Go. L’Allemagne a donné son accord pour les chars Leopard, ils pourront être livrés à l’Ukraine. C’est une étape supplémentaire. Depuis le début du conflit, les Occidentaux lui ont fourni des armes, en quantité « gigantesque ».
Qu’en est-il des garde-fous mis en place ? Que deviendront ces armes à l’avenir ? La question inquiète. Les risques de détournement sont réels. Les contrôles restent insuffisants, alerte notamment le GRIP, le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité. Son directeur, Yannick Quéau répond à nos questions.
Pouvez-vous chiffrer la quantité d’armes envoyées en Ukraine ?
Les quantités sont en tout cas astronomiques. Pour donner une idée : prenez un pays qui consacre 60 milliards de dollars à ses dépenses militaires (à titre d’exemple, l’Allemagne y consacrait 56 milliards en 2021, ndlr). En général, un pays de l’OTAN consacre environ un cinquième de ses dépenses militaires en achat d’équipement. Sur 60 milliards, c’est environ 12 milliards d’équipements achetés par an. Pour les livraisons à l’Ukraine, on est au-delà de 35 milliards de dollars en un an seulement, c’est colossal. »
Vous avez dénoncé des risques de détournement, c’était au départ une question taboue ?
« Il y a un moment où il ne fallait presque pas en parler. On sait que notre note n’est pas bien passée auprès de certains gouvernements. Puis, les États-Unis ont commencé à en parler au début de l’été (avant de finalement annoncer un plan en octobre), et à partir de ce moment-là, les langues ont commencé à se délier. »
Il ne fallait presque pas en parler
L’Ukraine est pourtant un pays particulier sur cette question ?
« C’est un pays hautement corrompu, où il y a des réseaux en tout genre qui préexistent au conflit, y compris le trafic d’armes. On y trouve des filières bien connues pour approvisionner en armement des destinations un peu partout dans le monde, particulièrement des destinations suspectes.
Ce sont des filières pour partie héritées de l’époque soviétique (l’Ukraine a hérité d’importants stocks d’armes soviétiques à la chute de l’URSS, ndlr). Pour faire caricatural, quand on voulait briser un embargo, on appelait le réseau ukrainien. »
Quels sont les risques ? On craint que des armes ne soient perdues sur le champ de bataille, revendues par les belligérants, captées par les Russes… ?
« Ce qu’on craint c’est que ça abreuve les filières du crime organisé, ou les filières terroristes. Ils verront là un supermarché d’équipement dont ils n’avaient jamais osé rêver ! Dans le cadre terroriste, cela constitue un risque majeur, mais cela peut aussi compliquer la tâche de troupes occidentales déployées par exemple au Sahel, en Syrie ou en Irak.
Les filières du crime organisé et les filières terroristes verront là un supermarché d’équipement dont ils n’avaient jamais osé rêver !
Si des groupes terroristes mettent la main sur des missiles Tsinger ou des armes antichars, c’est la grosse hantise des États-Unis actuellement, ça compliquerait drastiquement la capacité à opérer des armées occidentales.
Cela dit, on constate que le risque de détournement est surtout important quand le conflit est entré dans une phase de stabilisation. C’est alors qu’on voit beaucoup d’acteurs se départir d’armes en grande quantité et que les stocks commencent à abreuver les marchés criminels. »
Sachant cela, quel contrôle a été mis en place autour des armes envoyées en Ukraine ?
« Classiquement, on met en place des mesures d’obligation de reporting sur les pertes et la gestion des stocks pour les pays à qui on livre des armes. faire par exemple le suivi par satellite des équipements qui ont été perdus, mais ça demande beaucoup de ressources et ce n’est pas si simple. On pourra facilement savoir si on a perdu un canon d’artillerie mobile par exemple, mais pour les armes portables ou les armes antichars, c’est beaucoup plus compliqué, sans parler des munitions.
Donc, les Etats-Unis ont fait comprendre l’importance de ce reporting aux Ukrainiens, ça a été d’ailleurs un point de friction au début. Les Ukrainiens ont vite compris qu’ils avaient intérêt à mettre ce genre de mécanisme en place pour s’assurer du soutien dans la durée des Etats-Unis et d’autres acteurs européens. Mais pour eux ce n’est pas évident de consacrer des ressources à ça alors qu’ils sont sous les bombes. »
Et, donc, concrètement qu’est-ce qui a été mis en place ?
« Pas grand-chose pour l’instant. Le Parlement ukrainien s’est doté d’un comité spécial chargé de superviser la réception et l’utilisation des armes expédiées en Ukraine, mais on ne sait pas quelle est la capacité réelle de vérification de ce comité. On peut douter de son efficacité.
Il y a de petites évolutions, Europol a également mis en place des contrôles aux frontières, mais on ne sait pas véritablement quel est le suivi sur le champ de bataille.
Certains gouvernements nous assurent qu’ils ont un reporting en temps réel, mais d’autres nous disent : ‘On ne sait pas comment les autres font parce que nous, on n’a aucune idée d’où sont passés des équipements de la même catégorie ! ‘
Certains gouvernements nous assurent qu’ils ont un ‘reporting’ en temps réel, mais d’autres nous disent : ‘On ne sait pas comment les autres font parce que nous, on n’a aucune idée d’où sont passés des équipements de la même catégorie ! ‘ »
À l’avenir, ces armes devront être rendues aux pays exportateurs ou seront-elles intégrées dans le stock ukrainien ?
Cela paraît assez énorme mais ce n’est pas clair. Au départ, les Etats craignaient que l’Ukraine ne s’effondre en quelques jours, il fallait donc faire vite, et, à partir de là, certains garde-fous ont sauté. Il y a eu des couacs considérables, avec des Etats qui ont dû rétrospectivement récupérer des numéros de série de certains équipements qu’ils avaient envoyés parce que ça ne s’était pas fait au moment de les envoyer. On parle du b.a.-ba !
Il y a eu des couacs considérables
Mais, donc, pour le moment, il n’y a pas de communication publique sur la question d’une rétrocession, à qui, quoi, comment dans quel état ! C’est du cas par cas. Pour les missiles Patriot, par exemple, on sait qu’ils ne seront pas cédés comme ça. »
L’Union européenne a piétiné ses propres règles ? (la Position commune du Conseil de l’UE de 2008 relative au contrôle des exportations d’armes, et le Traité sur le commerce des armes – international, celui-là) ?
Oui, on a utilisé un outil européen -la Facilité européenne pour la paix – pour justifier la prise en charge par l’Union européenne, en dehors des normes européennes, de livraisons d’armes à un pays en guerre. En une seule décision, en un seul conflit, on a renversé la table, on a explosé tous les garde-fous que l’UE s’était donnés !
En une seule décision, en un seul conflit, on a renversé la table, on a explosé tous les garde-fous que l’UE s’était donnés !
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