"Je renonce à le considérer comme barbare"


Au 67e jour du procès des attentats du 13-Novembre, la cour a interrogé Osama Krayem, considéré comme l’un des plus hauts gradés de l’Etat islamique parmi les accusés. Il n’a répondu à aucune des questions de la cour. Exerçant son droit au silence. Puis son professeur de français est venu témoigner à la barre.

Osama Krayem, ses immenses cheveux longs tombant le long de son torse, son épaisse barbe brune débordant de son masque chirurgical bleu, s’est assis dans le box au 67e jour de ce procès. Ce box qu’il boudait depuis fin novembre, et où il n’était revenu qu’une seule fois, la semaine dernière, amené de force par une escorte de gendarmes. Mais l’audience avait alors été assez vite suspendue, Salah Abdeslam étant toujours positif au Covid-19. L’interrogatoire de Krayem avait été reporté à aujourd’hui. Cette fois, cet accusé suédois, considéré comme un proche des plus hauts cadres de l’Etat islamique, a préféré revenir de lui-même, sans qu’on le contraigne. Mais il a prévenu qu’il imposerait son silence, en réponse aux questions de la cour.

« Je ressens que ce procès est une illusion »

poursuivait-il. Dans son courrier, Osama Krayem disait ressentir que « nous faisons tous semblant et que ce procès est une illusion ». Il estimait que le fait de comparaître et de s’expliquer ne changerait rien au verdict de la cour. « C’est pourquoi j’ai pris la décision de ne plus m’exprimer jusqu’à la fin des débats », concluait-il. 

« Monsieur Krayem, c’est bien d’être venu ! », lui lance le président Périès, en préambule. « Est-ce que vous avez une déclaration à faire ? » Krayem, regard sobre et air de mépris, répond quelques mots en arabe. Son interprète traduit pour la cour   : « Non rien, je ne répondrai pas aux questions ». Après un long silence, il se rassied, épaules basses dans son sweat-shirt zippé noir. Le président attaque l’interrogatoire  : « Donc j’avais envie de vous poser la question sur l’évolution de votre religion jusqu’à votre départ en Syrie, en août 2014 ? Mais je pense qu’il n’y aura pas de réponse. » Et Krayem reste muet. Obstinément muet face à toutes les questions que le président pose. A l’adresse de la greffière, le président demande de noter que « l’accusé exerce son droit au silence ».

Alors, Jean-Louis Périès lit des extraits de procès verbaux de l’enquête, des PV dans lesquels Krayem expliquait sa vision « œil pour œil, dent pour dent ». Le califat de Daech « comme une riposte des Musulmans, même si vous disiez que vous ne cautionniez pas les attentats », précise le magistrat en robe rouge à col d’hermine blanc à pois noirs. Le juge lit un autre extrait, dans lequel Osama Krayem supputait que s’il y avait eu au Bataclan une femme qui eût porté le voile, « je ne crois pas qu’on lui ait tiré dessus ». Le président Périès lui fait remarquer qu’il y a eu des victimes musulmanes le soir du 13 novembre 2015 à Paris. Dans son box, Krayem ne réplique rien. Rien d’autre que son silence. 

Obstinément mutique 

où, quand, comment ? On est en droit de se demander à quel niveau de l’Etat islamique vous étiez », insiste le magistrat. Mais Krayem ne le regarde même pas, balayant ses yeux droit devant lui, de droite à gauche, puis au sol, l’air indifférent, à tout ce qu’on dit de lui. Le juge rappelle l’essentiel du parcours de l’accusé Krayem. Départ en Syrie en 2014 à l’âge de 22 ans. Depuis Raqqa, il écrivait à son petit frère, resté en Suède  : « Les mécréants sont nos ennemis, haïs-les mais ne le montre pas ». En Syrie, Osama Krayem a assisté à l’exécution barbare d’un pilote jordanien, brûlé vif dans une cage. Exécution cruellement mise en scène, filmée, et on avait vu l’insoutenable vidéo à ce procès, il y a quelques semaines. Le président Périès évoque le retour de Krayem par la route des migrants, sur l’île de Leros. Krayem qui n’était pas à Paris le soir du 13 novembre 2015, mais les enquêteurs pensent qu’il projetait une action à l’aéroport de Schiphol aux Pays-Bas. Quatre mois plus tard , il était l’un des terroristes des attentats de Bruxelles.

il lui a donné une bande dessinée, un album des aventures de Tintin, « L’oreille cassée ». Puis il a mis entre les mains de Krayem « Le petit prince », d’Antoine de Saint-Exupéry. 

« Il était plus peureux qu’aventureux »

 » 

A la barre, Pierre-Jean ajoute qu’il s’est plusieurs fois demandé s’il allait continuer à donner cours à Osama Krayem, après avoir entendu « des choses à la radio », après les attentats dans le métro de Bruxelles. Mais il se disait  : « Je renonce à le considérer comme barbare, car c’est le seul chemin tourné vers l’avenir ». Me Stuyck, la deuxième avocate d’Osama Krayem le remercie d’être venu. Elle précise qu’il est le seul témoin que son client ait accepté, pour sa neutralité. Krayem estimait que « sa famille n’était pas assez neutre ». 

Le frère cadet trouvait qu’à Malmö, en Suède, son aîné était « sensible, timide, plus peureux qu’aventureux ». La grande sœur résumait Osama Krayem comme « le clown de la famille, pas violent, avec un grand cerveau, il pensait comme quelqu’un de plus âgé, de raisonnable ». Elle décrivait son frère qui « regardait Tom et Jerry, et il en rigolait. Il souriait tout le temps. Les enfants l’aimaient bien. Il aimait beaucoup les enfants ». A son professeur de français, Krayem a confié qu’il n’aurait pas d’enfant, « car il disait que ce serait trop lourd à porter de l’avoir pour père ». Le procès se poursuivra vendredi à 12h30, avec l’interrogatoire de l’accusé Adel Haddadi.