Gilles Manceron, historien : "La vérité sur le massacre du 17 octobre 1961 dépend des archives"


Publié le 16 Oct 21 à 16 :28 

Actu Paris

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on noie les Algériens » : ce slogan est resté comme la marque indélébile du massacre du 17 octobre 1961. Il y a 60 ans, la police réprime dans le sang une vaste manifestation, organisée par le FLN, contre le couvre-feu imposé aux Algériens de France. Des dizaines meurent, à coups de matraques, par balles ou jetés, morts ou vifs, dans la Seine. Derrière l’action de la police se pose la question des responsabilités politiques.Cette histoire, longtemps occultée par la France et l’Algérie, est toujours en partie secrète à cause de la rétention d’archives par l’État français. Co-auteur du livre Le 17 octobre des Algériens avec Maurice et Paulette Péju, réédité en 2021, l’historien Gilles Manceron, membre de la Ligue des droits de l’homme, détaille à actu Paris ce qui a mené à ce massacre. Comment s’est-il déroulé en plein Paris, quels sont les enjeux mémoriels, pourquoi les archives sur ce fait historique n’ont pas toutes été révélées ?

Gilles Manceron, historien :

« La police a ouvert le feu, jeté des blessés et des morts à la Seine »

il faut répondre mais les consignes du FLN sont : “On n’exécute que des gens identifiés comme étant de la police auxiliaire il ne répond pas alors que c’est un mitraillage de la police auxiliaire. La presse commence à douter et enquête dans les bidonvilles, où la police casse tout lors de descentes nocturnes. La réponse de la Fédération de France du FLN était la manifestation. La Fédération a été rappelée à l’ordre par la direction du FLN, depuis Tunis, qui ne voulait pas nuire aux négociations ouvertes en mars 1961 et vécues comme la victoire de la guerre du côté algérien, puisque Charles de Gaulle acceptait le FLN à la table des négociations, protégé par des militaires français, dans un contexte où l’OAS assassinait le maire d’Évian pour avoir accepté d’accueillir les négociations. De Gaulle voulait une Algérie indépendante en bonne relation avec la France.Les associations se sont mises d’accord pour parler d’un crime d’État. Selon les notes de Louis Terrenoire, publiées par sa fille Marie-Odile en 2016, De Gaulle a été choqué mais aurait dit : « C’est inacceptable, mais secondaire. » Louis Terrenoire était ministre des Relations avec le Parlement. Ses notes accréditent l’écart de pensée entre Charles de Gaulle et son Premier ministre Michel Debré. Terrenoire désapprouvait la vision de Debré, qui avait nommé Roger Frey, un dur du RPF (parti gaulliste, ndlr) favorable à l’Algérie française, au ministère de l’Intérieur et soutenait Maurice Papon, collaborateur de crimes contre l’humanité en Gironde en 1942 et condamné en 1998. La racine du 17 octobre, c’est quand De Gaulle cède le Sahara à l’Algérie à la fin du mois d’août. Debré est furieux, opposé à cette ultime capitulation, il veut démissionner. De Gaulle refuse, Debré demande la gestion du maintien de l’ordre en métropole et l’obtient. La seule arme de Debré, c’est de taper sur le FLN pour l’affaiblir au maximum et compromettre les négociations. Rien n’atteste une demande directe d’action de la police par Debré, mais ce contexte explique la répression du 17 octobre. Elle résulte d’une stratégie de Debré, appuyée par Frey et Papon. Ils essayaient de sauver ce qui pouvait l’être dans l’Algérie française, tentant d’obtenir la partition de l’Algérie avec une bande côtière pour les Européens et le reste pour les Algériens.CARTE. Détails des événements, cartographiés par Louis Lambert :

vers Charléty ou le centre de rétention du bois de Vincennes. Des femmes ont été emmenées à Sainte-Anne. Certaines ont été libérées par le personnel. Dans la cour de la préfecture de police, il y a eu des ratonnades, des bastonnades, et des morts.

Ça permettait de dire “règlement de comptes entre Algériens”, ce qui avait été appelés les “noyés par balles”. Je ne me risquerai pas sur un chiffrage précis, nous n’avons pas les moyens de le faire. Certains chiffres ont été obtenus à la sauvette, notamment au procès de Papon contre Einaudi pour diffamation, que Papon a perdu. Des archivistes ont accepté de témoigner et en ont subi les conséquences dans leurs carrières. David Assouline, aujourd’hui sénateur, peut témoigner de ce qu’il avait obtenu par cette filière de documents publiés par Libération à l’époque. Des choses sont sorties, mais on se heurte à la fermeture des archives.

h2>Dans le contexte de l’indépendance, « le 17 octobre est passé à l’as »

Interdite par Maurice Papon, la manifestation rassemblait le PCF et la CGT. Leur cortège a été ciblé au métro Charonne, il y a eu neuf morts (militants français du PCF et de la CGT, ndlr) à coups de bidule (matraque en bois de 80 centimètres, ndlr). Le souvenir de Charonne a été longtemps entretenu par le PCF et la CGT, notamment avec le passage silencieux du cortège devant la station de métro lors des défilés du 1er-Mai entre Bastille et Nation. Cette occultation d’un massacre par un autre est aussi liée à un racisme distillé dans la France coloniale depuis le 19ème siècle, plus ou moins combattu par des anticolonialistes minoritaires au sein de la gauche. Le PCF n’a pas, ou peu, affronté ce racisme. Il s’est concentré sur la dénonciation de la police auxiliaire, a désavoué les « soldats du refus » qui s’opposaient à leur mobilisation en Algérie et s’est limité à demander « la paix en Algérie ». La guerre d’Algérie a marqué la fin du grand parti monolithique qu’était le PCF, à cause de ces dissensions internes. Aujourd’hui, le PCF n’est plus dans le déni du 17 octobre, sans forcément tout dire de sa ligne à l’époque. Il a au moins adopté un mouvement de reconnaissance. On verra ce que va publier l’Humanité pour les 60 ans.

h2>« La presse française a joué un rôle important dans la réémergence »

Cette plaque est le premier geste d’une autorité en souvenir de ce massacre, 40 ans après.

très politique. Les principaux travaux ont été effectués par des historiens de gauche ou militants comme Jean-Luc Einaudi, quand les oppositions à la reconnaissance du rôle de la France sont venus de la droite. Cette fracture s’est-elle résorbée ?GM : Quand Bertrand Delanoë puis Anne Hidalgo ont soutenu au Conseil de Paris les projets mémoriaux sur ce sujet, notamment sur le pont Saint-Michel, c’est passé. Y compris à droite, qui a souscrit à ses hommages relativement mesurés. En 2012, à l’Assemblée nationale et au Sénat, la loi reconnaissant les faits a été largement votée. Face aux orateurs de gauche qui rappelaient le massacre, un orateur de droite a opposé une « exagération » de la gauche, sans être véhément. Il ne pouvait démentir les faits.

« La mémoire a eu du mal à se transmettre dans les familles concernées »

Que peut-il faire ?GM : Je n’étais pas présent à cette réception, je ne sais que ce que Le Monde en a rapporté. Le collectif de plus de 120 associations, qui organise la manifestation de dimanche, réclame la reconnaissance d’un massacre qui peut être qualifié de crime d’état, ainsi que l’ouverture des archives. La question des archives croise celle de la vérité sur le 17 octobre et sur l’OAS. Dès 2015, sous Hollande, des chercheurs ont été refusés d’accès à des dossiers d’archives auxquels il avait eu accès. C’est un problème lourd. Le Conseil d’État a annulé en juillet la circulaire interministérielle adoptée à la fin de la présidence de Nicolas Sarkozy. Ça a été une bataille. En l’état actuel des choses, il y a assez de documents pour reconnaître ce crime, mais il y a encore des trous. Il y a notamment la question du millier d’Algériens transportés en Algérie après, dont certains ne sont pas revenus. Quid de leur sort ? Il reste beaucoup de sujets à explorer pour obtenir la vérité sur le massacre du 17 octobre 1961, et cela dépend des archives et de leur ouverture.

Emmanuel Macron reconnaît « des crimes inexcusables »

indique l’Élysée. Emmanuel Macron était à Colombes, pour une commémoration au pont de Bezons. « Cette commémoration a lieu en présence de membres des familles frappées par cette tragédie », ainsi que de « celles et ceux qui se sont battus pour la reconnaissance de la vérité et de représentants de toutes les mémoires de la guerre d’Algérie », complète l’Élysée. Emmanuel Macron a reconnu « des crimes inexcusables commis sous l’autorité de Maurice Papon ». Le 17 octobre fait partie des trois dates clés que le rapport de l’historien Benjamin Stora a recommandé, avec 19 mars comme jour de la fin de la guerre et le 25 septembre en hommage aux harkis.Informations pratiques :Le 17 octobre des Algériens, éditions La Découverte, par Marcel et Paulette Péju avec Gilles Manceron, paru en 2011 et réédité en 2021, entre 6,99 et 9,50 euros.Cet article vous a été utile ? Sachez que vous pouvez suivre Actu Paris dans l’espace Mon Actu. En un clic, après inscription, vous y retrouverez toute l’actualité de vos villes et marques favorites.