interview de la star française du stand-up


À 31 ans, l’humoriste Fary excelle dans l’art du monologue comique. Pendant un an et demi, il a peaufiné son nouveau spectacle, Aime-moi si tu peux, dans lequel il évoque enfin sa vie privée. Techniques d’humoristes, angoisses, succès et pires expériences de scène… À l’approche de sa première tournée mondiale, Fary a répondu sans détour aux questions de Numéro. 

Propos recueillis par

Alexis Thibault

Fary – “30 minutes avant mon prochain spectacle.”

Fary, la star du stand-up français en tournée internationale

 

Fary Lopes nous a donné rendez-vous dans un salon de l’hôtel Providence, dans le 10e arrondissement de Paris. Son attachée de presse a insisté sur un point : nous avons tout notre temps car l’humoriste apprécie les discussions interminables. Pour le moment, il feuillette un magazine que nous lui avons poliment offert. C’est un portrait du créateur Simon Porte Jacquemus qui a retenu son attention : “Je ne m’intéresse pas vraiment à la mode et aux grandes marques, alerte-t-il en tournant tranquillement les pages. Les vêtements sont juste une autre façon pour moi de m’exprimer.”

 

Tangana et des concerts à la démesure sobre du rappeur Kendrick Lamar. Car il rêve aussi de musique mais sait pertinemment que “les gens n’aiment pas qu’un homme qui fait des blagues se prenne soudainement au sérieux…” Dans Aime-moi si tu peux, son dernier spectacle peaufiné pendant un an et demi, il s’amuse des réactions des femmes et des hommes au sein du couple, écorche son propre personnage et s’amuse tour à tour des voyages en avion, de l’improbable quartier de Strasbourg Saint-Denis et des rites de la cour de récréation. Récit d’une (longue) discussion avec Fary Lopes.

 

 

Numéro : Êtes-vous vraiment à l’aise avec le jeu de l’interview ?

Je déteste surtout les plateaux de télévision. Vous êtes un simple élément de décor d’une pièce de théâtre dans laquelle on essaie de faire croire tout et n’importe quoi.

 

“Dans l’humour, le bide remet votre personne toute entière en question : vous avez l’impression que vous ne servez plus à rien.” Fary

 

Elle a évoqué à plusieurs reprises la dimension communautaire du stand-up et on vous a senti très agacé à l’antenne pendant l’entretien… Est-ce parce que votre nouveau spectacle n’aborde pas du tout ce sujet ?

J’aurais presque préféré qu’elle soit désagréable Le sujet principal de mon spectacle reste “le couple et le fantasme de l’amour”. On a souvent l’impression que c’est un sujet éculé, pourtant, il y a toujours eu des chansons d’amour et il y en aura toujours. Tout dépend de la mélodie, de l’interprète et de ses mots.

Fary, Mayra Andrade – “Demande”

Le public français manque-t-il de références vis à vis du stand-up ?

connaissent et comprennent le stand-up on s’amuserait même de ce petit moment où l’humoriste

 

Dans le texte de présentation de votre nouveau spectacle vous déclarez : “Le stand-up est un amour passionnel, il m’a offert une partie de ce que je suis en me privant d’une partie de ce que j’aurais aimé être.” Est-ce une façon déguisée d’exprimer des regrets ?

Comme beaucoup d’autres j’ai frôlé la dépression à cause du Covid De jeunes humoristes vous remplaceront et le public se désintéressera de votre travail. Plus vous prenez rapidement conscience de cela, mieux vous irez.

 

“Lorsque les humoristes se retrouvent entre eux, chacun veut réussir à sortir LA meilleure blague. Je le vivais très mal au début de ma carrière…” Fary

 

On pourrait croire que la vieillesse est une terrible épée de Damoclès dans le milieu de l’humour…

On vieillit très mal dans ce milieu. Les humoristes américains ont trouvé une parade : les stars côtoient les débutants et se confrontent à un public qui n’est pas le leur. Dans l’humour professionnel, tout est une question de technique et de structure de blague. Car la clé de l’humour reste… la surprise ! Si j’ai compris comment vous comptiez me surprendre alors je ne vous trouve plus drôle. Il existe aussi un autre technique qui consiste à façonner un personnage sur scène qui est, en réalité, une sorte d’extension de vous-même. Vous arriverez peu à peu à ce que vous êtes réellement dans la vie et cette sincérité vous pousse à vous mettre en danger. Et surtout, il faut impérativement vivre avec son temps. Certaines blagues sur les Noirs, les femmes ou les homosexuels posent de véritables questions aujourd’hui. Pour être vraiment drôle, il faut justifier subtilement les vannes que l’on fait et ne jamais être gratuit.

 

N’est-il pas un peu facile de toujours rire du quotidien en tournant en dérision ce qui nous concerne tous ?

Au contraire, c’est un humour d’observation extrêmement complexe. Il faut réussir à trouver le pas de côté, trouver ce que tout le monde a vu et ressenti sans être parvenu à trouver les mots pour l’expliquer. L’humour obéit à des règles, il est donc plus simple de faire rire avec des choses fausses puisque vous pouvez raconter ce que vous voulez. Mais comment faire rire avec le vrai sans rien trafiquer ? Autrefois je n’avais pas le niveau pour faire rire avec des choses réelles et potentiellement dérangeantes pour moi. Avec le temps, j’y arrive enfin.

 

Vous êtes-vous posé des limites à ne pas franchir sur scène ?

Ma copine oui !   La limite est simple : “Est-ce que ça parle au gens ?” Il ne faut jamais perdre la connexion avec le public. Efficacité, originalité, modernité. C’est presque de la musique en fait…

 

Le rire des spectateurs est-il plus simple à déclencher depuis que vous êtes célèbre ?

Disons que je peux me permettre plus de choses que lorsque je débutais. Au même titre que vous pourriez tenter certaines blagues avec vos amis sans oser les faire à des inconnus. Mais contrairement à ce que vous pouvez penser, je ne suis pas une star. Si vous faites un sondage auprès d’une dizaine de personnes, seules trois ou quatre me connaitront. Il m’est déjà arrivé de voir débarquer une vraie star comme Gad Elmaleh au Paname Art Café et les gens sont devenus fous ! Mais l’euphorie n’a duré que quelques minutes. Ensuite tout le monde s’est dit : “Maintenant montre nous de quoi tu es vraiment capable”. À Paris, il y a presque 200 spectacles par semaine. On considère donc que le public parisien est plus dur, plus exigeant parce qu’il a le choix.

 

Et les humoristes ? Ont-ils tendance à ne rien laisser passer lorsqu’ils se retrouvent entre-eux ?

C’est une sorte de challenge : chacun veut réussir à sortir LA meilleure blague sur un sujet. Je le vivais très mal au début de ma carrière parce que je n’ai jamais été le sniper qui enchaîne les blagues, j’adoptais plutôt une posture… d’observateur. Je me sentais oppressé car j’étais entouré de gens très drôles et j’avais l’impression de ne pas être aussi interessant qu’eux. Comme si tout ce que j’allais dire risquait de tomber à plat. Mais avec le temps, j’ai fini par m’y habituer, et c’est devenu un véritable langage. Et ceux qui nous rejoignent ont alors l’impression d’assister à un concours de vannes ou chacun surenchérit. Pour nous, c’est une conversation comme les autres. Des vannes, vous allez en rater c’est évident. Donc les humoristes qui vous fusillent à la moindre blague un peu faible sont très mal vus. Il ne faut pas se censurer au moindre flop. C’est un principe de base des réunions d’écriture : il n’y a rien de mauvais.

 

“J’ai une diction très particulière et j’utilise beaucoup de silences : il n’y a rien de plus casse-gueule.” Fary

 

Que conseilleriez-vous à un adolescent de 14 ans qui souhaite tout plaquer pour se lancer dans l’humour ?

Le meilleur conseil est celui que vous refuserez toujours d’entendre : attendre. Au début, vous rêvez du succès, vous voulez décoller rapidement. Vous ne comprenez pas l’échec et, pourtant, il faut s’y accrocher. Lorsque vous apprenez à faire du ski, vous tombez sans arrêt. La chute est douloureuse, certes, mais vous prenez simplement conscience que… vous êtes nul au ski. Dans l’humour, le bide remet votre personne toute entière en question : vous avez l’impression que vous ne servez plus à rien. Lorsque je revois mes anciens passages, je note un ton qui sonne faux et une attitude agaçante. Des blagues qui vieillissent mal comme mon sketch sur le legging que je ne pourrais plus faire aujourd’hui. Mais ce sont aussi des passages qui attestent de ma progression. Je crois que c’est rassurant pour la nouvelle génération d’avoir des preuves vidéo de nos débuts hésitants.

 

J’étais livreur de pizzas vers l’âge de 18 ans. Très peu de gens vous respectent et il n’y a rien de pire que de traverser une ville en scooter à toute vitesse. Cette profession particulièrement pénible me pousse aujourd’hui à être extrêmement poli avec les livreurs qui sonnent à ma porte. Mais depuis l’explosion de Deliveroo, certains sont devenus encore plus désagréables que leurs clients. Dernièrement j’ai mis un peu trop de temps à récupérer ma commande et on ne s’est pas gêné pour me le faire remarquer…

 

Quel est votre pire souvenir de scène ?

 

Êtes-vous encore sujet à la peur ?

Evidemment. Surtout lorsque je dois jouer dans des lieux que je ne connais pas ou qui ne sont pas “fait pour l’humour”. On me parle souvent du concert de Lauryn Hill à l’AccorHotel Arena en 2018.. Lauryn Hill avait plus d’une heure trente de retard et on m’a envoyé sur scène pour meubler. Je savais pertinemment ou je mettais les pieds. En plus, j’ai réussi à capter l’attention du public pendant deux ou trois minutes. Les gens riaient jusqu’à ce que je prononce le nom “Kim Kardashian” et qu’un type se mette à huer. Là c’était fini. J’ai tenu cinq ou six minutes, ce qui est très long, mais j’ai dû quitter la scène. J’ai d’ailleurs croisé Lauryn Hill en sortant qui m’a remercié avec un grand sourire…

 

Depuis le début de votre carrière, quel est le projet dont vous êtes le plus fier ?

Je l’en remercie d’ailleurs. J’avais le propos en tête mais je ne savais pas du tout comment m’y prendre ni comment cela allait être perçu. Puis les passages précédents de Blanche Gardin planaient au dessus de ma tête…

 

Avez-vous l’impression de devoir faire attention à tout ce que vous faites ?

Non… Ma vie est vraiment cool vous savez !

 

Fary présente actuellement son spectacle Aime-moi si tu peux en tournée internationale  : New York, Los Angeles, Dubai, Sao Paulo, Abidjan, Montréal… Il sera de retour à Paris en représentations au théâtre de la Renaissance du 27 Janvier au 23 Mars.