« Une erreur de jeunesse. » Voilà comment Benjamin Lacroix-Desmazes, les yeux bleus perçants, raconte son accident. Ce moment d’égarement qui aurait pu lui coûter la vie.
De cette soirée trop arrosée du 30 novembre 2001, le Caennais ne se souvient de rien. Elle a pourtant fait basculer son destin, un temps noirci son quotidien, avant de sacrément l’embellir, à force de résilience, d’amour pour la vie, de passion pour le sport.Ainsi vit et irradie Benjamin Lacroix-Desmazes, 45 ans, dont la moitié passée avec une jambe en moins.
Ce mari et père de trois enfants, féru de sports, est le capitaine de l’équipe de France de volley-assis. Un sportif accompli qui, à l’aube de rejoindre Paris, vit sa meilleure vie.Benjamin, où et comment avez-vous suivi les Jeux olympiques ? Au moment de la cérémonie d’ouverture, on était en stage dans notre camp de base, au Creps de Vichy.
On a regardé le début des Jeux ensemble, on a senti la ferveur monter. Et puis certains joueurs, dont je fais partie, ont eu le droit à quelques jours de vacances. Le volley assis me prend beaucoup de temps et il était important pour moi de passer du temps en famille.
J’ai regardé quelques épreuves, j’ai suivi le volley avec beaucoup d’assiduité et de plaisir.Quelle image garderez-vous de ces Jeux ?J’ai deux souvenirs forts. Le premier, c’est au début de la cérémonie d’ouverture, quand un panache de fumée bleu-blanc-rouge le pont.
C’était magnifique. Le deuxième, c’est le titre des Bleus au volley. Ils ont réalisé une compétition incroyable.
Ces Jeux ont été une très belle réussite. J’ai hâte de vivre le match retour, ces Jeux paralympiques.« Ce que j’aimais, c’était toucher à tout et être moyen-bon partout »Enfant, quel était votre rapport au sport ?J’ai goûté un peu à tout, à la natation dès 3 ans à la piscine du Chemin vert.
Puis j’ai essayé le foot, deux ans au Stade Malherbe, mais ce n’était pas trop mon truc. J’ai fait du tennis au TC Caen et ado, un professeur du collège Dunois, Monsieur Robinet, m’a fait goûter au volley le mercredi après-midi. J’ai commencé le volley comme ça, puis j’ai pris une licence au Caen VB, où j’évoluais au niveau régional.
J’étais également féru de windsurf.Vous n’envisagiez évidemment pas de disputer un jour les Jeux olympiques, mais en avez-vous seulement rêvé étant gamin ?Jamais dans la mesure où je n’ai pas fait de compétitions de haut niveau. Ce que j’aimais, c’était toucher à tout et être moyen-bon partout.
Quand je voyais les sportifs à la télé, j’étais fasciné mais je n’ai jamais rêvé de faire les Jeux. C’est arrivé plus tard (rires).À l’hôpital après votre accident, à quel moment la question « Pourrai-je refaire un jour du sport » est-elle arrivée ?Très, très vite dès que je n’ai plus été shooté par la morphine.
J’ai cherché à savoir ce que je pourrais faire ou refaire. Et j’ai eu la chance d’avoir, dans mon entourage, un médecin de rééducation et un oncle chirurgien en mesure de rapidement répondre à mes questions. J’ai su très vite que je pourrais refaire des choses mais je n’imaginais pas pouvoir en faire autant.
Ça s’est fait petit à petit.« Le sport m’a aidé et m’aide à accepter ce handicap, à accepter le regard des gens »Quand avez-vous repris une activité sportive ?Deux mois après l’accident, au centre de rééducation de Bruges (Gironde). J’ai passé un mois d’hôpital, puis un mois de cicatrisation chez mes parents.
À Bruges, j’ai repris la musculation. Tout ce que je pouvais faire, je le faisais. Dès que j’ai pu, j’ai repris la natation et la course à pied.
Au moment de vous reconstruire, le sport est devenu votre principal allié ?Il m’a sacrément aidé et m’aide toujours, 22 ans après, à accepter ce handicap, et même à le mettre en avant, à accepter le regard des gens.Votre accident a eu lieu en novembre 2001. Vous ne vous souvenez de rien mais vous n’avez aucun mal à en parler…C’est une erreur de jeunesse dont je suis l’unique responsable.
J’ai abusé au cours d’une soirée et comme Jamel Debbouze, j’ai été happé par un train. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé.Comment trouve-t-on la force de se relever après un tel accident ?Je ne me suis pas posé de questions.
J’étais responsable alors pour ma famille, pour mes proches, il fallait que je me relève. Quelque part, j’ai eu la chance d’avoir un grand-père paraplégique, que j’ai toujours connu en fauteuil roulant. Quand j’étais gamin, je m’amusais dans son fauteuil.
Ces souvenirs m’ont aidé à accepter plus rapidement ce handicap plus rapidement. Ce n’était pas nouveau. Certes, j’avais une jambe en moins mais ça me faisait penser à mon grand-père et ça m’aidait.
Je dis souvent que le sport a été ma béquille. Il m’a aidé à aller de l’avant, à me rendre compte qu’on peut faire de grandes choses malgré le handicap. Ces Jeux paralympiques en sont la preuve.
C’est une forme de consécration. Dans la tête de pas mal de personnes, ce sont des handicapés mais venez voir à quoi ça ressemble ! Vous serez surpris.« Ça m’a permis de vivre des trucs inimaginables »Avec du recul et quitte à paraître déplacé, diriez-vous que cet accident vous a ouvert des portes extraordinaires qui ne se seraient pas ouvertes devant vous sans cet accident ?Ce n’est pas déplacé du tout, je le dis souvent.
Si c’était à refaire, je ne referais peut-être pas exactement la même chose mais très honnêtement, ça m’a permis de vivre des trucs inimaginables. Quand j’ai repris le sport, j’ai eu la chance de partir en Guadeloupe pour disputer un meeting d’athlétisme. J’ai rencontré des tas de gens intéressants dans des domaines différents : des médecins, des kinés, des athlètes, des para-athlètes… Et j’ai découvert l’équipe de France de volley-assis, une bande de potes, des gens que je n’aurais jamais rencontré sans cet accident.
J’aurais probablement fait d’autres choses superbes, mais je ne me plains pas. Ma vie depuis l’accident est une réussite.
Benjamin Lacroix-Desmazes est le capitaine d’une jeune équipe de France.
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En septembre 2017, Paris est désignée ville hôte des Jeux olympiques et paralympiques 2024. Dans quelle mesure cette annonce a-t-elle bouleversé votre vie ?En 2017 et 2018, elle a commencé à bien impacter ma vie. Et depuis 2019, je vis Paris, je dors et me réveille Paris.
Toute ma vie est tournée autour de ça et depuis un an et demi, je vis mon projet à 120 %. J’ai réussi à m’entourer de partenaires, qui m’ont permis de me dégager du temps du travail. Ces derniers mois, malheureusement pour mes patients, j’ai délaissé mon cabinet de kiné.
J’avais besoin de ça pour être à fond dans ce projet qui me booste depuis plusieurs années.Comment votre femme et vos trois enfants ont vécu ces sept dernières années et comment vivent-ils ce dernier mois ?Les premières années, ça allait parce que je travaillais. Ça devient plus difficile dans la mesure où je ne suis pas un athlète professionnel, que je ne suis pas payé pour jouer au volley assis.
À la maison, tout tourne autour de mon projet. Ma femme a mis sur pause sa vie à elle. C’est un projet familial et tout le monde a accepté de jouer le jeu jusqu’aux Jeux.
C’est beaucoup de sacrifices, de concessions mais ça vaut la peine d’être vécu. Ils seront tous à l’Arena Nord à chacun de mes matches.Ces Jeux paralympiques en France sont-ils un one-shot ?On verra.
Je vais vous répondre oui parce que mon épouse lira peut-être l’article (rires). On verra où ça me mène. Quand je me suis lancé dans le projet en 2017, je m’étais dit que j’arrêterai après les Jeux.
Aujourd’hui, je ne le dis plus parce qu’on vit des moments incroyables avec l’équipe. C’est ma passion, ce qui me fait vibrer. Il y a déjà une Nations League de programmée à Prague en octobre, un championnat d’Europe en Turquie fin novembre.
On verra…LIRE AUSSI. Trois lecteurs ont découvert le volley assis avec Benjamin Lacroix-Desmazes Revenons à ces Jeux paralympiques. Vous affronterez le Kazakhstan, l’Égypte et la Bosnie-Herzégovine, que vous inspire cette poule ?Elle est relevée, comme l’autre.
Ce sont les 2e, 3e et 7e nations mondiales. La France est 23e. Notre équipe n’a que sept ans d’existence.
Même si la Fédération a mis des moyens, le fait de monter un projet avec des personnes en situation de handicap en sept ans est déjà un exploit en soi. On va défier des nations présentes sur le circuit mondial depuis 40 ans. On sait que ce sera difficile mais on va se battre comme des chiens sur le terrain.
Avec l’envie de donner le meilleur et de garder la tête haute en toutes circonstances.« Quand je suis sur le terrain, je suis loin d’être handicapé »L’équipe de France de volley est une équipe de potes, de « déglingos ». Et la vôtre ?C’est pareil même si on se connaît depuis moins longtemps.
Eux ont fréquenté les mêmes pôles espoirs, les mêmes clubs. On se connaît depuis 5, 6 ou 7 ans mais on est une grosse équipe de potes. Je pense que ça se verra sur le terrain et en dehors.
Participerez-vous à la cérémonie d’ouverture ?Oui et on attend ça avec impatience. Comme on jouera le lendemain soir à 20 h (le jeudi 29 août), on ne sait pas encore si on partira dès la fin du défilé ou si l’on restera jusqu’au bout. Je pense qu’on restera jusqu’à la fin parce qu’on ne le vivra qu’une fois.
Ça va être incroyable, même s’il faudra être reposé pour le match du lendemain.Qu’aimeriez-vous lire ou déceler dans le regard des spectateurs, durant la quinzaine ?J’aimerais qu’ils se rendent compte que c’est un vrai beau sport et que l’équipe de France donne tout ce qu’elle a jusqu’au dernier point du dernier set. Qu’ils se disent : « Putain les mecs, chapeau ».
Vous ne parlez pas de l’aspect handicap…Je n’en parle pas parce que pour moi, on est des athlètes de haut niveau. Quand j’entends les gens dire qu’on est courageux, je leur réponds non, on n’est pas plus courageux que les valides. C’est notre passion, on aime ça.
C’est du sport de haut niveau, on recherche la performance, on s’entraîne pour ça depuis des années. Quand je suis sur le terrain, je ne me sens pas handicapé. Je dirais même que je suis loin d’être handicapé (rires).
À quoi ressembleraient des Jeux réussis pour vous ?Que la France soit derrière nous, que les para-athlètes français ne forment qu’une seule équipe et obtiennent de bons résultats. Qu’on montre une belle image du sport, que les gens découvrent, soient surpris et impressionnés. Que le handicap ne soit pas la première chose qu’ils voient.
Qu’ils nous voient comme des athlètes qui travaillent pour atteindre le plus haut niveau possible.