, le 19 septembre 2021Le feu ne couvait-il pas sous la cendre? Bien sûr que si. A l’Elysée, comme au Quai d’Orsay, au ministère des Armées et dans les services de renseignement, il n’a échappé à personne que l’Europe n’était pas la priorité de Joe Biden et de sa nouvelle équipe de sécurité nationale lors de leur installation au pouvoir. Les mots et les gestes ont un sens. Le premier chef d’état étranger à avoir été reçu à la Maison-Blanche, en avril dernier, ce fut le Premier ministre japonais, Yoshihide Suga.N’est-ce pas également un mois plus tôt que Joe Biden organisait son premier sommet du Quad, un forum indopacifique réunissant les Etats-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde? Certes, la réunion était virtuelle mais voilà que ce 24 septembre, elle aura lieu en personne sur le sol américain. Parmi les autres dirigeants étrangers à avoir été reçus à Washington depuis le 20 janvier, un seul était européen : Angela Merkel en juillet, mais pour une visite d’adieu. On y ajoutera Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, pour une visite attendue de longue date, le 30 août, alors que Biden fait de la posture de fermeté face à la Russie un pan de sa politique étrangère tournée vers la défense des libertés et du droit. pourquoi il s’agit d’une décision historiqueOn sera étonné de voir que davantage de leaders du Proche Orient sont passés par la Maison-Blanche ces derniers mois mais il s’agit là d’alliés que Joe Biden lâche, conforte ou fait patienter : qu’il s’agisse du président afghan reçu en juin, deux mois avant d’être abandonné par les forces américaines sur le départ ; du Premier ministre irakien en juillet, pour se faire confirmer le départ définitif à la fin de l’année des troupes servant sous la bannière étoilée; du roi de Jordanie déstabilisé par l’impasse syrienne et par la nouvelle donne politique en Israël et enfin, naturellement, le nouveau Premier ministre israélien, Naftali Bennet, l’homme qui a réussi l’exploit de composer un gouvernement d’unité nationale sans Netanyahou mais dont personne ne sait la capacité à utiliser cette force au service de la paix avec les Palestiniens.
En coulisses, les Français s’impatientaient
L’Europe n’est donc pas sur le carnet de bal de Biden. Alors, certes, au G7 organisé Boris Johnson en Cornouaille au printemps, comme au sommet de l’Otan qui a suivi, à Bruxelles, Joe Biden a été tout miel. Rien à voir avec Donald Trump qui se fâchait tout rouge et invectivait ses interlocuteurs sur leur manque de solidarité financière. On a bien parlé partage de fardeau, on a bien convenu que la Turquie posait problème, que la Russie restait l’adversaire et que les Européens devaient davantage se prendre en charge.Mais cela faisait un moment qu’en coulisses les Français s’agaçaient ou s’impatientaient. J’ai entendu bien des commentaires sur la lenteur de Biden à repeupler son administration pour que les Européens disposent d’interlocuteurs fiables. Est-il normal que le secrétaire d’Etat, « francophone et francophile » comme on se plaisait à le dire à Paris n’ait toujours pas d’adjoint en charge de l’Europe alors que l’intérimaire à ce poste, Phil Reeker, a été nommé par Donald Trump? Et ne parlons pas de la gestion de la pandémie. Certes, l’Amérique a fini par rejoindre le mouvement de redistribution de vaccins vers le tiers monde mais un peu tard. Et puis, comment tolérer que les Européens ne puissent toujours pas fouler le sol américain alors qu’ils sont vaccinés par Pfizer. Antony Blinken et Jean-Yves Le Drian : « C’est l’intérêt de l’Amérique d’avoir une Europe forte »Lorsque Jean-Yves Le Drian a reçu son « copain » Tony Blinken, fin juin, l’ambiance semblait sereine, calme, coopérative, à mille lieues des foucades de Mike Pompeo. Mais déjà pointait l’inquiétude afghane. A ma question sur la crainte d’un départ trop rapide d’Afghanistan, Blinken m’avait répondu : « La seule réponse ultime pour l’Afghanistan, c’est un accord de paix pour mettre fin à un conflit qui dure depuis près de quarante ans. C’est pour cela que nous parlons avec les talibans. On ne choisit pas ses adversaires ».
L’Afghanistan accentue les tensions
La réponse était lapidaire du genre « c’est à prendre ou à laisser ». Concertation? Pas vraiment. « Les Etats-Unis ont leurs propres intérêts et nous aussi », juge alors un haut responsable français. Mais si l’on regarde ces dix dernières années, la relation est restée confiante et stimulante entre nos deux pays et aujourd’hui il se passe quelque chose ». Une volonté de se rassurer à tout prix? En juillet, à Washington, Le Drian et Blinken parviennent à se mettre d’accord pour faire pression ensemble sur les autorités libanaises pour qu’elles accélèrent le processus de formation d’un nouveau gouvernement. Joli coup alors que les Américains semblaient si concentrés sur l’Asie.
« Les Américains nous disent des choses mais font le contraire »
les Français sont dans la contrainte Ils n’ont droit qu’à une poignée de rotations aériennes quand les C130 de l’US Air Force décollent par dizaines chaque jour. Afghanistan, réfugiés, Irak, terrorisme. Emmanuel Macron s’explique dans le JDDFin août, Emmanuel Macron se lâche. Il est outré que la grande majorité des Afghans évacués par les Américains soient débarqués en Europe ou en Afrique, comme si ces deux continents, si loin de la statue de la Liberté, étaient des dépotoirs où il suffirait de payer pour obtenir un abri supposé transitoire pour ces milliers d’évacués qui ont travaillé au service des Etats-Unis. « Les Américains nous disent des choses mais font le contraire », entend-on alors au Quai d’Orsay, il y a un problème américain et il est lourd ». Depuis janvier, la douche est passée du chaud au froid.
En juillet, Le Drian faisait valoir ses différences sur l’Infopacifique
Le plus ironique pour les responsables français qui ont vécu en direct l’affront de mercredi, c’est que la plupart sont plutôt des partisans d’une relation transatlantique forte. D’ailleurs, ce jour-là, ce sont eux qui sont aux manettes pour signifier à leurs alter ego de Washington la colère française. Que ce soit François Delattre, secrétaire général du Quai d’Orsay, qui appelle directement la numéro deux du Département d’Etat, Wendy Sherman pour lui signifier le rappel immédiat de notre ambassadeur, Philippe Etienne. Delattre a vécu presque la moitié de sa carrière de diplomate sur le continent américain, il a lui-même été ambassadeur à Washington avant les années Trump qu’il a vues venir. Mais c’est aussi Philippe Errera, directeur des affaires politiques et de sécurité au Quai qui joint son homologue au Département d’Etat. Errera est un atlantiste, ex-ambassadeur à l’Otan, convaincu du bien fondé d’une relation franco-américaine forte et apaisée.Alors pourquoi les Etats-Unis ont-ils délivré ce coup de tonnerre dans le dossier Indopacifique? La crainte de voir que la France et l’UE ne sont pas exactement alignés dans leur stratégie dans cette région? C’est vrai, au G7 comme à l’Otan et une nouvelle fois, lors d’un discours prononcé à la Fondation Carnegie à la mi-juillet, Le Drian a mis l’accent sur ce qui différencie l’approche française de la posture américaine face à la Chine. « L’Otan n’est pas une alliance dont le centre de gravité est dans l’Indopacifique », a-t-il martelé. « Le pivot transatlantique vers l’Indopacifique doit être réalisé ensemble », mais « pas dans une logique de confrontation vis-à-vis de la Chine, pas dans une logique de bloc ».
Paris menace de boycotter le sommet de Biden en décembre
Un sommet des démocraties? Une Ligue de « vassalité, terme désormais attribué à l’Australie après le pacte de sécurité signé avec Washington? Un forum antichinois ou antirusse? « Si c’est cela, ce sera sans nous », entend-on à Paris. La crise n’est pas uniquement due à l’effet de sidération déclenché par l’annulation du contrat des sous-marins avec l’Australie. Elle est profonde, peut-être durable, et, si elle trouve un apaisement, laissera certainement des traces.Après USA 2008, Bureau ovale saisons 1 et 2 au cours de la présidence Obama, puis Trump Power de 2016 à 2020, ce nouveau blog de François Clemenceau a pour objectif d’analyser tous les aspects de la présidence Biden : politique, économique, diplomatique, ce qui sous-entend naturellement le débat et les actions de l’opposition républicaine.