Avec le rachat – minoritaire pour le moment – de SAS par Air France-KLM, le ciel européen vient de franchir une étape de plus dans son mouvement de consolidation. D’autant qu’il arrive juste après la conclusion d’une autre opération d’ampleur, à savoir l’intégration d’ITA Airways dans le groupe Lufthansa. Après les rapprochements majeurs des années 2000-2010, c’est donc une nouvelle vague qui se concrétise et qui doit, en tout état de cause, s’achever avec la privatisation de TAP Air Portugal.
Et le mouvement aurait pu aller encore plus loin sans les réticences de Bruxelles à laisser IAG, le troisième grand groupe de transport aérien européen, avaler Air Europa. Sans arriver au niveau des Etats-Unis en la matière, le Vieux Continent atteint ainsi un niveau de concentration inédit.
Un mouvement dans la continuité
« Nous sommes sur une tendance de longue date, amorcée il y a une vingtaine d’années par Air France-KLM », explique Didier Bréchemier, responsable global des activités Transport, logistique, travel et tourisme chez Roland Berger.
Il estime que la crise sanitaire a un temps gelé les choses en raison des contraintes financières et réglementaires qui pesaient sur les groupes européens – la Commission européenne ayant donné obligation aux compagnies de rembourser leurs aides d’Etat avant toute opération capitalistique d’envergure – mais il assure que cela répond à « la même logique ». C’est-à-dire bâtir des ensembles plus puissants, capables de négocier plus fortement les achats d’avions et de carburant, de réaliser des synergies sur la maintenance et l’assistance en escale.
« C’est une bataille de taille pour gagner la course à la compétitivité.
Les économies d’échelle et les synergies amènent une augmentation de la compétitivité sur les coûts, dans un marché qui est très concurrentiel sur le long-courrier avec les compagnies du Golfe, et sur le court et moyen-courrier avec les compagnies low cost », assure le consultant de Roland Berger.
Air France-KLM entre au capital d’une SAS pas totalement revigorée Et disposer d’une force de frappe renforcée et d’un bilan plus important pourrait s’avérer déterminant pour les acteurs du transport aérien européen au moment où le secteur doit mener des investissements sans précédents pour répondre au défi de la décarbonation. Derrière cela, il voit aussi la possibilité pour les grands groupes d’optimiser leurs réseaux aériens entre les différentes compagnies qui les composent, et ainsi ajuster leur offre selon les destinations.
C’est notamment le cas avec l’intégration d’opérateurs très fortement implémentés sur certains marchés locaux et surtout internationaux, à l’image d’Iberia sur l’Amérique latine et TAP Air Portugal sur le Brésil. De même, cela peut conférer une taille critique qui permet aux compagnies les plus importantes de se préserver des velléités de la concurrence sur certains aéroports en sécurisant les meilleurs créneaux horaires. Coup de frein dans la consolidation du ciel européen : IAG renonce à Air Europa
Une dimension inaboutie
Sans réfuter cette continuité, Didier Bréchemier note que les opérations récentes sont de moindre ampleur, les grands mouvements ayant déjà été réalisés avec les fusions opérées par Air France et KLM en 2004, Lufthansa et Swiss en 2007 ou encore British Airways et Iberia en 2011 (qui donne naissance au groupe IAG).
Cela ne facilite pas les choses pour autant : « Des compagnies toujours nationales comme ITA Airways, SAS et TAP, qui n’ont pas la masse critique, restent malgré tout souvent le fer de lance diplomatique, politique et d’image du pays. C’est ce qui fait que c’est souvent lent et long. » Surtout, cette dimension nationale forte empêche une véritable intégration qui se traduirait par une fusion des marques.
Ainsi Air France et KLM sont toujours des compagnies distinctes au sein d’Air France-KLM. Et il aura fallu toute la volonté de Benjamin Smith, directeur général du groupe, pour arriver à bâtir une stratégie coordonnée entre deux entités plus promptes à se mesurer entre elles qu’avec la concurrence. De même, Swiss, Austrian Airlines, Brussels Airlines et a fortiori ITA Airways continuent d’exister au sein du groupe Lufthansa, comme British Airways, Iberia et Aer Lingus dans IAG.
Ce qui contraste avec les Etats-Unis, où des marques prestigieuses comme US Airways ou Continental Airlines ont disparu au moment de leur fusion, respectivement avec American Airlines et United Airlines. Le groupe Lufthansa fait-il une bonne affaire en rachetant ITA Airways ? La question va donc se poser de savoir comment Lufthansa va intégrer ITA Airways et le (toujours complexe) marché italien dans son réseau, pouvant s’appuyer sur l’emplacement géographique du hub de Rome, au sud de l’Europe d’un côté, tout en étant tenté de vouloir faire passer l’important trafic affaires du nord de l’Italie par ses propres hubs de Francfort et Munich de l’autre. Elle se posera aussi pour Air France-KLM avec SAS, même s’il n’est pas actionnaire de contrôle pour le moment.
La compagnie scandinave dispose d’ailleurs de quelques similitudes avec son homologue italienne comme une flotte d’une centaine d’appareils dont des long-courriers, un positionnement sur transatlantique, une position géographique excentrée en Europe, des passagers à fort pouvoir d’achat…, avec comme avantage de maîtriser son marché domestique et régional contrairement à l’Italie dominée par les compagnies low cost. Air France-KLM a-t-il perdu le nord en entrant au capital de SAS ?
TAP Air Portugal et après
Désormais, les opportunités différenciantes ne sont plus légion en Europe. D’où l’importance d’Air France-KLM de réagir vite sur SAS après s’être fait distancer par Lufthansa sur le dossier ITA Airways.
Seule TAP Air Portugal semble aujourd’hui jouer dans la même catégorie, entre sa flotte, son positionnement et surtout ses positions au Brésil et certains pays d’Afrique. Elle dispose aussi d’une importante structure de maintenance qui offre des possibilités de synergies et de valorisation. Didier Bréchemier ne voit pas la prise de TAP Air Portugal comme un coup décisif capable de redéfinir les équilibres entre les trois grands groupes européens.
Il estime que pour Air France-KLM et Lufthansa, qui ont tous deux exprimé leur intérêt pour la compagnie portugaise, c’est avant tout l’occasion de venir disputer la domination d’IAG et de sa filiale Iberia sur l’Amérique du Sud. Il admet néanmoins que, si Lufthansa venait à emporter TAP après avoir raflé ITA, « cela peut devenir un sujet de compétitivité pour Air France-KLM ». En attendant TAP, Air France-KLM renforce ses positions sur le Brésil avec la low cost GOL En dehors de TAP, les opportunités sont moins alléchantes.
Air Europa, revenue sur le marché, exploite par exemple deux fois moins d’avions et n’a comme véritable atout que sa desserte de l’Amérique latine. Ensuite, il reste quelques possibilités comme LOT, la compagnie polonaise ayant raté le virage de la consolidation avec son mariage raté avec l’allemande Condor : lancé en janvier 2020, le rachat s’est effondré avec le Covid. Mais, comme pour Finnair, le fait d’être bloqué à l’Est par la fermeture du ciel russe réduit son attractivité.
Si Ryanair est a priori inaccessible, des compagnies low cost, comme Easyjet ou Volotea, pourraient également faire figure de cibles potentielles, estime Didier Bréchemier. Il cite ainsi l’exemple du rachat de Vueling par IAG en 2013. Mais il voit aussi des freins importants, rappelant que les grands groupes possèdent déjà leur propre opérateur à bas coût, à l’image de Transavia pour Air France-KLM, et pointant les fortes perturbations sociales qui pourraient être engendrées par le rapprochement de modèles très éloignés.