendre la maladie pour mourir parce que, disait-elle, « la perte d’autonomie, c’est la fin de la vie ».

Cela l’avait poussé à fixer une date pour son suicide assisté en janvier 2020[2].
Dans ce genre de cas, l’individu qui fait ce choix est en pleine possession de ses moyens : il est souverain. Si le corps médical n’est pas capable de démontrer une altération du discernement, alors personne ne devrait l’empêcher d’aller au bout de son projet.

On ne saurait voir autre chose qu’une forme de paternalisme moral dans le fait d’expliquer à quelqu’un qui prendrait cette décision, certes marginale et critiquable, qu’il fait une erreur et qu’on va le sauver de ses errements.
Pourquoi, au fond, ne serait-il pas respectable de refuser de s’imposer l’épreuve de la vieillesse si, pour des raisons qui nous appartiennent, on considère que cette vie-là ne vaut pas le coup d’être vécue ? L’indépassable subjectivité des individus et de leurs vécus doit imposer au pouvoir politique une grande humilité dans son devoir de protection de l’individu.
Aucun pays dans le monde n’est allé aussi loin dans le droit à la fin de vie.

Bien sûr, un cadre légal strict serait nécessaire afin d’éviter toute dérive. Mais la question mérite au moins d’être posée. La mort est une étape trop importante de la vie d’un homme pour qu’on lui enlève le droit de la choisir librement et dignement.

 

[1] Nous utilisons le terme d’emprise en ayant conscience de l’existence de certains abus de langage autour de cette notion dans l’utilisation « populaire » du terme. Cependant, de nombreuses études en psychologie sociale consacrent l’existence d’un tel phénomène.
[2] Madame Jencquel a finalement décidé de repousser la date de son suicide assisté en raison de l’épidémie de Covid et du confinement.

Fin 2020, elle avait annoncé dans le magazine Marianne renoncer à la planification précise de sa mort, tout en conservant ses convictions et son projet de décider elle-même de la fin de sa vie. À l’âge de 78 ans, Jacqueline Jencquel a mis fin à ses jours le 29 mars 2022 à Paris, sans avoir recours à une assistance médicalisée…