L’histoire commence le jeudi 6 avril 1922, il y a tout juste cent ans, près d’une petite ferme isolée de Saint-Rivoal, dans le Finistère. C’est la fin de la journée et deux des huit filles de François et Marie-Françoise, un couple de quarantenaires très estimés au village, rentrent au bercail avec les chèvres qu’elles ont gardées tout l’après-midi, à deux pas de là.
Arrivées devant la maison, les deux jeunes gardiennes s’aperçoivent que Pauline, leur petite sœur de deux ans et demi qui les accompagnait, ne les a pas suivies. Bah ! Elle a dû s’arrêter pour jouer un peu plus loin. On va vite la retrouver. D’autant qu’elle connaît bien le coin.
La mère file aussitôt à rebrousse-chemin, à la recherche de sa fille. Mais Pauline est introuvable. « Pauline ! », « Pauline ! »… La nuit est tombée et c’est maintenant toute la famille qui explore les environs avec l’aide des voisins. La troupe s’est déployée, lanterne à la main, dans le vaste décor des monts d’Arrée. Il pleut et le vent souffle en tempête sur les landes d’ajoncs et de bruyères qui couvrent la région. Les cris se perdent dans la campagne. Pauline ne répond pas. Pauline n’est nulle part.
Les parents se rendent à la gendarmerie de Brasparts pour signaler la disparition de leur enfant. Et que portait-elle, la petite, quand elle a disparu ?, interroge le gendarme. Elle avait une petite robe à carreaux noirs et blancs et des galoches aux pieds.
La piste de l’enlèvement
Les investigations commencent sur-le-champ. Mais elles s’annoncent compliquées car le site est gigantesque et la lande parfois très épaisse. De toute façon, les parents n’en attendent pas grand-chose car ils sont déjà convaincus que leur fille ne s’est pas perdue mais qu’elle a été victime d’un kidnapping. Et ils pensent même savoir qui a fait le coup.
Le jour de la disparition de Pauline, un homme avait frappé à leur porte en fin de matinée. Les fermiers, qui sont de braves gens, l’avaient alors généreusement invité à déjeuner. D’autant qu’ils le connaissaient. Enfin… Un peu. C’est Christophe, un raccommodeur de parapluies d’assez mauvaise réputation, qui avait travaillé pour eux, quelques fois, au temps des moissons.
Il a semblé très intéressé par Pauline, ce midi-là. Il lui a même dit connaître une bonne dame très riche des environs de Châteauneuf-du-Faou, toute disposée à l’adopter. Christophe est connu pour son bagout. Il se la raconte un peu. Alors, les parents n’ont pas spécialement prêté attention à cette étrange remarque. Il était reparti vers 13 heures, en lançant à la petite : Tu viendras avec moi. Bizarre, non ?
On a arrêté Monsieur K…
Les gendarmes ne vont pas tarder à lui mettre le grappin dessus. Le 12 avril, la gendarmerie de Morlaix reçoit l’ordre de cesser les recherches. Christophe vient d’être arrêté à Châteauneuf. C’est un petit homme d’une cinquantaine d’années à la moustache grisonnante et légèrement boiteux. Et, devinez quoi ? Le « client » est déjà passé par la case prison. Il a pris cinq ans et dix ans d’interdiction de séjour, aux assises du Finistère, en janvier 1908, pour viol.
Mais les gendarmes vont très vite s’apercevoir que leur homme a un alibi en béton. Un alibi confirmé par le père de la victime lui-même. Le fermier qui sarclait à proximité de ses filles le jour de la disparition de la petite est certain d’avoir vu Pauline pour la dernière fois à 16 h 20.
Or, à ce moment-là, Christophe était déjà à six kilomètres de là. Ça ne peut donc pas être lui. Il sera remis en liberté. Mais pas tout de suite. Car il reprend, au passage, un mois de prison pour défaut de carnet anthropométrique. Et puis, on va quand même garder un œil sur lui. À cas où…
Les jours passent et les investigations ne donnent rien. Les gendarmes n’ont pas le début d’une piste.
La fillette est à Cherbourg
L’histoire rebondit une première fois, à 200 km de là, à vol d’oiseau, à Cherbourg (Manche), quelques jours plus tard. Le mardi 25 avril, vers 8 heures du matin, Madame Roublot descend les marches de l’immeuble qu’elle occupe, rue Couespel. Au pied de l’escalier, elle découvre une fillette blonde aux yeux bleus, belle comme le jour. Mais qu’est-ce que tu fais là, toi ? La petite ne dit rien. Où sont tes parents ? » Rien à faire. Elle sourit mais ne semble pas comprendre la bonne Madame Roublot qui, après s’être assurée que personne ne la reconnaissait dans le quartier, se rend au commissariat de police de la place Divette, à quelques minutes à pied.
Le commissaire Danoix prend l’affaire en mains et envoie plusieurs inspecteurs sur le terrain avec pour mission de retrouver une femme suspecte qui a été vue au bas de l’escalier, la veille de la découverte de la petite inconnue. Les indices sont maigres mais ils vont tout de même réussir à la localiser. Ils l’interrogent dans la foulée mais elle n’a rien à voir avec cette histoire. Quant à la petite qui ne dit toujours pas un mot, elle est placée à la crèche de l’hospice en attendant que l’on retrouve ses parents.
« C’est notre fille ! »
Les jours passent et personne ne se manifeste. En revanche, la nouvelle est parue dans les journaux et on écrit de partout en France tout comme de Suisse et de Belgique pour proposer de recueillir l’enfant. Au terme de l’affaire qui s’annonce, la mystérieuse fillette de Cherbourg aura fait l’objet d’une trentaine de demandes d’adoption.
Vous l’aurez compris, ces heureux parents se prénomment François et Marie-Françoise.
Bouleversés, ils ont pris le premier train pour Cherbourg et se sont précipités à l’hospice. Mais devant la petite qui leur sourit (comme elle sourit à tout le monde), leur enthousiasme est un peu retombé. Disons que ça pourrait être elle… Elle est fatiguée et amaigrie… Le couple hésite un peu avant d’en être finalement tout à fait sûr. Oui, c’est bien leur fille. C’est bien Pauline.
De retour à la maison
Le 11 mai, le couple rentre donc à la maison, le cœur battant, avec la fillette et deux infirmières des hospices de Cherbourg. Au village, tout le monde reconnaît immédiatement Pauline. Les frères, les sœurs, les voisins… On la trouve parfois quelque peu changée physiquement, mais après ce qu’elle a vécu, c’est bien normal.
La petite doit maintenant reprendre des forces et se réacclimater à son environnement. Elle est d’une sensibilité nerveuse extrême, constate le docteur Mazé, de Sizun. Je dirais qu’elle se trouve dans un état de dépression physique caractérisée.
Ce qui est étrange, c’est que Pauline semble complètement étrangère à l’univers qu’elle vient de retrouver. Sa maison, ses jouets, sa famille… Elle est comme frappée d’amnésie et ne dit toujours rien. Pendant le trajet, elle aurait cependant lâché trois mots en breton correspondant à “papa”, “oui” et “non”. Avec ça, on ne va pas aller bien loin. Mais soyons patients. Le temps et l’amour font des miracles. Et le mystère est percé, c’est l’essentiel, non ?
Terrible rebondissement
La brigade mobile de Rennes est désormais sur le coup. Elle mène à son tour des recherches dans la lande où l’on suppose que l’enfant a été enlevée. Maintenant que l’on sait qu’il s’agissait d’un kidnapping, il faut retrouver les ravisseurs.
Pourquoi pas le fameux raccommodeur de parapluies. Tiens ! Le revoilà en piste, celui-là ! L’hypothèse se tient mais un nouveau coup de théâtre va tout remettre en question et transformer le conte de fées en cauchemar.
Macabre découverte
Le jeudi 25 mai, vers 11 h 15, Monsieur Le Meur, habitant d’un village voisin de Saint-Rivoal, se rend d’un pas tranquille dans la lande où paissent ses vaches quand il aperçoit le fragment d’un cache-nez d’enfant.
Intrigué, il s’approche du petit vêtement. Bon sang ! Quelle odeur ! On dirait que ça vient de derrière le talus. Il avance encore un peu et découvre une scène d’horreur. Les journaux de l’époque en donneront tous les détails. Disons simplement qu’il s’agit d’un corps d’enfant, dans un état de décomposition très avancé et très abîmé par la faune locale. Elle porte une petite robe à carreaux noirs et blancs et des galoches… Ça ne vous rappelle rien ?
Le mystery émeut les Anglo-Saxons
T oo bad he only exists in fiction (« Dommage qu’il n’existe que dans la fiction »).
Le Sacramento Bee, lui, enverrait plutôt Sherlock Holmes sur le terrain pour tirer l’affaire au clair. Si la petite victime est la fille de François et Marie-Françoise, alors qui est la mystérieuse fillette au joli sourire ? interroge The Kansas City Star. « Wrong Child Claim , titre le journal anglais The Evening Standard le 27 mai, Body find after parents recognise another mite. » (Erreur sur l’enfant recueillie. Un corps retrouvé après que les parents ont reconnu une autre petite fille.)
Ce que nous apprend l’autopsie
Un premier examen semble indiquer que la petite a peut-être reçu des coups. Mais le corps est tellement abîmé que le légiste préfère ne pas trop s’avancer.
Trois jours plus tard, le 28 mai, dès 6 heures du matin, les docteurs Gouriou de Pleyben et Legall de Châteauneuf, procèdent à l’autopsie du corps de l’enfant dans une grange ouverte à tous les vents près d’une maison inhabitée de la place de l’église de Saint-Rivoal. C’est là que le cadavre a été gardé toute la nuit par quatre gendarmes. En raison de son état, les médecins sont incapables de confirmer les traces de coups. Selon eux, la mort est accidentelle et les entailles ne sont que le travail post-mortem des nombreux rats et renards de la région.
Ainsi se termine la triste histoire de « la petite disparue » suivie comme un feuilleton par des millions de lecteurs pendant des mois. Pauline est inhumée le soir même de l’autopsie dans la tombe familiale, au cimetière de Saint-Rivoal.
Un fermier s’accuse du meurtre
Du même avis Et notamment cette question : pourquoi n’a-t-on pas découvert le corps plus tôt ? Pierre Favennec, secrétaire de la mairie de Brasparts, avait organisé plusieurs des nombreuses battues au moment de la disparition de Pauline. Et il est catégorique : l’endroit a été fouillé et personne n’a rien vu. L’inspecteur Chelin de la brigade mobile de Rennes assure, lui aussi, avoir suivi le fossé sans rien y trouver. Tout comme le père Leroy, curé du village.
Le 28 mai, Le Petit Parisien – au taquet sur cette histoire – titre : Pauline a bien été assassinée. Selon ses informations, la police suspecterait un fermier d’une cinquantaine d’années qui s’était présenté à la ferme pour demander, en breton, s’il s’agissait bien de la bonne petite que l’on avait retrouvée. À l’époque, on n’avait pas encore découvert le corps de l’enfant. « Pour sûr ! Et j’en suis bien heureuse », avait répondu la mère. Un inspecteur de police qui se trouvait là avait alors demandé au curieux voisin la raison de sa présence. Monsieur M…. aurait alors crié : Dieu est juste et ne se venge pas ! Je suis le coupable. En vérité, ni la police ni les parents n’ont accordé la moindre importance à ces propos. Monsieur M… est un brave homme que la folie vient de gagner. Il sera d’ailleurs interné à l’asile d’aliénés de Quimper.
L’hypothèse d’une macabre substitution
Les parts d’ombre de l’Histoire sont toujours propices au développement des théories les plus folles. Un bruit se met alors à circuler dans tout le pays : non ce n’est pas le corps de Pauline que l’on a retrouvé mais un cadavre déterré habillé avec les vêtements de la fillette dans le but de maquiller l’enlèvement.
Comme l’affaire Bobby Dunbar
Un site américain, Historic Mysteries, a remarqué la similitude entre l’histoire de Saint-Rivoal et la célèbre affaire Bobby Dunbar, arrivée dix ans plus tôt, en Louisiane. En 1912, la famille Dunbar avait profité d’une belle journée pour aller pêcher à Swayze Lake. Au moment du déjeuner, les parents se sont aperçus que leur petit Robert (Bobby), 4 ans, n’était plus là. Ils l’ont appelé et appelé encore. Rien.
Huit mois plus tard, la police découvrait chez un certain Walters, un petit garçon qu’ils pensèrent être l’enfant perdu. Malgré les protestations de l’homme et de celle qui assurait être la mère biologique de l’enfant, le tribunal avait considéré qu’il s’agissait bien de Bobby Dunbar et l’avait « rendu » à ses parents.
Walters fut même condamné à plusieurs années de prison pour kidnapping. Comme Pauline à Saint-Rivoal, le petit garçon semblait totalement perdu dans la maison des Dunbar. La différence avec l’affaire des monts d’Arrée, c’est qu’on ne retrouva jamais le corps de l’enfant et que le supposé Bobby restera dans sa supposée famille.
L’une des questions essentielles posées par le cas Dunbar a trouvé sa réponse il y a quelques années. Pour en avoir le cœur net, le fils de Bobby et son cousin ont accepté de comparer leur ADN. Le résultat a été sans appel : ils ne sont pas de la même famille !
L’enquête reprend à Cherbourg
Mais revenons à notre histoire. La petite inconnue n’a désormais plus sa place à Saint-Rivoal. La Justice la renvoie donc à Cherbourg où l’enquête, stoppée au moment de son départ en Bretagne, reprend de plus belle.
un Anglais nommé May. Étonnante coïncidence, la dame porte le même nom de famille que François et Marie-Françoise ! Elle fait le déplacement à Cherbourg mais elle s’aperçoit immédiatement qu’il ne s’agit pas de Poupette.
L’histoire se termine sur un dernier drame. Le 2 janvier 1924, L’Ouest-Éclair et plusieurs journaux parisiens annoncent la mort de la fillette de Cherbourg. La petite qui illuminait par son sourire la vie des sœurs de l’hospice a été emportée par une méchante rougeole.
Au moins aura-t-elle eu le temps d’avoir un nom car le tribunal de Cherbourg venait de lui en donner un : Marie-Louise Pauline.
Histoires d’Ouest. « La petite Pauline », l’affaire des monts d’Arrée qui a fait le tour du mondeAGRANDIR