Je mange tellement vite que j'ai tout le temps faim


Sander Dalhuisen via Unsplash

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Quiconque me voit manger doit penser que j’ai été privé de nourriture depuis ma naissance.

Je mange tellement vite que j'ai tout le temps faim

À peine dépose-t-on dans mon assiette la substance du repas du jour que je me précipite dessus comme si ma vie en dépendait. Deux minutes plus tard, par je-ne-sais quel tour de magie, mon assiette ressemble à la surface de mon crâne : lisse et poli comme un caillou sorti des eaux. Un déporté revenu des camps de la mort n’aurait pas pareille voracité.

Je ne suis même pas sûr que la bouchée que j’ingurgite ait le temps de recevoir la bénédiction de mes dents, elle file plutôt tout droit au fond de mon palais comme aspirée par l’œsophage avant de dévaler jusque dans les profondeurs de mon estomac. Je ne mange pas, je dévore, j’engloutis, je m’empiffre tel un sinistre glouton à qui on n’aurait jamais appris ce que mastiquer veut dire. Je ne m’explique pas trop cet empressement fébrile.

Après tout, ce n’est pas comme si je menais une existence endiablée. À mon dîner ne succédera rien d’autre qu’une visite prolongée à mon canapé d’où, deux, trois heures plus tard, je m’extrairai pour mieux rejoindre mon lit. Pourtant, à voir la façon que j’ai de manger, on jurerait que j’ai rendez-vous avec un grand de ce monde, un tête-à-tête importantissime où se jouera l’avenir même de la planète.