Complètement ! Quand on est célèbre, on a toujours un traitement de faveur, notamment chez les Américains. On évite ainsi de vous envoyer au front car si l’on perd une célébrité, c’est un mauvais retour d’image. En France quand la « drôle de guerre » (septembre 39-mai 40) n’a plus été drôle du tout, tous les acteurs sont repartis au boulot.
Pour les mêmes raisons qu’aux États-Unis, on n’a en effet pas souhaité les envoyer au front. Les autorités imaginaient que la mort d’un Fernandel au combat ne serait pas une bonne image pour la France. C’est aussi simple que cela.
« On peut vraiment se demander jusqu’à quel point Danielle Darrieux a été compromise avec les Allemands »
Cette protection n’était cependant pas une astreinte. Chacun a pu faire ce qu’il souhaitait…
C’était en effet « open bar ». Ils ont pu se battre, résister, soutenir le moral des troupes, continuer à tourner ou frayer avec l’ennemi.
Chacun a choisi en fonction de ses envies, de ses convictions si bien que chez les Français, on a eu tous les cas de figure. Les stars comme Tino Rossi, Fernandel ou Maurice Chevalier ont officiellement continué leur travail, comme bon nombre de seconds rôles. Ces gens-là ont pu s’abriter derrière l’idée qu’ils soutenaient le moral des troupes en continuant à jouer et à chanter.
On peut parler de passivité. Ce qui est plus gênant, c’est que ces artistes ont continué à gagner beaucoup d’argent à une époque ou beaucoup n’en gagnaient plus du tout. Plutôt que de parler de courageux d’un côté et de lâches de l’autre, n’est-il pas plus judicieux de parler de gestion de carrière ?
Je vois plutôt des comportements personnels.
Que ce soit chez les petites gens ou chez les acteurs, la question s’est posée entre un engagement actif ou la préservation de son quotidien, ce qui n’était déjà pas facile. On a souvent tellement peiné pour devenir un comédien de premier plan que l’on est hanté par la peur de tout perdre. Ce fut le cas de John Wayne aux États-Unis qui n’a pas voulu s’engager car il avait sa carrière.
À l’opposé, vous avez James Stewart qui saute dans un avion pour bombarder l’Allemagne en disant « Ma carrière, je m’en fous ! » Même chose pour Burt Lancaster. Quel est ce « train de la honte » qui a conduit Danielle Darrieux à Berlin ?
Pour la sortie d’un film dans lequel elle jouait, les Allemands ont décidé non pas de faire l’avant-première en France mais de la faire en Allemagne. Ils souhaitaient ainsi répandre l’idée que l’Allemagne et la France ne formaient plus désormais qu’un seul pays.
Raison pour laquelle ils ont tenté de faire venir des stars à Berlin pour cette soirée. Il semblerait d’ailleurs que beaucoup aient refusé. Mais celles et ceux qui ont accepté ce voyage l’ont fait avec le sourire et en acceptant d’être pris en photo.
Il y a eu le train mais il y a surtout eu tout ce qui s’est passé en Allemagne. Ils ont été accueillis, ont visité les studios. Cela dit, il faut toujours se replonger dans le contexte de cette époque difficile et mon travail ne consiste surtout pas à juger ces comportements.
Tous les comédiens de seconde zone n’avaient sans doute pas trop le choix de refuser ce voyage. Malgré tout, on peut vraiment se demander jusqu’à quel point Danielle Darrieux, superstar avant et pendant la guerre, a été compromise avec les Allemands. Jusqu’à la fin de sa longue vie, elle a joué la grande naïve, mais je doute fort de cette naïveté.
Beaucoup de comédiens ont-ils dû répondre de leurs actes après la guerre ? Danielle Darrieux, toujours elle, n’a jamais été ni convoquée ni interrogée, elle a échappé à tout ! Ce qui constitue tout de même un mystère. Les plus célèbres à avoir été sommés de s’expliquer sont Sacha Guitry et Arletty, qui avait répondu à ses accusateurs : « Mon cœur est français, mon cul est international. » Guitry est un cas un peu particulier.
C’est quelqu’un qui a toujours vécu dans son nuage. Quand il déjeunait avec des Allemands, il déjeunait avec des gens qui aimaient les arts, le théâtre et partageaient ses goûts. Il considérait que les Allemands venaient voir Sacha Guitry et non le contraire… Mais il y a surtout beaucoup de comédiennes, moins célèbre qu’Arletty, à qui il était reproché d’avoir eu une « collaboration couchée ».
Après la guerre, les journaux gaullistes ou communistes ont joué un rôle important, en racontant longtemps ces histoires intimes et en mentant beaucoup. Ils préféraient que l’on regarde ailleurs que chez eux ! La carrière de Mireille Balin par exemple, star de l’époque, s’est arrêtée net à la suite de campagnes terribles. Tous ceux qui ont continué à travailler pendant la guerre et notamment pour la fameuse Continentale (société de production cinématographique française, créée en 1940 par Goebbels) ont été accusés de travailler pour les Allemands.
Ce qui était à la fois vrai et faux, puisque toutes les compagnies françaises travaillaient en fait avec les Allemands, auxquels les scénarios devaient être soumis. On peut donc dire que dans le milieu du spectacle, tout le monde a travaillé avec les Allemands. Il y a eu aussi de vrais courageux parmi les artistes français… Parmi les plus célèbres, il y a Gabin, qui était parti à Hollywood au début de la guerre.
Il s’y est ennuyé très vite malgré le pont d’or qui lui était offert. Désespéré de voir son pays partir dans tous les sens, il s’est engagé dans la division Leclerc. Jean Marais, Jean-Pierre Aumont, Jean-Claude Pascal ont fait de même.
Le mime Marceau fait partie de ces gens qui ont agi à l’intérieur du pays en aidant des enfants juifs à passer vers la Suisse. Pierre Dac était à Londres et donnait la réplique, sur la BBC, à la propagande pétainiste. Ce qui me fascine chez ces courageux, ce n’est qu’aucun d’entre eux n’a parlé de ces faits par la suite.
Gabin n’a jamais dit un mot sur son engagement et a toujours refusé de faire des films de guerre. Il a par exemple dit non à Paris brûle-t-il ? L’idée de voir un acteur qui n’avait pas fait la guerre, jouer les héros un fusil à la main l’agaçait, un peu comme John Wayne dans Le jour le plus long. Louis Jouvet, lui, a eu idée étonnante pour échapper à tout cela… Plutôt que de partir tout seul, il a en effet emmené toute sa troupe en Amérique du Sud dans une tournée improbable qui a d’ailleurs très bien marché.
Il a non seulement réussi à faire son métier dans de bonnes conditions, mais le faire loin de tous les terrains de guerre, tout en représentant la France ! Avec Jouvet, il fallait toujours s’attendre à des surprises intelligentes. À lire : « Stars en Guerre 1939-1945 » (éditions Alisio Histoire) 318 pages 20,90 euros.