Dominique Costagliola  : "La pandémie de Covid-19 est terminée, mais qu’avons-nous appris  ? "


L’Organisation mondiale de la santé (OMS) vient officiellement de lever son plus haut niveau d’alerte sur la pandémie de Covid-19, estimant que le virus était désormais suffisamment sous contrôle. Après trois ans de crise, « au moins 20 millions de morts », selon le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, et beaucoup de souffrances, va-t-on enfin pouvoir tourner la page ? Le Dr Tedros a aussitôt tempéré la bonne nouvelle : le Covid fait toujours de nombreuses victimes. « Ce virus est là pour durer, il continue de tuer », a-t-il rappelé.

De fait, si le Sars-CoV-2 nous laisse un répit appréciable depuis quelques mois, au point de nous laisser croire à un retour à « la vie d’avant », il n’a pas disparu. Nous en sommes arrivés à une paix armée entre ses capacités d’évolution et les défenses immunitaires que nous avons pu monter contre lui. Cette paix sera-t-elle durable ? Nul n’en sait rien, rappelle l’épidémiologiste et directrice de recherche émérite à l’Inserm Dominique Costagliola.

Dominique Costagliola  :

Pourtant, nous avons baissé la garde, regrette-t-elle. Il ne faudrait pourtant pas grand-chose pour se préparer à d’éventuelles résurgences du Covid, mais aussi à l’apparition de nouveaux virus peut-être encore plus dangereux – de l’investissement dans des systèmes de surveillance des agents pathogènes, et dans la qualité de l’air intérieur. Ne pas s’en donner la peine nous laisse très vulnérables.

L’Express : L’Organisation mondiale de la santé vient d’annoncer la fin de l’urgence de santé publique de portée internationale liée au Covid. Qu’est-ce que cela change ?Dominique Costagliola : Vu qu’en ce moment nous ne faisons plus rien pour empêcher le virus de circuler, cela ne va rien changer du tout  ! Bien entendu, nous n’avons plus besoin de mesures de contrôle aussi fortes que celles prises en 2020 et 2021. Il n’est donc pas illogique que l’OMS dise que le Covid ne représente plus la même priorité.

Mais il faut quand même rappeler que, entre janvier 2022 et janvier 2023, 480 000 personnes ont encore perdu la vie du fait de cette infection en Europe [NDLR : au sens de l’OMS, c’est-à-dire dans 53 pays allant de l’Atlantique au Pacifique]. Rien qu’en France, nous continuons à enregistrer entre 20 et 30 décès par jour depuis le début de l’année. Il s’agit sans doute d’un minimum, car on ne mesure plus du tout l’incidence de la maladie compte tenu du nombre de tests très faibles réalisés actuellement, y compris dans les hôpitaux.

La fin de la pandémie veut-elle dire que nous n’aurons plus de grandes vagues d’infections, mais plutôt des vaguelettes, comme depuis le début de l’année ?Est-ce que nous n’avons vraiment eu que de petites vagues ces derniers mois ? Je n’en sais rien, puisqu’on ne mesure plus rien. Mais ce n’est pas parce que le virus se fait plus discret qu’il ne continue pas à poser des problèmes. Il est certain que cette maladie est là pour rester.

On voit bien qu’il est même assez peu probable que le virus soit sur le point de devenir saisonnier, puisqu’il y a encore des vagues à toutes les saisons. Le Covid ne devrait donc pas ressembler à la grippe de sitôt, à la fois du fait de sa très grande transmissibilité et de sa sévérité. Il circule en permanence, et donne des formes plus graves chez les personnes vulnérables.

Cela représente donc un fardeau plus lourd, à la fois en termes de décès et d’hospitalisations. Sans parler du Covid long, dont on ne connaît pas bien les conséquences à long terme, ou encore de l’augmentation du risque de diabète ou de maladies cardio-vasculaires, y compris chez les personnes qui ne font pas de formes graves. A quoi on peut aussi ajouter des conséquences en termes d’arrêt de travail, car, même quand on est vacciné et qu’on l’a déjà attrapé, on peut faire des formes très épuisantes.

Vous dites que l’on ne voit plus rien, mais, s’il y avait des vagues plus marquées, elles se traduiraient quand même dans les statistiques des hospitalisations…Il faudrait vraiment qu’il y ait une augmentation importante des admissions pour qu’on les détecte puisqu’on ne teste plus systématiquement les personnes hospitalisées. L’absence de mesures de contrôle dans les établissements de soins est d’ailleurs très choquante : sans tests ni masques, il est probable que les centres hospitaliers eux-mêmes deviennent des contributeurs de la circulation du virus  ! Par ailleurs, on peut tout à fait imaginer que chez les personnes vulnérables souffrant d’affections chroniques, le virus va déstabiliser la pathologie sous-jacente et l’aggraver. Les malades seront hospitalisés pour ce motif, plutôt que pour une pathologie respiratoire à coronavirus.

Pour ces patients, le manque d’incitation à faire des tests se révèle par ailleurs très problématique : cela les prive d’un accès à un traitement, car les antiviraux doivent être prescrits assez vite après l’infection.Un nouveau variant, le XBB.1.

16, a relancé les infections en Inde : faut-il s’en inquiéter ?Il est devenu dominant dans ce pays, et il en sera probablement de même en Europe. Est-ce qu’on le détectera, vu le manque de surveillance ? Je n’en sais rien. Les multiples variants que nous avons vu émerger ces derniers mois ont beaucoup divergé par rapport à l’Omicron ancestral.

Tous échappent un peu à nos défenses, sans que nous ayons pour l’instant d’évolution qui redonne beaucoup de formes graves. Cela montre bien que, au-delà des anticorps neutralisants qui apparaissent juste après une vaccination ou une infection mais qui disparaissent au bout de quelques mois, notre système immunitaire a su construire des défenses permettant d’obtenir une espèce de paix armée avec le virus, sauf chez les personnes fragiles. Aujourd’hui, personne ne peut toutefois dire combien de temps cette protection perdurera.

Dans ces conditions, comment peut-on savoir à quel rythme il faudrait se revacciner ?La plupart des pays recommandent une injection annuelle pour les adultes sans problème de santé particulier. Mais il faut bien reconnaître que le rationnel scientifique sur lequel reposent ces avis est très modeste. Ils se basent sur le niveau d’anticorps neutralisants.

Celui-ci a dû beaucoup diminuer dans la population générale, qui reste pourtant largement protégée contre les formes graves, alors qu’elle n’a pas été revaccinée depuis maintenant assez longtemps. Il est donc très difficile de trancher. Pour les personnes les plus fragiles, en revanche, deux doses par an demeurent nécessaires.

Pour le reste de la population, il pourrait donc même être inutile de se revacciner ?Mais pourquoi ne recevrions-nous pas une injection chaque année ? En quoi cela serait-il gênant ? Il serait peut-être utile de stimuler régulièrement nos défenses, pour les préparer en cas d’apparition de nouveaux variants. Certains craignaient un effet dit « d’empreinte immunitaire », qui aurait pu amoindrir à l’avenir l’efficacité de futures injections à force de multiplier les doses. Mais cette inquiétude a moins lieu d’être avec les vaccins bivalents, qui semblent donner des stimulations suffisamment larges pour prévenir ce risque.

Faut-il encore vraiment craindre l’apparition de variants beaucoup plus dangereux ?Le virus continue à évoluer, c’est la seule certitude. Il est possible qu’il ne refasse plus jamais parler beaucoup de lui, mais le contraire est possible aussi. On voit bien que cela ne dépend pas de grand-chose.

Avec le Sras du début des années 2000, on a eu une épidémie violente et soudaine, et puis il a disparu. Ce coronavirus circule et tue depuis trois ans. Pourtant, ils sont relativement voisins.

Les virologues n’ont pas progressé dans la connaissance de ses capacités de mutation ?Pour répondre à cette question, il faudrait faire des expérimentations dites « de gain de fonction » ou « d’évolution sous pression », pour voir quelles sont les possibilités de mutation du virus. Mais, avec ces manipulations, il y a toujours un risque d’échappement, de fuite de laboratoire. Ces recherches doivent donc être a minima très contrôlées, et on peut même se demander si on a vraiment envie qu’elles soient conduites.

Cela reste une question ouverte.Maintenant que le Covid n’est plus considéré comme une pandémie, quelles devraient être, selon vous, les priorités du gouvernement et des autorités sanitaires ?D’abord, continuer à mener des recherches pour apporter des solutions aux personnes immunodéprimées ou fragiles, qui ne sont pas bien protégées par la vaccination, car elles ne montent pas une bonne réponse immune. On ne sait finalement pas très bien comment utiliser au mieux les traitements disponibles : faudrait-il faire des associations entre les antiviraux ? Ne devrait-on pas utiliser des doses plus élevées chez ces patients ? A ma connaissance, il existe au moins une étude en cours, à l’université de Genève, mais c’est un sujet sur lequel nous devrions investir davantage.

L’autre grand enjeu, c’est la qualité de l’air intérieur. Le président Emmanuel Macron avait promis un grand plan en la matière, mais nous l’attendons toujours. Nous savons pourtant que, au-delà du Covid, cela réduirait l’incidence de toutes les maladies infectieuses respiratoires, à commencer par la grippe et la bronchiolite.

L’investissement serait très rentable.Et puis il y a, bien sûr, toute la question de la surveillance du virus. A défaut de tests, nous devrions au moins disposer de méthodes indirectes, comme l’analyse des eaux usées.

Or nous sommes totalement dans le brouillard, alors même qu’il y a encore beaucoup d’incertitudes. Pour la grippe, que l’on fasse principalement une surveillance syndromique [NDLR : à partir des symptômes déclarés par les malades auprès de médecins sentinelles] peut se comprendre, car il s’agit d’une maladie sur laquelle nous avons du recul. Encore que, même dans ce cas, nous disposons d’un minimum de surveillance virologique pour détecter d’éventuelles mutations dangereuses.

Mais, avec le Covid, que nous connaissons beaucoup moins bien, ne pas se donner les moyens de suivre les évolutions du virus, cela donne vraiment l’impression que l’on n’a rien appris de cette crise. Quand la prochaine surviendra, on ne saura toujours rien faire de très pertinent. Faire de la projection, pouvoir détecter rapidement un nouveau variant paraîtrait pourtant une bonne idée.

Mais, non, on préfère attendre que cela nous tombe dessus et que cela nous écrase à nouveau. Ce n’est pas ce que j’appelle de la préparation aux épidémies.Justement, vous parliez de la surveillance des eaux usées : après le succès du projet mené par le réseau Obépine, cet outil ne devait-il pas être repris et développé par les autorités sanitaires ?Effectivement, cela a été confié à l’Anses et à Santé publique France.

Ces deux organismes voulaient valider différents points avant de l’utiliser en routine. Malheureusement, ce faisant, ils ont stoppé l’organisation qui avait été mise en place par l’équipe de scientifiques d’Obépine. C’est dommage, car cela aurait été bien utile dans la période actuelle.

En l’état, je ne pense pas que cela redémarre avant l’année prochaine.En parallèle, il a été demandé aux mêmes scientifiques d’Obépine de répondre à un appel d’offres sur les questions de recherche que cette surveillance soulève. Mais, pour l’instant, les résultats de cet appel d’offres ne sont pas connus.

Les enfants sont aujourd’hui moins protégés que les adultes face au Covid, puisqu’ils ne sont pas vaccinés et que les plus petits d’entre eux ont été, par définition, moins exposés au virus. Dans ces conditions, doit-on craindre qu’ils ne deviennent un réservoir viral, un peu comme pour la grippe ?Effectivement, maintenant que nous avons quasiment tous été vaccinés ou infectés, ou les deux, le virus va avant tout circuler chez les plus jeunes. Je note que nous n’avons toujours pas d’avis de la Haute Autorité de santé qui permettrait la vaccination des enfants de 6 mois à 6 ans, alors même qu’il existe une autorisation européenne de mise sur le marché pour ce public.

La théorie selon laquelle les enfants étaient peu transmetteurs du virus s’appuyait sur des données de qualité très modeste et, surtout, elles avaient été établies à une période où les écoles étaient fermées. Dans ces conditions, les enfants risquaient beaucoup moins d’être infectés et de transmettre  ! Nous savons maintenant qu’ils jouent bien un rôle dans la circulation du virus. Un peu comme pour la grippe, d’ailleurs, où les écoles sont clairement des moteurs de l’épidémie.

Pendant longtemps, pourtant, la France a privilégié la vaccination contre la grippe des plus de 65 ans plutôt que celles des enfants, contrairement aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Heureusement, la vaccination antigrippale des enfants est maintenant recommandée.Concernant les enfants, la qualité de l’air à l’école est un vrai sujet.

Toutes les études montrent que, en plus de prévenir les maladies infectieuses respiratoires, avoir des taux de CO₂ raisonnables dans les salles de classe est excellent pour la concentration et les apprentissages. On nous annonce un grand plan sur le bâti scolaire pour répondre aux enjeux des normes thermiques. C’est très bien, mais pourquoi ne pas en profiter pour travailler de façon concomitante sur la qualité de l’air ?Que pensez-vous de la polémique sur la réintégration des soignants non vaccinés ?Ce vote tombe au plus mauvais moment, alors que l’on veut étendre la vaccination contre le papillomavirus sans pour autant la rendre obligatoire.

Peut-on imaginer réussir à mener cette campagne auprès des adolescents, tout en envoyant par ailleurs un message indiquant que, finalement, les soignants non vaccinés avaient raison de refuser l’injection anti-Covid ? Cela n’a aucun sens. Ces incohérences dans le discours en matière de santé publique vont se payer cash.