Le changement de ton de l’exécutif n’est pas passé inaperçu. Le report de l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans ainsi que l’accélération de l’allongement de la durée de cotisation de la réforme Touraine « n’est plus négociable », a affirmé la Première ministre Elisabeth Borne dimanche sur Franceinfo. Dans une interview au Parisien, Gérald Darmanin s’est lui aussi montré ferme. Le ministre de l’Intérieur a accusé la Nupes de chercher « à bordéliser le pays » et a dénoncé « le profond mépris de la valeur travail » d’une partie de la gauche.
Avant la deuxième journée de manifestations contre la réforme des retraites, mardi 31 janvier, l’exécutif tente de reprendre la main sur une communication brouillonne. « La posture de fermeté tout d’un coup affichée par Elisabeth Borne a pour but de tuer dans l’oeuf l’idée que le gouvernement ne sait plus où il va et que ça flotte. Le gouvernement veut passer un message : il garde le cap et il est droit dans ses bottes », analyse auprès du JDD Arnaud Mercier.
Pour ce professeur en communication à l’université Paris Panthéon – Assas, Gérald Darmanin essaye quant à lui de « polariser l’attention autour de l’attitude jugée irresponsable de ceux qui font grève, autrement dit, il affirme que le problème n’est plus la réforme mais les grévistes. »
« Le modèle d’une communication ratée »
Le gouvernement n’est pas parvenu à convaincre les Français. « Le discours de l’exécutif sur cette réforme des retraites est le modèle d’une communication ratée », tranche Arnaud Mercier. « La bataille de l’opinion est pour le moment très largement perdue par le gouvernement », abonde au JDD Bruno Cautrès, politologue et chercheur au CNRS. En l’espace d’une quinzaine de jours, l’exécutif a crispé l’opinion, toujours autant opposée à cette réforme dans les sondages. Il a également soulevé l’inquiétude dans sa propre majorité, certains députés Renaissance ou MoDem ne souhaitant pas à ce stade voter le texte.
Il faut dire que la communication de l’exécutif a été mise à mal, ces derniers jours, sur plusieurs thématiques, dont l’égalité femmes-hommes, et l’équilibre financier du système. Le 23 janvier, Franck Riester a reconnu que la réforme « aurait un impact plus important sur les femmes ». « On n’en disconvient absolument pas », a estimé le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement. Les conclusions du rapport d’impact du projet de loi gouvernemental montrent en effet que les femmes devront, en moyenne, repousser leur départ à la retraite de sept mois, contre cinq pour les hommes. Le lendemain, lors de la séance des questions au gouvernement, Elisabeth Borne a pourtant récusé cette idée. « Je ne peux pas laisser dire que notre projet ne protégerait pas les femmes. Au contraire », a lancé la Première ministre.
« La situation s’est très mal emmanchée notamment parce que les effets d’annonces sont très vite apparus en contradiction avec la réalité », observe Arnaud Mercier, citant notamment la confusion autour de la retraite minimale à 1200 euros, dont le montant net d’impôts sera un peu moindre. Pour ce spécialiste de la communication, le gouvernement a « généré de la frustration » sur cette question de la revalorisation de la pension minimale à tous les retraités.
Le « péché originel » de 2019
De même, l’exécutif a pu donner le sentiment d’une « contradiction » entre un discours sur « la nécessité d’une réforme faite pour rééquilibrer les finances publiques en général », et, de l’autre côté, un discours de « dramatisation sur la gravité de la situation et la nécessité de réformer impérativement », explique Arnaud Mercier.
Les difficultés rencontrées par la majorité remontent à 2019, estime-t-il. « Il y a une sorte de péché originel : la première réforme des retraites proposée par Emmanuel Macron, où il a dit des choses qui sont pratiquement le contraire de ce qu’il fait aujourd’hui.» Le 25 avril 2019, lors d’une conférence de presse à l’issue du Grand débat national, le chef de l’Etat avait jugé que le report de l’âge légal de départ à la retraite était une option « hypocrite ». « Une réforme comme celle-ci n’est pas facile à vendre quand on part sur des bases fragiles », constate Arnaud Mercier.
Un avis partagé par Bruno Cautrès. Selon ce politologue, « l’ensemble de la séquence, depuis la première réforme des retraites de 2019, donne le sentiment d’un discours très incohérent ». Il ajoute : « L’exécutif a semé des petits cailloux sur lesquels il est en train de trébucher. »
La majorité n’a pourtant pas ménagé ses efforts depuis le début de cette année pour faire de la pédagogie et tenter de répondre aux questions et inquiétudes. Afin de minimiser les risques de cafouillage, seuls quelques membres du gouvernement ont été autorisés à s’exprimer dans les médias : le ministre délégué chargé des Comptes publics Gabriel Attal, le ministre du Travail Olivier Dussopt, le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques Stanislas Guerini, le ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire ainsi que le porte-parole du gouvernement Olivier Véran.
« La pédagogie a été faite, mais faire de la pédagogie, ça ne veut pas dire pour autant convaincre, constate Bruno Cautrès. Au contraire, le travail de pédagogie peut amener à prendre conscience de la réalité de la réforme et à s’opposer à celle-ci. » Pour Arnaud Mercier, les gouvernements successifs utilisent à chaque fois l’argument de la pédagogie « quand ils sont en difficulté ». « Ils ont du mal à reconnaître leurs erreurs et errements et, pour se défausser de leur responsabilité, ils inventent l’idée que c’est parce qu’ils n’ont pas été bien compris, qu’il faut faire plus de pédagogie, alors que les Français ont bien compris », explique-t-il.
« Il est impossible que le gouvernement recule »
Si l’opposition à la réforme ne faiblit pas – 68 % des Français sont opposés, selon notre dernier sondage Ifop pour le JDD – les Français semblent pour autant avoir compris que le gouvernement n’entend pas reculer. Une large majorité d’entre eux (67 %) estime que la réforme sera votée et appliquée, un chiffre stable par rapport au 11-12 janvier 2023. « Les Français ont intériorisé qu’Emmanuel Macron ne reculera pas », constate Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop.
« Il est impossible que le gouvernement recule. L’exécutif s’est mis dans une situation où il ne peut qu’aller jusqu’au bout », avance Bruno Cautrès. Selon le politologue, en affirmant qu’un report de l’âge légal de départ à 64 ans « n’est plus négociable », Elisabeth Borne a non seulement fermé toute possibilité de négociation sur le point qui cristallise le plus les oppositions, mais aussi, « d’une certaine manière, mis sa démission dans la balance », en cas d’éventuel report de la réforme.
Une nouvelle mobilisation importante des opposants dans la rue, mardi 31 janvier, ne changera donc rien à la volonté de l’exécutif de faire passer la réforme quoi qu’il en coûte à travers le vote du Parlement, alors que le texte est examiné depuis ce lundi 30 janvier en commission des Affaires sociales, avant un examen dans l’hémicycle à compter du 6 février. Le 19 janvier dernier, lors de la première mobilisation, entre 1 à 2 millions de personnes avaient manifesté contre la réforme. Les syndicats espèrent faire au moins aussi bien mardi lors d’une journée de grève qui s’annonce très suivie dans les transports et à l’école.
« Si la mobilisation est aussi forte que le 19 janvier, alors il deviendra pratiquement impossible pour le gouvernement de reprendre la main », affirme Bruno Cautrès. En revanche, « s’il y a beaucoup moins de monde dans la rue, le gouvernement affirmera dans la foulée que son travail de pédagogie a payé et que les Français commencent à l’écouter, analyse le politologue. Il aura alors une possibilité d’essayer de reprendre la main.»