Publié le 20 Nov 22 à 8 :08
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de Michel Fourniret à Francis Heaulme. A « profilé » le sinistre adjudant-chef Pierre Chanal, lié à l’affaire des disparus de Mourmelon. A pénétré l’âme de Jacques Rançon, le tristement célèbre « tueur de la gare de Perpignan ». C’est lui qui a été désigné pour sonder celle de Nordahl Lelandais, bourreau de la petite Maëlys.
13 000 expertises en 30 ans de carrière
Docteur en psychologie, Jean-Luc Ployé, 70 ans, a des attaches dans les Pyrénées. Il est l’un des 9 experts psy de la Cour de cassation, la plus haute juridiction française. Depuis 1984, année de l’affaire Grégory, il a réalisé près de 13 000 expertises psychologiques pour les tribunaux. Criminels, délinquants, maris cogneurs, victimes.A l’occasion de la sortie d’un livre de mémoires très intime* – « il a été écrit en un an et demi d’introspection, pour ne pas dire de psychanalyse. Cela m’a servi d’anti-dépresseur et m’a rapproché de mes enfants », nous livre-t-il -, il évoque notamment son rapport au crime. Les yeux plantés profond dans ceux du mal et de la souffrance.
#1. Son rapport aux serial-killers
« Les gens sont attirés et fascinés par le mal. C’est un fait de société. J’essaie de démythifier cette fascination des tueurs en série. J’ai eu la chance d’en examiner quelques uns et non des moindres, notamment le couple Michel Fourniret-Monique Olivier. Même les Américains nous l’envie celui-là ! Quand on est petit, on nous lit les contes de Grimm. Très vite, l’enfant est attiré par le méchant. Et c’est le parent qui va le protéger de cette attirance. On peut transférer ça au monde adulte. Être fasciné par les tueurs en série, quand on est adulte, c’est aussi vouloir se protéger du mal ».
#2. Cohabitation entre bien et mal
« Il y a le mal que l’on subit. La moitié des personnes que j’ai expertisées en étaient des victimes. Et il y a le mal que l’on exerce. Le mal, ce n’est pas juste un concept philosophique. Quand j’étais jeune, un professeur m’avait demandé s’il existait une société sans crime. La réponse, malheureusement, est non. Autant un être humain peut faire le bien, autant il peut faire le mal. Les deux cohabitent et il y a un manque d’étanchéité en la matière. Seuls les tueurs en série sont un peu hors normes, ils ne respirent pas le même oxygène que nous. Heureusement d’ailleurs, pour nos valeurs les plus profondes. Mais ce sont malgré tout des êtres humains ».Vidéos : en ce moment sur Actu
#3. Ses rencontres avec des tueurs en série
« Je suis papy, j’ai été père, mari… A travers ce prisme, les tueurs en série commettent des actes monstrueux. Mais en tant qu’expert, je ne réagis pas de la même façon.
« J’essaie de rentrer dans la tête des tueurs en série. De voir ce qui s’y passe, de comprendre. C’est mon métier. Il n’y a pas de limites, pas de frontières. »Jean-Luc PloyéExpert psychologue et auteur de « La Passion du mal »
Je me suis construit autour du mal. C’est questionnant. On y laisse des plumes. Mais c’est mon métier. Je dis souvent que si on est psy, c’est pour aller voir chez l’autre et pas chez soi-même. C’est un mécanisme de défense basique. En tout cas, pas un hasard ».
#4. L’enfance formate
« Je suis issu d’une famille nombreuse. J’avais le ressenti – qui n’était sans doute pas la réalité – d’être invisible. Quand j’étais petit, je prenais mon vélo pour être ailleurs que chez moi.Quarante ans plus tard, de la même manière, je suis mandaté par la justice pour aller voir ailleurs. Mais je n’ai toujours pas trouvé ce que je cherchais. Il y a eu des effets secondaires au niveau de ma vie privée. Je vis dans une grande maison tout seul, depuis trois ans. Ce métier – cette « passion » – impliquent de grands sacrifices ».
#5. Le premier « profiler » français ?
Il n’est pas facile pour les gendarmes à l’époque d’enquêter chez les militaires. Il est même allé voir une cartomancienne. ‘Pouvez-vous me faire une description du tueur potentiel ?’ Le terme profilage n’existait pas à l’époque ou était très peu utilisé. Je rentre à la maison. Je prends une feuille de papier. Je trace un trait au milieu. J’essaie d’attribuer des critères.
L’affaire des Disparus de Mourmelon
D’un côté, les victimes potentielles qui faisaient du stop pour rentrer chez elles le week-end. Pour moi, ces jeunes hommes étaient immatures d’un point de vue sexuel, encore en recherche d’identité. Puis je suis passé de l’autre côté de la colonne.
« Je n’en savais rien, mais mon intuition m’a soufflé qu’il s’agissait d’un auteur unique. Et j’ai décliné sept ou huit critères. C’était certainement un militaire frustré par rapport à l’armée. La blessure narcissique facilite les passages à l’acte. J’ai été jusqu’à donner le grade exact : un adjudant-chef ! « Jean-Luc Ployé
Il fallait aller voir du côté de l’homosexualité refoulée, de quelqu’un qui sadise l’autre ».
#6. Pierre Chanal et les louanges de Quantico
« Pierre Chanal a fini par être arrêté. Il correspondait en tout point à ce que j’avais imaginé. Son procès n’a jamais été à son terme. Grâce au profil établi, le capitaine Vaillant a pu impliquer Chanal pour l’affaire des Disparus de Mourmelon (entre 8 et 17 victimes, selon les estimations, ndlr).
mon profilage a été débriefé et validé à… Quantico, le siège du FBI (USA). Une référence. Et je n’ai appris cette anecdote qu’il y a trois ans ! »
#7. Le couple Michel Fourniret-Monique Olivier
« Pendant longtemps, il y a eu des réticences sur ce qui se faisait aux USA, notamment autour du profilage. Depuis 15 ans, les choses changent un peu. La juge Laurence Keyris (qui vient de prendre la tête du pôle national dédié aux cold cases, ndlr) s’est entourée de personnes qui la conseillent pour connaître la personnalité du couple Michel Fourniret-Monique Olivier. J’ai la chance d’en faire partie.Je les ai examinés tous les deux à l’occasion de leur premier procès, lors duquel ils ont pris perpétuité. Je suis le seul à avoir expertisé la systémie du couple. J’ai soutenu la thèse que c’était elle qui lui avait donné son permis de tuer. Auparavant, Fourniret ne l’avait jamais fait. Il a fallu qu’il y ait un pacte qui cimente leur espace criminel pour que ce pédophile banal, si je puis dire, se lance dans le crime ».
« Elle est très sadique »
« Et maintenant que Fourniret est décédé ? J’ai dit régulièrement à la juge que Monique Olivier avait trois possibilités : soit elle se terre dans le silence, comme Michèle Martin, la femme de Dutroux ; soit elle a un pseudo sursaut judéo-chrétien – ‘pseudo’, car elle est très très sadique – et se rachète une « virginité » si je puis dire auprès des familles des victimes ; soit et c’est l’hypothèse que je soutiens, c’est elle qui a repris les rênes du couple :
« Depuis qu’il est mort, Monique Olivier fait du Fourniret : elle balade tout le monde. Comme le palais des glaces, on connaît l’entrée, on ignore tout de la sortie ». Jean-Luc Ployé
J’ai conseillé à la juge de ne pas refaire de fouilles (notamment dans l’affaire de la disparition d’Estelle Mouzin, ndlr), que cela ne servait à rien. Jusqu’à présent… »
#8. Son expertise la plus terrifiante
« Il y en a deux, en fait. Celle de Michel Fourniret qui m’a expliqué pendant des heures, en long en large et en travers, comment il tuait ses victimes. Je n’ai pas une écoute bienveillante ou complaisante. Quand on a affaire à un tueur en série il faut être en position de maître à élève. Sauf que le maître, c’est lui. Ils sont tellement pervers qu’ils prennent du plaisir à raconter tout ça :
« La première fois que j’ai expertisé Fourniret, j’ai dû fermer mon cabinet pendant quinze jours : je ne pouvais plus bosser. C’est horrible, délétère. On sent une telle jouissance. »Jean-Luc Ployé
« Bien sûr qu’on y laisse des plumes. Mais si on se protège de ça, on ne va pas creuser et aller jusqu’au bout. Et moi, ce qui m’intéresse, c’est de comprendre ».
« Je prends le tournevis, je passe par l’oreille »
La seconde, c’est Jacques Rançon, le tueur de la gare de Perpignan. Cela m’a profondément marqué quand il m’a dit, en évoquant une de ses victimes : ‘Je prends le tournevis, je passe par l’oreille pour lui déconnecter le cerveau‘. C’est archaïque, c’est brut. Je l’appelle l’homme des bois.Fourniret est intellectuellement plus sophistiqué. Il a 128 de QI ce qui correspond à 3-4% de la population française. C’est un pervers sadique manipulateur. Il a mis son intelligence au service du mal. Il parle de son ‘foutu orgueil’… Tous ont un problème avec la sexualité. Rançon a vécu un climat familial incestueux, une exemplarité parentale défaillante, des problèmes de virilité.
« Rançon avait des partenaires féminines. Mais il n’arrivait pas à leur donner de satisfaction. Pour compenser, par rapport à un besoin de toute puissance, il partait à la chasse. Il pouvait alors y avoir un déferlement de violence ».Jean-Luc Ployé
« Au procès d’Amiens, j’ai dit qu’il avait le profil d’un tueur en série. La présidente avait répondu que cela faisait froid dans le dos. Mais il est structuré comme ça. Il a sans doute fait d’autres victimes » (3 lui sont imputées, ndlr).
#9. Son expertise la plus gratifiante
Quand je constate une souffrance terrible, je les regarde droit dans les yeux et leur dis : madame, je vous crois. Je sens que le stress, les épaules, retombent. Je pense que cela remplace six mois de psychanalyse ! Et narcissiquement, pour moi, c’est gratifiant.
h2>#9. La solitude de l’expert-psy
‘Vous m’avez fait sortir’. Cet homme m’a remercié. C’était un exemple de réinsertion depuis des années…
#10. « On ne naît pas criminel, on le devient »
c’est travailler sur ce type de perception du fonctionnement familial. Cela demande des travailleurs sociaux. Le crime fait partie de la nature humaine. Vouloir tuer les criminels n’a pas de sens. Un autre prend immédiatement sa place.
« Le passage à l’acte, c’est comme un crash d’avion »
Je ne crois pas à la prédisposition criminelle génétique. Pour plagier Simone de Beauvoir, on ne naît pas criminel, on le devient. Mon boulot c’est de savoir ce qui s’est passé pour que la transformation s’opère.Je compare souvent un passage à l’acte criminel à un crash d’avion. Je suis l’enquêteur qui examine la boîte noire. Ce qui m’intéresse, c’est ce qui s’est passé avant le crime, la scène de crime, et ce que le meurtrier a fait après les faits. Ce n’est pas parce qu’un petit garçon grandit dans un contexte incestueux qu’il va forcément devenir un tueur. Une multitude d’autres paramètres interviennent ».
#11. Francis Heaulme, tueur désorganisé et très atypique
« Francis Heaulme est l’un des seuls tueurs en série les plus atypiques que j’aie expertisés. En matière criminologique, il y a d’un côté, les tueurs organisés, méticuleux, obsessionnels type Fourniret, Chanal ; de l’autre, les tueurs désorganisés, type Heaulme.Il n’avait pas de victime type. Il s’en est pris à des enfants de 8-9 ans aux grands-mères en passant par des femmes mûres. Celui que la presse a surnommé le Routard du crime était pris par des moments psychotiques aigus facilités par l’absorption d’alcool et alors, il partait en chasse. Mieux valait ne pas se trouver sur son chemin à ces moments-là.
Le seul tueur en série à éprouver des remords
« Francis Heaulme ressentait du remord, mais dans un espace de manifestation psychotique. Lorsque son espace psychotique se refermait, le remord disparaissait et il vivait comme tout le monde. Il ne pouvait pas utiliser cette culpabilité pour arrêter. En matière criminelle, c’est redoutable.Ce qui m’a intéressé chez lui, c’est le rapport à sa mère et à sa sœur. J’ai déposé pour le procès du crime de Montigny-les-Metz (Patrick Dills a effectué 13 ans de prison à tort dans cette affaire, le meurtre de deux jeunes garçons à coups de pierre près d’une voie ferrée, ndlr). J’ai dit que Francis Heaulme n’avouerait jamais, parce que sa sœur n’accepterait pas qu’il ait touché à des enfants. Il y a une sorte de fusion totale chez eux. Le jour de la mort de sa mère, il a failli se jeter dans le trou du cimetière. Ce ne sont pas des actes anodins. Enfant, son père le traitait comme un chien, le faisait dormir dans les escaliers. »La première fois que je l’ai vu, je ne le connaissais pas. J’arrive dans une maison d’arrêt pour y rencontrer un détenu. Je patiente dans un petit bureau. Un type arrive, un nouvel entrant. Les surveillants le fouillent, le mettent torse nu. Je vois énormément de blessures, de scarifications, des cicatrices très importantes.
« Il s’auto-mutilait par culpabilité »
Cinq mois plus tard, un juge me mandate pour voir M. Heaulme sur une affaire de la Marne. Je reconnais en lui, cet homme que j’avais croisé par hasard ce matin-là.Francis Heaulme m’a expliqué qu’après avoir tué, il était pris par une culpabilité judéo-chrétienne massive et qu’il s’automutilait. D’où les marques sur son torse ».
#12. Comment aborder un tueur en série
« Les tueurs en série sont très courtois. Ils acceptent de répondre à nos questions relativement facilement. Une fois derrière les barreaux, ils ne peuvent plus vivre concrètement leurs fantasmes. Le fait d’être questionnés par un expert leur permet de le faire à nouveau.Un psychopathe, un braqueur va refuser de parler à un psy. Le tueur en série n’est pas réticent, loin de là. Une fois arrêtés, ils sont vidés psychiquement, ils n’ont plus d’oxygène criminel. Quand je leur ai demandé pourquoi ne pas avoir arrêté après leur premier crime, tous m’ont dit la même chose : tuer est un shoot pas possible. Plus qu’une perfusion de cocaïne pour un toxico. Pour eux, la victime n’est pas un sujet mais une chose. La récente affaire de la petite Lola, tuée à Paris, en témoigne. Dans leur esprit, il n’existe aucune raison de ne pas recommencer… »Parution. La Passion du mal (Grasset), Jean-Luc Ployé, 256 pages, 20,90 euros.Cet article vous a été utile ? Sachez que vous pouvez suivre Actu Toulouse dans l’espace Mon Actu. En un clic, après inscription, vous y retrouverez toute l’actualité de vos villes et marques favorites.