Il habite depuis toujours au pied de la dune du Pilat, l'État veut le chasser de sa maison


Publié le 13 Avr 22 à 17 :58 

Actu Bordeaux

Voir mon actu

Suivre ce média

fr / Nicolas Gosselin)En plus d’un demi-siècle, Didier Bouzats – et ses aïeux avant lui – n’avait jamais eu de problème de voisinage. Pourtant, il risque d’être chassé de sa propriété à cause de sa placide voisine, qui n’est autre que la plus haute dune d’Europe. Un combat qu’il n’est pas de taille à gagner, craint-il, en voyant l’État enfiler les habits de Goliath.En effet, depuis 2016, le Conservatoire national du littoral mène une vague d’expropriations sur le domaine de la dune du Pilat afin de « préserver ce lieu unique ». Et l’homme de 66 ans, qui a grandi au pied de cette géante, est invité à partir et à embarquer ses souvenirs avec lui.Mais les valises risquent d’être trop petites… Car Didier Bouzats en a connu « des vertes et des pas mûres » au sein de ce petit coin de paradis, grand de 27 hectares et cerné de magnifiques pins maritimes, derrière lesquels on peine à imaginer que siège une belle dame de 102 mètres, à qui deux millions de curieux viennent rendre visite chaque année.

Il habite depuis toujours au pied de la dune du Pilat, l'État veut le chasser de sa maison

Un pipi sur les genoux de Sacha Distel

à La Teste-de-Buch (Gironde), au bout d’un chemin forestier de quelques hectomètres qui démarre de la route de Biscarrosse, son grand-père Augustin Lasserre a construit l’auberge Chez Tintin en 1947. Il a transformé cette parcelle de résinier – son métier – en un havre de paix pour les stars du show-biz.

Didier Bouzats pointe du doigt une sorte de clairière près de l’auberge et déterre le passé : « Là-bas, j’ai joué au foot avec le fils d’Alain Delon », affirme-t-il. Ou encore : « Les premiers qui ont osé m’attraper sur leurs genoux quand j’étais gamin, c’était des gars comme Bernard Blier. J’ai même fait pipi sur Sacha Distel une fois », se marre-t-il. C’était il y a plus de 60 ans. 

« On vous sauve de l’avancée dunaire »

Désormais, et depuis une vingtaine d’années déjà, les vedettes ne viennent plus Chez Tintin. L’âge d’or a duré des années 60 jusqu’à la fin du siècle dernier. Mais la salle de réception de 360 m2 est toujours louée pour des mariages, baptêmes, anniversaires et autres réceptions à partir du mois d’avril et jusqu’à la fin de l’été.

fr / Nicolas Gosselin)Didier Bouzats, lui, passe toute l’année dans le logement de 100 m2 adossé à la partie commerciale. Il s’agit de sa résidence principale. Cette même maison qu’il est contraint de quitter contre son gré. « On vous sauve de l’avancée dunaire », ont expliqué des responsables du Conservatoire national du littoral lors d’une entrevue.Vidéos : en ce moment sur Actu

150 propriétaires expropriés

Afin d’assurer la protection des milieux dunaires et forestiers remarquables de la dune du Pilat et conserver ainsi le site dans son état naturel, le Conservatoire du littoral a initié, en collaboration avec le Syndicat mixte de la Grande Dune du Pilat, gestionnaire du site, et sous l’impulsion de l’État, une procédure d’expropriation reconnue d’utilité publique par arrêté préfectoral en date du 30 mai 2016. Le périmètre d’expropriation englobe près de 400 hectares et 150 propriétaires d’un bout de la Dune ou de sa forêt.« C’est la seule justification qu’ils ont osé me donner », enrage le propriétaire, qui rappelle que la dune avance de quatre mètres par an en moyenne alors que sa maison est située à 487 mètres du pied de la dune. À ce rythme, il faudrait donc attendre plus d’un siècle pour que la géante de sable lui caresse les orteils au bout du lit.

Didier Bouzats plaide l’injustice

Didier Bouzats est remonté comme jamais et bien décidé à se battre. Il estime être victime d’une injustice. « Ça fait six ans que je me bats avec un avocat et un expert foncier », rappelle-t-il. Dans ce dossier, il y a trop d’incohérences, d’inégalités de traitement selon le propriétaire.Par exemple, les campings voisins de la dune du Pilat qui étaient inclus dans le périmètre d’expropriations ont réussi à sortir du second tracé, après s’être regroupés et avoir fait appel au syndicat national de l’hôtellerie en plein air.Autre exemple, certains propriétaires ont accepté l’expropriation mais ont réussi à négocier le droit de conserver le bâti, rapporte-t-il. En d’autres termes, ils sont expropriés mais peuvent toujours résider dans leur maison. Une solution qui pourrait trouver grâce aux yeux de Didier Bouzats, mais l’État ne l’entend pas de cette oreille à son sujet.

Le Conservatoire aurait-il un projet caché ?

fr)Curieux ! Y aurait-il des choses à cacher ? Didier Bouzats se réjouit de voir la question arriver sur la table, au milieu de ses nombreux documents, qu’il range soigneusement dans un classeur tellement épais qu’il va finir par concurrencer la taille de la dune du Pilat au fur et à mesure des années.« Il faut que tout le monde comprenne que l’intérêt de cette opération va bien au-delà de la propriété individuelle. Il s’agit de tout faire pour préserver un lieu unique et le léguer aux générations futures », avait accepté de répondre au Parisien dans un article publié en 2019 une déléguée des rivages au Conservatoire national du littoral.

La dune du Pilat, victime « d’une hypocrisie »

« Je veux qu’on m’explique pourquoi on me vire pour mettre quelqu’un à ma place. Autant on voudrait sauvegarder cet endroit pour des raisons écologiques, je me ferais une raison. Vous voulez être vert ? Je suis vert-vert. J’habite dans la forêt. Mais là, c’est juste de l’hypocrisie », peste Didier Bouzats.Quand l’État – par le biais de la préfecture de la Gironde – évoque « l’extension de l’urbanisation, le développement d’activités commerciales ou le stationnement non contrôlé comme problématiques diverses qui peuvent porter atteinte à l’équilibre d’un espace aux composantes paysagères et écologiques exceptionnelles » pour justifier les expropriations, le propriétaire aux longs cheveux gris croit s’étouffer avec sa sèche au bec.« Le syndicat mixte de la Dune a entrepris des travaux de réhabilitation du parking et des commerces de l’aire d’accueil au pied de la dune du Pilat, qui coûtent près de quatre millions d’euros. Donc on remet à neuf des commerces situés à moins de 200 mètres de la dune du Pilat et moi, je dois quitter ma maison qui est beaucoup plus loin ? De qui se moque-t-on ? Ils veulent juste faire du fric », analyse Didier Bouzats.

« J’irais jusqu’à Bruxelles s’il le faut »

« C’est pareil avec leur parking hors de prix. C’est le péage de la dune du Pilat. Ils voulaient même l’agrandir il y a quelques années mais il y avait eu une mobilisation pour l’empêcher, rappelle-t-il. On se plaint que la dune s’affaisse mais on encourage toujours plus de visiteurs à venir, on installe un escalier pour grimper au sommet mais on laisse les gens redescendent n’importe où et accentuer l’érosion. Si on voulait vraiment la protéger, pourquoi on ne régule pas ? »La question est posée mais en attendant, le Conservatoire national du littoral s’intéresse surtout à sa maison. Si Didier Bouzats n’est pas opposé à vendre du terrain, à un prix plus correct que celui proposé (de l’ordre de 50 centimes du mètre carré), il aimerait garder l’usufruit de l’auberge qu’a façonnée son grand-père. « Et je suis prêt à me battre au tribunal jusqu’au bout pour cela. J’irais jusqu’à Bruxelles s’il le faut ! », insiste-t-il dans ce remake du pot de fer contre le pot de sable.Cet article vous a été utile ? Sachez que vous pouvez suivre Actu Bordeaux dans l’espace Mon Actu. En un clic, après inscription, vous y retrouverez toute l’actualité de vos villes et marques favorites.