Le jour où Gianni Mina a affronté le roi Nadal : « La peur de se faire détruire »


Gianni, en 2010, à l’âge de 18 ans, après avoir obtenu une wild-card au tournoi de Nice, vous en obtenez dans la foulée une autre à Roland-Garros, pour ce qui va devenir votre deuxième tournoi sur le grand circuit, alors que vous êtes 655e mondial. Le sort vous désigne alors comme adversaire au 1er tour Rafael Nadal, que vous allez jouer sur le Central. Comment avez-vous appris et réagi à ce tirage ?G.

M. : Au moment du tirage, je suis à un événement de l’équipementier Head au Fouquet’s et on m’apprend la nouvelle alors que je suis en train de manger là-bas. Forcément, c’est l’excitation mais très vite, derrière, c’est aussi du stress, beaucoup de stress… De se dire qu’on a peu d’expérience sur le circuit et qu’on va jouer Nadal, qui était invaincu à Roland (NDLR : il avait en fait perdu contre Söderling l’année précédente), qui chaque année ne laissait que quelques jeux à la plupart de ses adversaires.

Donc il y a aussi la peur de se faire détruire.Y a-t-il eu des sollicitations après le tirage ?G.M.

: Non, avant le match, je crois que j’étais assez protégé, j’ai réussi à bien rester dans ma bulle. Mais plus le match approchait, plus le stress montait. Et au final je crois que j’ai été stressé juste au premier jeu et derrière j’ai vraiment réussi à me libérer puis à livrer un petit combat sympathique.

C’est un match où j’ai pris beaucoup de plaisir, où j’ai eu pas mal d’opportunités que je n’ai pas réussi à convertir. Une belle expérience, quand même. Est-ce que vous aviez ressenti une grosse différence entre Nadal et tous les autres joueurs que vous aviez pu affronter jusque-là ?G.

M. : Oui ça faisait une différence énorme mais quand on jouait un Nadal à cette époque-là, je pense qu’il valait mieux le jouer au premier tour qu’en demi-finale où il est déjà en pleine bourre, surtout que là, il ne me connaissait pas. Lui, je ne peux pas dire qu’il a stressé, mais quand on joue un joueur qu’on ne connaît pas, il y a toujours beaucoup plus d’appréhension.

C’est peut-être ce qui m’a permis de mieux rentrer dans le match ou en tout cas d’avoir un peu plus de résistance puisque je ne peux pas dire non plus que sur ce match-là, il a fourni son meilleur tennis. Pouille : « Le seul regret pour Nadal, c’était finalement le tirage au sort »Vous souvenez-vous de la poignée de main ? Est-ce qu’il vous avait dit quelque chose en particulier ?G.M.

: Non, pas spécialement, mais j’ai le souvenir de quelqu’un d’hyper respectueux. Deux, trois, quatre années après, quand il me croisait, il me disait encore bonjour. Mon joueur préféré à la base, mon coup de cœur, c’est Kuerten, mais sur ces dernières années, Nadal a été mon joueur préféré, notamment pour son exemplarité.

Je m’en inspire, que ce soit dans le domaine du sport ou dans la vie de tous les jours. C’est quelqu’un qui se remet toujours en question, avec beaucoup d’humilité et qui est droit dans ses bottes.Revenons un peu en arrière.

Pour avoir une wild-card à Roland-Garros, il faut avoir fait des résultats avant. Quel a été votre parcours de jeune joueur ?G.M.

: J’ai commencé le tennis en Guadeloupe et j’ai eu de très bons résultats sur les compétitions locales, départementales puis régionales, ce qui m’a ensuite permis d’intégrer le Pôle France. J’ai fait toute la structure fédérale, de Poitiers jusqu’au CNE (Centre National d’Entraînement). Je suis arrivé en métropole à 11 ans et demi et au CNE à 17 ans et demi après 2 ans à l’INSEP et j’ai reçu cette wild-card surtout parce que j’avais eu un très beau parcours en juniors.

J’étais numéro 1 mondial au classement junior au moment où je l’ai reçue et j’avais fait quelques belles performances en début d’année lors de la saison sur terre. C’est pour cette raison que la Fédération a estimé que je méritais la wild-card.Arriver en Métropole sans famille à 11 ans et demi, cela n’a pas été trop dur ?G.

M. : Si, ça a été dur mais j’avais cet objectif en tête et cette force mentale qui m’ont permis de tenir et puis je m’y suis fait aussi, au fur et à mesure… (sourire) J’ai aussi eu de la chance car j’ai été très bien encadré à Poitiers, que ce soit dans la structure ou à côté, avec une fabuleuse famille d’accueil, que j’avais rencontrée quelques années plus tôt au tournoi de Bressuire, et qui a été d’un grand soutien durant ces années. Gianni Mina contre Rafael Nadal sur le Central de Roland-Garros en 2010.

Crédit: Getty ImagesAviez-vous des objectifs de carrière définis en 2010, en termes de classement par exemple ?G.M. : Mon premier objectif était d’être dans le top 100.

C’est ce que je m’étais fixé. Malheureusement, j’ai eu quelques coups d’arrêt. G.

M. : Le premier, à un moment où je devais avoir 19 ans, j’étais 350 au classement : j’ai opéré un gros changement technique côté coup droit qui m’a beaucoup ralenti, même plombé parce qu’il n’a pas été très bien suivi. Puis par la suite, les moments où j’ai été beaucoup mieux après m’être exilé aux États-Unis, où j’ai vraiment passé un cap, j’ai eu une succession de blessures qui m’ont empêché d’enchaîner des saisons pleines.

Je pense clairement que j’aurais pu me rapprocher du top 100 à cette période-là, notamment sur une saison où j’étais 300 en début d’année avec aucun point à défendre. Malheureusement j’ai fait une saison blanche à cause des blessures. Le passage aux États-Unis, c’était dans une Université, comme pour beaucoup d’autres jeunes joueurs ?G.

M. : Non, c’était dans le privé. J’avais choisi de quitter la Fédération pour diverses raisons.

Le fait de partir là-bas a été dur mais aussi un mal pour un bien, car je n’ai pas eu d’autre choix que de vraiment prendre en main mon projet et donc d’être beaucoup plus impliqué, beaucoup plus curieux, pointilleux, rigoureux par rapport à ce que je faisais. C’est ce qui m’a permis à un moment d’atteindre un super niveau de confiance. Mais les moments où je voulais enchaîner et où j’étais en pleine bourre, mon corps n’a pas forcément suivi… Vous avez arrêté votre carrière à 28 ans, en 2020.

Pour quelles raisons ?G.M. : Il y avait plusieurs raisons.

J’ai arrêté à la période COVID. Les trois années précédentes, j’avais enchaîné les blessures, je me suis fait opérer du poignet. Quand j’ai repris, j’ai eu un mois d’accalmie puis j’ai eu des soucis de dos.

Au début de l’année 2020, je me suis posé la question de continuer ou pas pendant la période du Covid, j’avais encore mal au dos et c’est surtout ça qui m’a embêté. La deuxième raison, c’est que financièrement, je n’avais pas vraiment un budget à la hauteur de mes ambitions. Si je décidais de repartir, ça allait être solo, sans structure, sur des petits tournois et je ne sais pas si j’aurais eu la force mentale de le faire.

Enfin, je n’aurais pas supporté de reprendre pour être dans le ventre mou, 300e, c’est aussi pour ça que j’ai arrêté.Gianni Mina en 2018, peut avant l’arrêt de sa carrière.Crédit: ImagoAviez-vous suivi des études en parallèle ?G.

M. : Oui. En 2017, quand je suis revenu de mes quatre ans aux États-Unis, pour avoir une structure médicale plus solide, au regard de mes récentes blessures, j’ai décidé de reprendre un programme à Sciences-Po, une sorte de licence pour les athlètes de haut niveau.

Il me permettait de continuer à prioriser le tennis, tout en avançant sur le cursus universitaire.On dit souvent de la retraite d’un sportif qu’elle s’apparente à une petite mort. En ce qui vous concerne, saviez-vous ce que vous alliez faire ?G.

M. : J’ai toujours un plan A et un plan B dans ma tête. J’ai repris mes études parce que j’avais besoin de comprendre un peu mieux le monde dans lequel j’évoluais et c’était plus une démarche intellectuelle, une sorte d’épanouissement, qu’autre chose.

Puis au fur et à mesure, alors que tennistiquement c’était compliqué, que je traversais des périodes de disette à cause de mes soucis physiques, j’ai vraiment eu la chance d’avoir les études pour me reposer sur quelque chose. Petit à petit, l’oiseau a fait son nid, le plan B a commencé à devenir de plus en plus intéressant, j’ai validé ma licence et donc décidé d’arrêter le tennis pour entamer un Master que j’ai obtenu en 2022. Il m’a permis d’avoir la petite expérience dans le monde pro conventionnel que j’ai aujourd’hui.

Que faites-vous de beau justement aujourd’hui ?G.M. : Après mon Master en marketing, j’ai travaillé un an et demi à la Française des Jeux, sur des sujets de stratégie commerciale, stratégie de distribution.

Mais j’avais besoin de quelque chose un peu plus orienté résultats, de sentir vraiment l’impact que je voulais avoir. Je me suis alors dirigé vers le département commercial d’une start-up, où il faut beaucoup d’agilité, d’énergie, de motivation, de résilience aussi, des choses que l’on retrouve dans le sport. Ça a plutôt bien marché, je me suis reconverti dans les équipes commerciales, je suis manager aujourd’hui et je vais commencer une nouvelle aventure dans les jours qui arrivent.

Est-ce que vous vous intéressez encore au tennis ou avez-vous complètement tourné la page ?G.M. : C’est ce qui est intéressant, j’ai sacrifié au moins 15-20 ans de ma vie à ce sport, et là je ressens un peu le besoin de m’en éloigner pendant un temps.

Je vais y revenir, c’est sûr, mais en ce moment je suis focalisé sur d’autres choses parce que je ne regarde plus en arrière quand je prends une décision. Aujourd’hui, j’ai de gros objectifs dans ma vie professionnelle, dans ma vie personnelle aussi et je ne suis pas très intéressé par le tennis. Roland, je suis à peine, je regarde les résultats mais je ne vois pas les matchs.

Je pense que j’y reviendrai une fois que j’aurai atteint mes objectifs et avancé un peu plus dans ce que je fais actuellement.Pour revenir à votre carrière de tennisman, vous avez affronté beaucoup de joueurs qui sont encore en activité et même parmi les tout meilleurs, comme Tsitsipas, Auger-Aliassime ou encore Ugo Humbert. Ils étaient très jeunes à l’époque.

Est-ce que vous vous souvenez de ces rencontres ?G.M. : Oui, je m’en souviens très bien.

Auger-Aliassime je l’avais joué deux fois, une fois en Guadeloupe, une fois aux États-Unis et je m’en sortais plutôt assez bien contre lui. Tsitsipas, je l’avais affronté au Portugal, un super match, il jouait déjà très bien, il devait avoir 18-19 ans mais il était déjà top 200 et donc mieux classé que moi. J’avais aussi fait un très bon match, c’était une super expérience.

Ugo Humbert, j’avais gagné une fois contre lui et probablement abandonné la fois suivante. J’aimais bien le jouer, son jeu me convenait et on avait plutôt fait de bonnes parties à chaque fois. Il était possible, malgré leur jeune âge, de déceler leur bel avenir ?G.

M. : Oui bien sûr. C’était beaucoup plus marqué pour Tsitsipas et Auger-Aliassime que pour Ugo Humbert mais ça se ressent.

Quand le joueur a entre 16 et 19 ans et qu’il a déjà le niveau tennistique, techniquement, physiquement et surtout la maturité, on voit tout de suite que ce sont des mecs qui ont le potentiel pour percer. Avez-vous gardé des contacts ou des amis dans le milieu du tennis français ? G.M.

: Je vais être très honnête, je trouvais dans le tennis français qu’on n’était jamais vraiment potes, on était plus des compagnons de route, on s’entendait tous bien mais bon… J’ai gardé de très bons contacts avec des joueurs avec qui j’étais en Pôle France où il y avait moins cette notion de concurrence à haut niveau. Je suis resté très ami avec Arthur De Greef, un Belge, c’est mon plus proche ami ancien joueur. Sinon, je peux en croiser de temps en temps mais je n’ai pas spécialement de gros lien avec des joueurs actuels ou anciens du tennis français.

Quand j’ai rangé les raquettes, j’ai complètement changé d’environnement et pas forcément fait les efforts pour garder le contact avec certains, mais je ne peux pas dire qu’il y avait des amitiés très intenses.Avoir joué un match sur le Central de Roland-Garros face au plus grand terrien de l’Histoire, est-ce que ça comble votre carrière de joueur de tennis ? Vous pourrez raconter ça à vos enfants et petits-enfants ? G.M.

: Non pas du tout, ça ne comble pas ma carrière de joueur. L’après match contre Nadal a été difficile à gérer, parce que je suis quelqu’un d’assez humble et assez lucide. On me parle tout le temps de ce match comme d’un exploit, alors que pour moi j’ai simplement joué un match contre Nadal.

Certes ça a été une bonne bataille mais en fait j’ai perdu au premier tour et ce n’est pas évident parce que mon objectif, ce n’était pas simplement de jouer Nadal, c’était d’être top 100 et je ne l’ai pas atteint. Ce match est une super expérience dans ma carrière, mais si on me demande quels sont mes meilleurs souvenirs, je ne parlerai pas de ce match-là. Vous parlerez des victoires en tournoi ! G.

M. : Évidemment (rires)Est-ce que finalement ce match face à Nadal n’est pas arrivé trop tôt dans votre carrière ?G.M.

: Honnêtement non, je ne pense pas car ce n’est pas ce match qui a déterminé la suite. Ce match est un épiphénomène. C’était sympa d’être un peu sous le feu des projecteurs pendant un mois ou deux mais derrière, lors du retour sur le petit circuit, la vie normale, je savais que j’avais encore un long chemin à parcourir.

N’était-ce pas bizarre de passer du Central de Roland-Garros avec un public français derrière vous à un tournoi Futures ?G.M. : Non, ce qui était bizarre et difficile à gérer, c’était d’être accueilli comme une star alors qu’on n’avait rien fait de spécial (rires), ça c’était plus compliqué à gérer, surtout que j’ai enchaîné une tournée de tournois en France et à chaque fois c’était la même chose, « celui qui a joué Nadal ».

Pas celui qui a gagné tel tournoi ou battu telle personne, mais celui qui a été là au bon moment mais sans véritablement accomplir quelque chose. J’en garde un très bon souvenir, mais je n’en fais pas tout un plat. Pour terminer, est-ce que vous jouez toujours au tennis aujourd’hui ?G.

M. : Mon club, le Stade Français, joue la montée ce week-end pour être en N2. Il faut savoir que je n’ai fait que deux matchs.

En arrivant sur mon premier match, je n’avais pas touché la raquette depuis un an, donc si je dois honnêtement répondre à cette question, j’ai complètement lâché la raquette. G.M.

: Parce que premièrement, c’est difficile de trouver le temps de jouer au tennis, surtout en vivant à Paris. Deuxièmement, j’avoue être un peu frustré parfois parce que j’ai besoin de temps avant de retrouver des sensations. Alors me dire qu’il me faut quatre ou cinq séances pour les retrouver, je n’ai pas le temps (rires), donc je joue très peu.

Peut-être que si un jour j’habite dans le Sud, qu’il y a un club à côté de chez moi et que c’est plus simple pour jouer au tennis, je rejouerai plus souvent. Si je joue moins au tennis, c’est aussi parce que j’ai envie de faire tout ce que je n’ai pas pu faire pendant ma carrière. J’ai envie de découvrir plein d’autres choses que le tennis.