Inde : mais qui veut la peau de Bollywood ?


Après vingt-cinq jours passés derrière les barreaux, Aryan Khan a finalement obtenu sa libération sous caution le jeudi 28 octobre. Son père, Shah Rukh Khan, le demi-dieu du cinéma indien, aurait accueilli la nouvelle avec des « larmes de joie », selon l’avocat du jeune homme de 23 ans. Trois semaines durant, l’Inde tout entière était suspendue au sort d’Aryan Khan.

Et les médias n’ont pas manqué une miette de ce feuilleton. Minute par minute, ils ont raconté la bataille de la star adorée des Indiens pour sortir son fils de prison. 

Inde : mais qui veut la peau de Bollywood ?

 

Derrière le scandale, des raisons politiques et religieuses

Très vite, l’affaire se transforme en tempête politique. Dans l’opposition, le député du parti du Congrès Shashi Tharoor dénonce une « chasse aux sorcières » à l’encontre de Shah Rukh Khan.

L’ancienne cheffe de l’exécutif du Jammu-et-Cachemire Mehbooba Mufti fustige une « parodie de justice » ciblant les « musulmans pour satisfaire les désirs sadiques de l’électorat du BJP », les nationalistes hindous au pouvoir. Certains commentateurs n’hésitent pas à parler de « harcèlement » et qualifient l’épisode de « vendetta » contre Shah Rukh Khan. 

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Mais pourquoi s’en prendre à l’acteur iconique ? Avec plus d’une centaine de films à son actif, il est le musulman indien le plus célèbre. Et sa popularité dépasse largement les frontières du sous-continent. « Shah Rukh Khan est un musulman marié à une hindoue, et Aryan Khan est le fruit de cette union mixte, ce qui ne plaît pas aux extrémistes hindous », juge Nilanjan Mukhopadhyay, auteur de plusieurs ouvrages sur le nationalisme hindou.

 

La star de 55 ans au sourire irrésistible a largement contribué au succès de My Name is Khan, film sorti en 2010 qui prend à bras-le-corps la thématique de l’islamophobie. « Il l’a fait artistiquement, à sa manière. Shah Rukh Khan incarne la philosophie de l’amour par opposition à la haine, et, bien qu’il soit musulman, c’est une icône laïque », souligne Kaveree Bamzai, une éditorialiste spécialiste du cinéma indien.

Du film, il restera une réplique culte : « Mon nom est Khan et je ne suis pas un terroriste. » 

« Bien qu’il soit musulman, Shah Rukh Khan est une icône laïque. » L’éditorialiste Kaveree BamzaiA titre personnel, Shah Rukh Khan se montre prudent dans ses prises de position.

En 2015, après l’ignoble lynchage d’un musulman soupçonné de conserver dans son réfrigérateur de la viande de boeuf – animal sacré en Inde -, l’acteur avait mis en garde contre l’intolérance religieuse, qui « risquait de ramener l’Inde à l’âge des ténèbres ». Son commentaire lui avait attiré les foudres des extrémistes, qui l’ont accusé d’être un agent du Pakistan, le frère ennemi de l’Inde. 

Bollywood, une vitrine de la diversité indienne dans le viseur nationaliste

Avec une moyenne de 2 000 films produits par an, Bollywood est une arme de soft power sans commune mesure.

Cela n’a pas échappé au Premier ministre Narendra Modi. En octobre 2019, il a reçu chez lui des représentants de l’industrie cinématographique indienne, dont Shah Rukh Khan. Le chef du gouvernement avait demandé à ses invités de mettre « le pouvoir de la créativité au service de la nation ».

Une injonction ouverte à interprétation.  

« On assiste à une tentative de refonte de Bollywood afin qu’il corresponde à l’image que ce gouvernement aimerait projeter de l’Inde », estime Kaveree Bamzai.  

étoile montante du cinéma indien  

Les contenus aussi sont visés, y compris ceux diffusés sur les plateformes de streaming.

Au mois de mars, une agence gouvernementale chargée de la protection de l’enfance a demandé à Netflix d’arrêter la diffusion de la série Bombay Begums, au motif que des mineurs y sont représentés en train de consommer des drogues.  

forçant le réalisateur à s’excuser et à supprimer les scènes litigieuses.

Un membre de l’aile jeunesse du parti au pouvoir avait aussi épinglé une scène de baiser entre une hindoue et un musulman dans la série Un garçon convenable. 

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Après l’annonce de la libération d’Aryan Khan, la planète Bollywood respire à nouveau. Jusqu’à la prochaine affaire ? Dans les colonnes de l’Indian Express, l’analyste politique Pratap Bhanu Mehta s’interroge : « Si les stars peuvent être si facilement écrasées, qu’en est-il de nous, simples grains de poussière sous la botte de l’Etat ? » 

Opinions

ChroniqueFrédéric Shalmani

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