La question du jour. Êtes-vous tenté de goûter à du vin sans alcool  ?


Il faut prendre le train en marche » : face à un marché en pleine déconfiture, des châteaux et coopératives du Bordelais misent sur le marché des vins désalcoolisés, en plein essor, pour attirer une nouvelle clientèle.Au Château Clos de Bouärd, côtoyant les grands crus classés des coteaux de Saint-Emilion, les commandes  s’enflamment  en plein  Dry January , opération incitant à ne pas boire d’alcool pendant le mois de janvier.
Sa propriétaire Coralie de Bouärd, pionnière dans le Bordelais, a élaboré il y a trois ans sa cuvée  Prince Oscar  – à la demande de la direction qatarie du Paris Saint-Germain – obtenue par les mêmes fermentation et élevage en barriques  que sa cuvée la plus haute . Le vin est ensuite distillé sous vide  à froid  (32 degrés).  Au-delà, on cuit les arômes et on agresse la matière première , dit-elle. On a réussi à garder tous les marqueurs du vin et on rééquilibre l’absence d’alcool en rajoutant du moût concentré de la propriété : il redonne la gourmandise, le gras, la générosité au vin , souligne la viticultrice qui s’est  émancipée  d’une célèbre dynastie.Face aux puristes pas toujours tendres, notamment sur l’absence de longueur en bouche, elle affirme faire du  vin pour tous . Femmes enceintes ou allaitantes, particuliers qui ne boivent pas en semaine ou pour raisons médicales (sportifs, conducteurs, épiceries halal, etc.), la clientèle visée est large et souvent jeune.En 2023, 30 % des Français déclaraient consommer des boissons  No/Low  (sans alcool ou avec peu d’alcool), dont 45 % des 18-25 ans, selon le baromètre SOWINE.« Des barrières à faire tomber » Je préfère être dans la locomotive que dans les wagons. Il faut avancer avec les générations et Bordeaux doit s’adapter , plaide Coralie de Bouärd, qui prévoit de désalcooliser 18 000 bouteilles d’ici à début février.Dans un contexte bordelais difficile, entre surproduction et fermeture de marchés à l’export, la vente des 50 000 bouteilles de son dernier millésime désalcoolisé est une  bouée de sauvetage  qui  maintient à flot  sa propriété.Reste la question du goût.  Meilleur est le vin de départ, meilleur sera le vin sans alcool , estime Laurent David, propriétaire du château Edmus, micro-domaine à Saint-Emilion. Lancées début janvier, ses 1 200 premières bouteilles obtenues à partir de son grand cru, par une méthode de filtration, ont vite trouvé preneurs.Effet de mode ou tendance de fond ?  Il y a quelques barrières à faire tomber car c’est un produit différent , souligne le néo-vigneron, président de la WineTech après une carrière à Apple.  Proposé au verre dans les restaurants, il a beaucoup d’avenir , assure-t-il.À l’instar du succès des bières sans alcool (autour de 10 % du marché), ses promoteurs anticipent une croissance  exponentielle  des vins sans alcool : 10,5 % par an en valeur, dans le monde et en France, d’ici à 2032 selon la société américaine Fact. MR. Dans le contexte actuel, il faut désormais savoir maîtriser la baisse en degrés , abonde Philippe Cazaux, directeur de la coopérative Bordeaux Families (vins et crémants), qui vise une gamme de zéro à 9 degrés d’alcool, contre 12 à 14 pour les crus classiques actuels.Cette dernière a investi 2,5 millions d’euros dans une installation de distillation sous vide au cœur de l’Entre-Deux-Mers. Environ 500 000 bouteilles seront commercialisées cette année.Dans le Sud-Ouest, le groupe Grands Chais de France dispose d’une unité de désalcoolisation et la start-up spécialisée Moderato va créer, au printemps, un centre de développement dans le vignoble gersois (sud-ouest) avec le groupe coopératif Vivadour. On n’en est qu’aux balbutiements de la technologie, forcément il y aura des loupés , temporise Julien Lavenu, œnologue associé de Derenoncourt Consultants, qui accompagne le Château Edmus. Il faut penser le vin sans alcool dès le vignoble pour réussir la désalcoolisation, anticiper pour avoir le moins d’interventions : peu extraire, conserver du sucre pour moins en ajouter après , ajoute le spécialiste.Pour l’heure, le procédé n’exprime pas la profondeur ni l’intensité d’un terroir et les produits obtenus manquent de complexité. Mais  le vin 0 % du futur n’aura rien d’un ersatz , avance Sébastien Thomas, président du Collectif des Vins No/Low et cofondateur de Moderato.