French Tech : trouver des clients, nouveau nerf de la guerre : DECIDEURS MAGAZINE


Si vous prenez le train, il ne vous a pas échappé que le personnel de la SNCF est équipé de smartphones augmentés. Les contrôleurs les utilisent lorsqu’il s’agit de retrouver votre billet par exemple. En tout, 23 000 agents de la relation client des activités TGV-Intercités et TER arborent un Crosscall.

Ces téléphones mobiles antichocs, étanches et endurants sont français. Bonne nouvelle, cet été la SNCF renouvelait sa confiance pour cinq ans dans la start-up en sélectionnant son modèle Stellar-X5.
Un an de recul
Développer ce type de contrats qui valent de l’or, c’est la mission que s’est donnée la French Tech.

« Une start-up doit avant tout faire du business et aller vite, explique Julie Huguet, nouvelle directrice de la Mission French Tech. Les levées de fonds servent à cela, mais les mises en relation sont aussi très importantes. » Afin d’ »industrialiser » la pratique, l’entité gouvernementale a présenté en 2023 un plan, baptisé « Je choisis la French Tech ».

Objectif ? Passer de 6 milliards d’euros de commande publique et privée en 2022 à 12 milliards en cinq ans. Un an après le lancement du plan, 87 partenaires institutionnels (Station F, Business France, ministères…) et 524 entreprises s’étaient engagés, dont 20 % de grands groupes, parmi lesquels la SNCF, BNP Paribas, Veolia ou encore Carrefour. Huit ont même promis de déployer 685 millions d’euros d’ici à 2027 pour l’achat de solutions issues de l’écosystème French Tech.

« Le programme concerne autant les grands comptes du CAC 40 que les ETI », précise toutefois Julie Huguet.
Innovation
Selon le premier rapport de l’Observatoire des relations entre start-up et grands comptes publié cette année, sur les 41 entreprises du secteur privé étudiées, la médiane du niveau d’achats auprès des jeunes entreprises tech se situe à 2,3 % contre 2,4 % en 2022. Le secteur public affiche, lui, un taux de 1 %.


71 % des grands comptes déplorent l’insuffisance de réponses des start-up à leurs appels d’offres

Dans quels cas des liens commerciaux se nouent-ils ? « Les grands groupes font appel aux start-up soit pour leurs besoins courants soit pour arriver à innover plus vite », constate Julie Huguet. Dans le premier cas, Alan, Malt et WeMaintain ont répondu à des appels d’offres. Dans le deuxième, Verkor a signé un partenariat commercial de long terme avec Renault pour la fourniture de batteries bas carbone haute performance.

Manque de connaissance
Quels sont les freins à ce type de relations commerciales ? Contrairement à une idée reçue, les grandes entreprises ne s’inquiètent pas de la possibilité de voir les sociétés récentes avec laquelle elles travaillent fermer boutique. Ce risque est jugé par 53 % d’entre elles assez faible et seules 15 % le considèrent comme un obstacle à leur collaboration. « Nous devons aussi prendre des risques, affirme Julien Nicolas, directeur numérique groupe et président 574 Invest chez SNCF.

Il n’est pas impossible que les sociétés soient confrontées à des difficultés mais nous avons toujours la capacité à réduire les risques en trouvant des solutions pour pouvoir continuer à opérer lorsqu’il ne s’agit pas de sujets critiques. »
Du point de vue des grands comptes, en revanche, le principal obstacle avancé à la collaboration avec une entreprise qui démarre tient – pour 55 % – au manque de connaissance des offres existantes. Par ailleurs, 71 % déplorent l’insuffisance de réponses des start-up à leurs appels d’offres.

Les difficultés rencontrées par les jeunes pousses se concentrent, elles, principalement autour de la longueur excessive du cycle de vente (69 % pour le secteur privé et 68 % pour le secteur public), puis du manque de contacts et d’opportunités de rencontres avec les prospects (66 % et 63 %). Les jeunes pousses se plaignent également de la longueur des délais entre la prise de contact avec un grand compte et l’effectivité des décisions.
Accélérer
Mettre en relation les deux mondes n’est pas nouveau.

Certaines entreprises bénéficiaient de ces opportunités grâce à la French Tech. « Nous avions déjà des liens avec la French Tech, explique Julien Nicolas. Nous avons besoin de l’écosystème tech pour continuer à nous transformer et à proposer les meilleurs services à nos clients. »

Pour sa part, Crosscall est en relation depuis cinq ans avec l’organisme gouvernemental et a fait partie quatre années du Next40. « Les start-up considérées comme des entreprises tech à fort potentiel de développement sont accompagnées de façon rapprochée, notamment grâce à des mises en relation avec de grands acteurs de l’économie à qui elles apportent des solutions technologiques », rapporte Fabrice Panzani, attaché à la direction de Crosscall.
Si les sociétés du Next40 et du Next120 ont déjà des liens privilégiés avec la mission, l’initiative « Je choisis la French Tech » a pour objectif d’encourager davantage d’entreprises à choisir les solutions des sociétés innovantes.

Ce qui passe notamment par la formation. C’est pourquoi Bpifrance propose depuis janvier 2024 son programme Dapi pour aider les directions des achats des grands groupes à accélérer leurs collaborations avec l’écosystème tech. Au sein de la première promotion : L’Oréal, Société générale, La Poste ou encore Spie.

Les start-up, pour leur part, bénéficieront bientôt de formations avec OpenClassroom afin de les éclairer sur la commande publique. « Elles ont souvent une méconnaissance du fonctionnement d’un grand compte et de leurs systèmes d’appels d’offres », note Julie Huguet.
Pédagogie
Les grands groupes peuvent également s’engager à expliquer leur mode de fonctionnement.

« Nous accompagnons les start-up dans leur compréhension de l’écosystème SNCF : comment faire pour être référencé à la SNCF, comment fonctionnent nos appels d’offres, comment y répondre. Ce n’est pas si compliqué mais les start-up ne sont pas toujours structurées pour pouvoir le faire », ajoute Julien Nicolas. La SNCF a ainsi une personne dédiée à cette question qui redirige les entreprises envoyées par la French Tech vers le bon interlocuteur.

À l’entreprise ensuite de savoir transformer l’essai. « Tout se fait dans un cadre concurrentiel, rappelle Fabrice Panzani. Parfois nous gagnons les marchés, parfois non. »

Les grands comptes sont aussi poussés à faire de la pédagogie auprès de la direction des achats afin de mieux communiquer sur les périodes d’appels d’offres et la manière d’y répondre : « Du côté des acheteurs, nous avons fait en sorte que nos processus soient lisibles pour que les start-up puissent concourir », affirme Julien Nicolas.
Serrer les bonnes mains
À la pédagogie s’ajoutent des rencontres en chair et en os. La première année, plus de 5 000 rendez-vous commerciaux ont été organisés par la French Tech pour permettre à 2 000 de ses poulains de rencontrer des prospects.

De quoi mettre le pied à l’étrier aux start-up qui peinent parfois pour savoir qui appeler au sein des grands groupes tant les organisations peuvent être tentaculaires.


En Europe et en France, les start-up ont un avantage compétitif sur le sujet RSE

« La French Tech nous met en relation avec les grands comptes qui ont besoin de nos solutions, explique Fabrice Panzani. Les ETI comme les nôtres font face à la concurrence de multinationales asiatiques.

Nous n’avons pas leurs moyens marketing pour faire connaître la qualité de nos solutions. » Par ailleurs, « rencontrer les représentants d’entreprises permet de prendre en compte leurs attentes. Nos produits ne sont pas développés dans le cadre de surenchère technologique, c’est-à-dire pour créer des besoins, mais pour répondre à ceux des clients. »

Serrer les bonnes mains a permis à Crosscall de gagner de beaux contrats. Outre la SNCF, la société équipe également 230 000 gendarmes et policiers.
Faire la différence
La tech française n’a pas que des trous dans la raquette.

Nombreuses sont les entreprises à s’inscrire dans une démarche sociale et environnementale avancée. « Souvent, les grands comptes sont assez exigeants sur des thématiques comme la RSE, analyse Julie Huguet. Les start-up prennent de plus en plus ces sujets en compte, et de plus en plus tôt. »

Un constat dressé également par la SNCF. « Dans le numérique, jusqu’à 20 % de la note peut être liée à des critères ESG, rapporte Julien Nicolas. En Europe et en France, les start-up ont un avantage compétitif sur le sujet car elles l’ont souvent intégré dès le départ dans leurs propositions. »

Question de nationalité ?
Les grands groupes ont du chemin à parcourir mais il est peut-être moins important que celui que doivent faire les organisations publiques. « Certaines administrations ont encore besoin d’améliorer leurs politiques d’achats publics, constate Fabrice Panzani. Elles n’ont pas toujours en tête les enjeux de RSE, de TCO (coût du cycle de vie d’un produit) ou les questions de durabilité des produits.

Nous avons la capacité de répondre à ces enjeux-là plus que certaines entreprises asiatiques par exemple, c’est là que joue la question de la nationalité. »
À l’heure où les défaillances d’entreprise sont en hausse, tirer son épingle du jeu n’est pas une option. « Le contexte économique et les levées de fonds sont un peu plus compliqués en ce moment, la priorité pour les start-up est d’aller chercher du business », résume Julie Huguet.

Comme le soutenait sa prédécesseure, Clara Chappaz : un euro d’un investisseur, c’est bien. Un euro d’un client, c’est mieux !
Olivia Vignaud