Dans votre carrière, vous avez produit ou réalisé des documentaires sur l’équipe de France de foot, sur des acteurs et sur la campagne présidentielle de Lionel Jospin en 2002. La politique est-elle une matière différente à filmer ?
Elle se filme comme n’importe quel moment de la vie. Rien ne différencie un vestiaire de foot d’une usine ou d’un siège de campagne.
Dans chaque milieu, la même règle s’impose à nous : être présent au bon moment, être conscient de l’impact que nos images peuvent avoir pour les téléspectateurs et la personne filmée, respecter la vérité du moment.
Dans une campagne, la « vérité du moment » peut très rapidement changer…
C’est pour cela que je parle de vérité du moment. Il faut la restituer de la manière la plus juste même si, plusieurs semaines après, elle est éclairée différemment.
Vous filmez à un instant T, puis votre réflexion se nourrit, vous confrontez les séquences les unes aux autres et là, vous construisez une histoire. Pour Comme un coup de tonnerre, pendant deux mois, nous avons tourné tous les jours, du matin au soir, en montant au fur et à mesure, dans le respect de la vérité du moment, sans recul. Jusqu’aux derniers jours avant le premier tour de l’élection présidentielle en 2002, il nous semblait évident que nous suivions la campagne du futur président de la République.
Le 21 avril, vers 17 heures, on comprend le drame en train de se nouer. A ce moment-là, j’appelle la chef-monteuse pour lui dire qu’il faut tout reprendre. Ce n’est plus un remake de Les Yeux dans les Bleus, le récit de la victoire des Bleus à la coupe du Monde 98, mais celui de l’échec de la campagne de Lionel Jospin.
L’impression du moment prend un relief nouveau. Nous avions 350 heures de rush. Heureusement que notre scripte avait tout visionné et noté, avec des times codes.
Cela illustre la particularité d’une campagne : l’histoire que l’on pense raconter peut changer en une fraction de seconde.
Avant le 21 avril, je pensais tourner un film de vainqueur. Le jour du premier tour, j’accompagne Lionel Jospin à Cintegabelle, en Haute-Garonne, là où il vote.
Dans l’avion à l’aller, je veux lui demander s’il est plutôt Beatles ou Rolling Stones, pour utiliser leurs musiques dans le film. Adolescent à l’époque, il avait forcément aimé l’un ou l’autre. Il ne me répond pas.
Il semble agacé. J’en suis surpris. A-t-il un doute à ce moment-là ? Je le crois pourtant qualifié pour le second tour.
Un sentiment confirmé par une séquence tournée lors de ce voyage, que nous n’avons pas gardé dans le documentaire. On y voit, plus tôt dans la journée du 21 avril, Didier Guillaume, devenu ensuite ministre de l’Agriculture d’Edouard Philippe, souffler à l’oreille que les scores de Lionel Jospin en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie sont très bons. Je m’étais dit que cette séquence servirait à illustrer les prémices du triomphe.
Il n’en sera rien.
« Le temps d’immersion joue pour nous. A force de se demander si on filme ou pas, les personnages finissent par ne plus se poser la question et nous oublient »
Comme un coup de tonnerre est un huis clos étouffant.
Il se déroule essentiellement dans les salles de réunion du QG. A quel moment faites-vous ce choix ?
Nous sommes perçus comme ceux qui ont filmé les futurs champions du monde. Nous serons ceux qui ont filmé le futur président de la République. Mais en réalité, notre véritable référence, c’est The War room.
Comme y êtes-vous parvenu ?
Il y a une règle : pouvoir tout filmer. Nous avions signé un contrat moral avec l’équipe de Lionel Jospin.
Stéphane Meunier avait procédé de la même façon pour Les Yeux dans les Bleus. Le 1er jour de préparation pour la Coupe du monde 1998, il arrive à Tignes. Aimé Jacquet le présente aux joueurs comme un membre à part entière de l’équipe.
Là-dessus, il leur donne rendez-vous à 17 heures pour évoquer les contrats. Et il explique à Stéphane qu’il ne pourra pas venir. En aparté, Stéphane explique à Aimé Jacquet que s’il fait cela, les joueurs se sentiront en position de ne pas le laisser filmer quand cela leur chantera.
Stéphane a finalement assisté aux entretiens entre les Bleus et Aimé Jacquet. Il a fait acte de présence, caméra en bandoulière, sans filmer. Les joueurs ont compris qu’il serait toujours là.
Pour la campagne de Jospin, nous avons appliqué le même principe.
Quelle est la clé dans un film de campagne ?
Stéphane Meunier avait filmé avec une caméra amateur Mais nous avions également placé des micros-HF sur les tables de réunion pour gagner en discrétion L’avantage Mais, en réalité, le temps d’immersion joue pour nous.
A force de se demander si on filme ou pas, les personnages finissent par ne plus se poser la question et nous oublient.
Les responsables politiques que vous avez filmés sont-ils des personnages, des acteurs ou des protagonistes ?
Pareil avec des footballeurs. C’est en cela, que je disais qu’il faut filmer la politique comme n’importe quel sujet. Honnêtement, avec la quantité de rush dont je disposais, j’aurais pu au montage faire d’une même personne quelqu’un de très sympathique ou d’antipathique.
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