Gérard Larcher, itinéraire d’un homme tout le temps en campagne


, le 19 mars 2022

qui jouxte le palais le Premier consul Bonaparte y vécut avec Joséphine entre le coup d’État du 18 Brumaire et leur installation aux Tuileries. Son cabinet de travail, vaste pièce claire donnant sur un jardin privé enchanteur, est aujourd’hui le bureau de Gérard Larcher. Témoin de la présence du grand homme  : un fauteuil en bois doré orné de deux sphinges en accotoirs. Une tapisserie avec son chiffre brodé, N, recouvre le dossier. On ne s’y assoit plus depuis longtemps. On le contemple.Pas le temps de rêver, l’actualité nous rattrape. Gérard Larcher vient de déclencher une polémique, ce qui n’est pas son genre. Président du comité national de soutien à Valérie Pécresse

Gérard Larcher, itinéraire d’un homme tout le temps en campagne

il a lâché au Figaro

  : « S’il n’y a pas campagne, la question de la légitimité du gagnant se posera. » Si l’on suit le raisonnement de ce gaulliste, cela voudrait dire que de Gaulle n’était pas légitime en 1965.« La légitimité, ça n’est pas la campagne, c’est l’élection au suffrage universel », s’indigne Richard Ferrand, son homologue de l’Assemblée nationale, qui entretenait jusque-là les meilleures relations avec lui. Beaucoup de sénateurs, y compris chez LR, avouent leur gêne. « Une déclaration inappropriée », disent‑ils. Lors de notre rencontre, le feu médiatique couvait encore. Larcher soulignait que, sans qu’il lui en ait parlé, son ami le philosophe Marcel Gauchet, avec lequel il a longuement conversé sur la loi de 1905, tenait le même raisonnement  : « Cette non-campagne aura pour effet de fabriquer un président à la fois inévitable et doté d’une faible légitimité. »

Macron, « l’anti-Larcher »

« Un président du Sénat ne devrait pas dire ça », a répliqué sèchement Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse

On le sentait agacé. On l’a compris, les deux hommes ne s’aiment pas  : deux âmes qui ne vibrent pas à l’unisson. Bien sûr, il y a du dépit dans cette sortie de route du président du Sénat. La cote de popularité de la candidate LR le désespère. « J’aimerais tellement que les Français connaissent Valérie telle qu’elle est  : une femme courageuse, imaginative, professionnelle, solide, agréable. » Aux élections régionales de 2015, il était son parrain. Tous deux sont élus des Yvelines. 

« Nous sommes un peu Laurel et Hardy mais nous sommes très complémentaires »

« Macron, c’est l’anti-Larcher. Le Président est un élu sans territoire, il n’aime pas les corps intermédiaires, il méprise le Parlement et les élus locaux. Gérard, lui, est l’homme qui connaît le mieux le terrain. Il en a une approche charnelle et spirituelle », note Bruno Retailleau. Sénateur de Vendée et président du groupe LR au Sénat (146 membres), il se dit son ami et son complice. « Nous incarnons deux lignes politiques, au physique nous sommes un peu Laurel et Hardy mais nous sommes très complémentaires et avons le même amour de la nature, des animaux et de la ruralité. Moi, j’habite toujours la ferme où je suis né. »Un signe du mépris du Président à l’égard des collectivités locales  : comme Éric Zemmour

il n’a pas daigné venir répondre aux associations de maires qui avaient invité tous les candidats, note Gérard Larcher. Lui, chaque semaine, une fois si ce n’est deux, épuisant ses collaborateurs, se rend dans un chef-lieu de canton à la rencontre des élus locaux. L’expression « train de sénateur » ne s’applique pas à lui. Sur place, il est l’attraction du jour. Il écoute, prend des notes, voit les gens « à portée d’engueulades », selon sa formule, que lui a volée Macron, dit-il. « Sur les 80 plus beaux villages de France, j’en connais 60 », se rengorge-t‑il.

Une réputation d’homme roué

 Au fond, il est en campagne tout le temps. Les mauvais esprits mentionnent que lors des élections sénatoriales deux adversaires d’un même département peuvent recevoir de sa part une lettre de soutien. Autre anecdote qui le résume  : lors de la présidentielle de 1995, il soutenait Jacques Chirac. Sa femme préférait Édouard Balladur. Qu’importe, dans sa ville de Rambouillet il avait monté deux permanences. Ce qui lui vaut une réputation d’homme madré, roué. On le lui pardonne volontiers. « Parce que cette institution est faite pour lui et lui pour elle », dit Bruno Retailleau. « Il est né pour être président du Sénat », confirme en écho Hervé Marseille, le président du groupe centriste (57 membres). « Toujours aux petits soins, il prodigue des conseils, connaît les difficultés des sénateurs, s’enquiert de leur santé quand il les sait malades. S’il lui manque des voix à la prochaine élection , la gauche votera pour lui, c’est sûr. »

« Il est né pour être président du Sénat »

Nicolas Canteloup a beaucoup moqué l’homme politique rondouillard et rustique. Il vient de faire un régime. « Tu vois, j’ai encore perdu 3 kilos », lance-t‑il à Retailleau qui raconte que son ami aime manger, et vite. « Je commence mon entrée et lui a déjà fini la sienne  ! »Il a la bonne humeur et la jovialité de ceux qui sont contents de leur vie publique et familiale. Une femme chirurgien-dentiste pour laquelle ce catholique s’est converti au protestantisme. « Pour la liberté que cela donne, pour ne pas juger les autres. Pour ne pas privilégier la forme plutôt que le fond », explique-t‑il. Le couple a trois enfants, deux filles et un garçon, des petits-enfants. Tout ce monde passe ses vacances sur l’île de Batz, dans la maison de sa belle-mère.Parce qu’il est rond, a un visage empreint de bonhomie, avoue aimer la paix, détester se fâcher avec les gens et rechercher le dialogue avant tout pour trouver des solutions, on le caricature comme un mou, un indécis, un élixir de centriste. C’est vrai qu’il n’aime pas se découvrir. Il le reconnaît lui-même  : « Quand il y a un truc compliqué, moi je fais le “beu” » (le bœuf). Comprenez  : moi, je ne bouge pas, j’attends de voir. 

« À la fin de la journée, il est toujours en forme, infatigable, insatiable, et moi je suis claqué, moulu »

« Qu’est-ce que t’en penses ? », interroge-t‑il quand un événement survient. Il n’est jamais le premier à donner son avis.« Qui n’a pas vu Gérard, ce fou de chasse, arpenter un champ de chaume, discuter pied à pied avec des agriculteurs ne peut imaginer l’ampleur de son énergie et combien il aime “cheffer” », complète Retailleau.Ce que confirme Pierre Charon, sénateur de Paris, souvent invité à sa chasse personnelle à Rambouillet. Du petit gibier. Il témoigne, hilare  : « Gérard, il fait tout. Il dirige la chasse, donne les directions, distribue les rôles. Il rabat, il tire aussi – très bien. Puis on change de secteur. Il conduit sa bétaillère, sans ouverture à l’arrière. On se retrouve à dix dans le noir, secoués comme des pruniers. Il roule comme un fou. À la fin de la journée, il est toujours en forme, infatigable, insatiable, et moi je suis claqué, moulu. »

Un pilier de rugby également cavalier de concours

Avant la politique, il a eu une vie. Natif de l’Orne, enfant hyperactif « pas facile à gauler », comme disait son père bien-aimé, industriel dans le textile et maire de son village. Envoyé en pension chez les jésuites eudistes à Caen, il dit avoir beaucoup souffert la première année de cette séparation familiale. Mais il y a découvert la convivialité, le partage – il était chef de classe – et une passion pour le rugby. « J’en aimais l’esprit collectif. J’étais pilier. » Passionné de chevaux, son père lui fait découvrir l’équitation. Il l’accompagnait aux courses à Deauville, où ce dernier était juge aux allures du trot. Ce qui aiguise l’observation du jeune Gérard. Un temps, il s’est lancé dans le concours hippique. On lui fait remarquer qu’il est rare qu’un pilier de rugby soit en même temps un cavalier de concours. Deux sports qui nécessitent des morphologies bien différentes  ! Il rétorque  : « C’est vrai, je montais lourd. »Diplômé de l’école vétérinaire de Lyon, il fait son service militaire dans la Garde républicaine. À 24 ans, il doit remplacer au pied levé le vétérinaire qui accompagnait l’équipe de France de sports équestres. Sa spécialité  : la boiterie des chevaux. On me disait  : « Larcher, tournez-vous, on fait trotter le cheval. Eh bien, moi, rien qu’au bruit je savais de quelle jambe il boitait. »Observation, diagnostic, pronostic, il les applique également à la politique. Élu maire de ­Rambouillet en 1983, sa ville chérie, qu’il aura dirigée pendant près de trente ans, il a gardé sa permanence, où il passe une journée par semaine. En 1986, il réalise son rêve. Il est élu sénateur. Il a 36 ans. Lui et Jean-Luc Mélenchon sont les deux benjamins. Leurs rapports sont restés amicaux. « Tu vois, j’ai mieux tourné que toi », lui dit-il. Il se souvient que, déjà, il invectivait les ministres à la tribune. Bref, faisait déjà du Mélenchon.

Son conseil à Macron

Ministre du Travail en 2005, il a toujours eu l’ambition de devenir président du Sénat, ce qui lui fait refuser l’Agriculture en 2007. En 2008, il est comblé en l’emportant contre Jean-Pierre Raffarin. En 2011, le Sénat passe à gauche. Le socialiste Jean-Pierre Bel lui succède. Une grosse déception. Mais, trois ans plus tard, nouvelle majorité ; il se réinstalle sur le trône, qu’il n’a plus quitté.Qu’est-ce qui n’a pas marché avec Emmanuel Macron

Assemblée et Sénat ont fait des propositions au gouvernement qui n’en a pas tenu compte. 

« Nous, on ne dit jamais oui par discipline et jamais non par dogmatisme. On dit oui ou non quand c’est l’intérêt du pays »

 Larcher affirme avoir eu une réelle volonté d’aboutir. Mais les députés LREM se sont aperçus qu’ils seraient les premiers contributeurs à l’abaissement du nombre de parlementaires. Ferrand aurait été leur avocat à l’Élysée. « Ensuite, ils ont cherché à se défausser sur les sénateurs, rejetant la faute sur le président Larcher qui, selon eux, ne savait jamais sur quel pied danser », raconte ­Retailleau. C’est faux. La crise des Gilets jaunes a révélé que les Français souhaitaient au contraire plus de proximité avec les élus, alors que la réforme les en aurait privés. « J’étais très attentif à ce qu’il y ait un sénateur et un député par département, au moins, pour ne pas accentuer leur sentiment de ne pas être entendus et considérés », raconte Larcher.En juillet 2017 arrive l’affaire Benalla. Le Sénat se montre très actif. Philippe Bas, le président de la commission des lois, dirige une commission d’enquête avec une autorité de procureur qui fait croire à l’Élysée que le Sénat voulait se venger. Mais nous n’avons jamais tenu que notre rôle, explique Gérard Larcher. « L’Assemblée est la réplique sismique de l’élection présidentielle. Le Sénat, qui ne procède pas de cette élection, est l’indispensable contre-pouvoir d’une démocratie. Nous, on ne dit jamais oui par discipline et jamais non par dogmatisme. On dit oui ou non quand c’est l’intérêt du pays. Nous avons été solidaires du gouvernement durant les crises des Gilets jaunes et du Covid. Mais nous avons refusé de voter le budget, parce que trop insincère  : 455 milliards de dépenses avec seulement 155 milliards de recettes et sans aucune perspective de redressement. »Larcher aime rappeler qu’il est le deuxième personnage de l’État dans l’ordre de succession et le troisième dans l’ordre protocolaire.