"J'ai du mal à comprendre pourquoi on a critiqué autant Mbappé en France"


44 ans, s’est mise à table dans un palace parisien. Il y avait le verbe, et il y avait l’accessoire : son portable pour décortiquer le schéma tactique avec un faux 9 ou une action d’un Barça-Kiev résumant sa manière de concevoir le jeu. « Le foot, c’est ma vie », dit celui qui est consultant pour Amazon en Ligue 1 et pour CBS en Ligue des champions. Il ne sait pas combien de matches il regarde par semaine mais « beaucoup », et même de « Non-League » (divisions inférieures). S’il n’a été entraîneur « qu’une seconde trente », pour un échec (Monaco 2018-2019) et une expérience compliquée (Montréal en 2019-2020), il s’épanouit en assistant coach de l’équipe de Belgique, numéro 1 du classement Fifa et qualifiée samedi soir pour le Mondial 2022.Vous avez renoué le fil avec la France en revenant entraîner Monaco puis en devenant consultant Ligue 1 pour Amazon. Qu’est-ce qui vous a frappé?Sur les dernières années, beaucoup de coaches prônent un pressing haut. Ils veulent jouer. On le voit avec Clermont, Angers, Lens ou encore Troyes cette année. Ça ne gagne pas toujours mais il y a des buts, des renversements de situation. C’est ouvert.

« La ‘Farmer League’ n’était pas une réputation mais une réalité »

que tu n’as pas le temps de travailler avec eux en jouant tous les trois jours la victoire est la seule philosophie qui vaille »Quelle équipe française vous fait vibrer cette saison?Lens. Ça joue, ça vient de partout, ça presse haut. Défendre, ça ne veut pas dire se mettre devant la surface. C’est contre-intuitif mais, selon moi, Pep est un des meilleurs coaches défensifs au monde. Oui, ses équipes prennent parfois des rafales, mais en général elles n’encaissent pas trop de buts car elles jouent haut.

« Battre toute une équipe sur une passe comme Laudrup le faisait, c’est ce qu’il y a de plus beau »

une à Magic Johnson et une à Michael Laudrup. De l’histoire, le meilleur numéro 10 qui cherche toujours la passe. Battre toute une équipe sur une passe comme il le faisait, c’est ce qu’il y a de plus beau.Aujourd’hui, quel joueur admirez-vous?Sergio Busquets. Les gens ne comprennent pas, mais c’est comme une montre : si tu retires une toute petite pièce, elle ne fonctionne plus. Tic-tac, tic-tac : c’est lui. Est-ce qu’il va vite? Non. Mais il fait le geste juste, la faute qu’il y a à faire. Calme. C’est le joueur le plus titré. Le jour où il va arrêter, on dira « qu’est-ce qu’il était fort ». Mais on peut le dire quand il est là, non?Et en Ligue 1, y a-t‑il un joueur sous-exposé qui vous parle?Ce sont quand même des joueurs qu’on remarque. Avant, j’aimais bien Benjamin Nivet. Propre, clair. Mathieu Bodmer pareil ; Eden ­Hazard le considère comme un des meilleurs avec qui il a joué. Je peux aussi citer Éric Carrière, Johan Micoud, Ali Benarbia. Les penseurs. Aujourd’hui, dans un registre différent, j’apprécie Seko Fofana. J’ai toujours aimé ­Dimitri Payet. Les gens peuvent en penser ce qu’ils veulent mais il a un cerveau. Quand il est parti à West Ham, il a éclairé le championnat anglais. Et il est toujours là. Il y a aussi Wahbi Khazri. Regardez son tempo, ses déplacements, sa finition. Je m’en fous de ton nom ou si tu es brésilien : si je sens qu’il y a une réflexion dans ton jeu, ça me parle.

« Mbappé est un attaquant qui peut jouer partout devant. On ne peut pas le cataloguer »

Quel attaquant vous ressemble?C’est un peu facile, mais Kylian. On est tous les deux passés par Clairefontaine, originaires de la banlieue parisienne, on a commencé à Monaco, la façon de jouer… Je ne me compare pas à lui, je déteste ça, mais c’est un joueur que j’apprécie beaucoup. Quand il est direct, il est impossible à arrêter. Mbappé est un attaquant qui peut jouer partout devant. On ne peut pas le cataloguer. Erling Haaland, si : c’est un avant-centre. J’ai du mal à comprendre pourquoi on l’a critiqué autant en France. Ce qui s’est passé en début de saison m’a dérangé car il a toujours été professionnel. Soyons heureux d’avoir un joueur hors pair. Il y a aussi Karim. destins croisésÊtes-vous d’accord si on dit que plus Benzema vieillit, meilleur il est?Oui, mais ça ne me surprend pas. Il a longtemps joué avec Cristiano Ronaldo. Une fois parti, la balle va vers qui? Qui prend les penalties? Le Real Madrid joue désormais à son rythme. En fait, il était tout aussi fort avant, mais comme Karim pense d’abord à l’équipe, il servait Cristiano. Pour moi, ça ne faisait aucun doute qu’il puisse prendre le relais. Il s’adapte toujours. La situation veut que ça soit lui le patron? On le voit taille patron. Quelque chose m’avait marqué : alors qu’il avait déjà fait des matches en pro, il était revenu jouer avec l’équipe de Gambardella de Lyon. Je m’étais dit : ça, c’est le signe d’un grand.Qui remportera le Ballon d’or?Aucune idée. Soyons chauvins, j’espère que ça peut être lui ou N’Golo Kanté. Robert Lewandowski aurait été élu en 2020 si ça n’avait pas été annulé. Là, avec 41 buts, il a battu le record de Gerd Müller. On peut aussi parler de Jorginho : il a tout gagné et le jeu passe par lui. Et il y a Leo qui a enfin gagné la Copa América.

« Après un match, le coach vient et fait front. Les arbitres non »

Avez-vous évoqué la Coupe du monde tous les deux ans avec Arsène Wenger, qui mène le projet pour la Fifa?J’en ai parlé avec Peter Schmeichel, qui est dans les discussions. Il m’a détaillé le projet. Je lui ai demandé : « Et l’aspect mental? » J’en ai joué quatre, j’étais rincé, que j’aille loin ou pas. Lui : « Arsène envisage de donner vingt-cinq jours après. » Pour se remettre physiquement, OK. Mais mentalement, tu respires quand? Personne ne peut me répondre. Moi, il me fallait un mois et demi. Et ça tous les deux ans?Quelles innovations vous semblent nécessaires au football?J’aimerais que les arbitres viennent parler. À chaque fois qu’ils nous expliquent les nouvelles règles en début de saison ou de compétitions, je lève la main : est-ce que vous allez parler? Non. Je n’écoute plus. Le dernier truc qu’un coach a envie de faire après un match, c’est de venir s’exprimer. On va lui parler tactique alors que, sans manquer de respect, il pourrait dire : « Mais vous êtes qualifié pour m’en parler? » Mais il vient et fait front. Les arbitres non. Au début d’une retransmission, on cite les gars dans le camion : « Et à la VAR, on a… » À la fin, c’est juste la VAR, ils ne sont plus là. Il faudrait les humaniser, ce n’est pas un robot qui décide. Le mec dans le camion, il n’est pas sur le terrain, il pourrait nous éclairer. Là, on dirait que c’est secret.Vous êtes pour le micro sur les arbitres comme au rugby?Bon, il faudrait quand même refaire une éducation. Dans notre façon de parler, soyons honnêtes, on va un peu loin. Mais, oui, au rugby, ils expliquent le pourquoi du comment. Ce qui est dur, c’est de ne pas avoir d’explications.

« Jamais on ne se demande comment va le coach »

Vous avez été un immense joueur, vous êtes très respecté en tant que consultant. Cela place la barre très haut pour votre carrière d’entraîneur?Pas du tout, mais c’est vrai qu’on revient toujours sur ce que j’ai fait en tant que joueur. Entraîneur, il faut le temps. Quand Jürgen Klopp est arrivé à Liverpool, ça lui a pris huit mois pour que les joueurs comprennent, que les corps assimilent. Puis il a analysé qui pouvait supporter ça. Il a ramené des joueurs adaptés : Mané puis Salah. Il lui en manquait pour ressortir de derrière : Van Dijk puis Alisson. Quatre ans : champions. Et c’est Klopp ! Installer une philosophie, c’est super long. La base, c’est la confiance. Ceux qui ont installé Pep à Barcelone sont ceux qui sont en place à City. Les anciens coaches qui ont pu bâtir à l’époque n’auraient pas pu le faire maintenant : il faut gagner tout de suite. Quand tu arrives dans un endroit où tu hérites de quelque chose, ça prend du temps.Ces conditions, c’est ce que vous recherchez?Oui mais ça, c’est Alice au pays des merveilles ! À Montréal, c’était bien parti puis, boum, Covid. Tu ne pouvais pas t’entraîner, on ne jouait jamais à la maison, on était en quarantaine… Je me suis retrouvé dans une situation assez bizarre. Ça n’a rien retiré de mon envie de coacher mais… Ce que vit Claude Puel à Saint-Étienne, par exemple, les gens s’en foutent. Jamais on ne se demande comment va le coach. J’ai posé cette question à Franck Haise en début de saison. Parce que je me suis retrouvé dans cette situation. La pression sur un coach est terrible. Du supporter, de la direction, des joueurs et de leur ego… Je ne cherche pas d’excuse – le mec qui se lève à 6 heures pour bosser, c’est la vraie pression -, c’est juste pour dire que je ne suis jamais entré dans le bureau d’un coach pour lui demander comment il allait. Joueur, je voulais savoir ce qu’il allait m’apporter et ce qu’il allait apporter à l’équipe, basta. C’est dur d’être coach, tu es bien seul.

« Je suis le Bernardo de Roberto Martinez »

Personne ne vous oblige à l’être?Quand ton poison c’est ton médicament… Je ne me plains pas, j’essaie juste d’expliquer. Joueur, je ne le devinais pas. Maintenant que je suis passé de l’autre côté, je peux raconter. Oui, je sais, on va me dire : « Ça va, avec tout ce que vous prenez ! » Non, il y a le côté humain aussi. On change les enfants d’école. Viré ! On bouge. « Mais je viens de me faire des amis, moi. » Alors tu réfléchis, tu dis à ta famille de ne pas te suivre. Sans parler des « ton père, il est nul » à l’école. Je n’avais jamais pensé à tous ces petits trucs. Mais voilà, on est encore là. S’il y a un projet intéressant, on verra. Pour l’instant, je suis très bien avec la Belgique.Ça devait être provisoire, c’est une histoire sans fin…J’adore cette équipe, je suis redevable envers Roberto Martínez. Il m’a tendu la main quand personne ne me la tendait, je n’oublierai jamais. Je suis son ­Bernardo, l’assistant de Zorro : je sais rester à ma place. Il nous manque ce dernier truc pour aller au bout, on verra ce qu’on pourra faire au Qatar.