Juristes, avocats, étudiants : vite, un plan massif pour se former à l’IA


Tribune de Guillaume Deroubaix, Président de Lamy Liaisons, CEO Karnov Group Region South.
Il y a un peu plus d’an an, la version grand public de ChatGPT était déployée sur le marché français. Une déflagration.

  En 2 mois, l’outil avait gagné 100 millions d’utilisateurs. Depuis, les LLMs se sont diversifiés et chaque jour, les professionnels découvrent de nouvelles possibles applications.
Dans le domaine juridique, les promesses sont nombreuses et ces cas d’usage se multiplient, bousculant des pratiques et des organisations bien établies.

Les professionnels du droit sont-ils prêts pour accompagner cette métamorphose ? Selon l’étude OpinionWay / Lamy Liaisons parue en septembre 2023, 95 % des juristes interrogés avaient déjà entendu parler des outils d’IA générative. Mais seuls 30 % affirmaient y avoir déjà eu recours dans un cadre professionnel.
On sait qu’il existe plusieurs usages de l’IA, dont celui, très simple, de lui demander de répondre à une commande (ou « prompt »).

Ici, nul besoin d’expertise particulière : l’usage est intuitif et les interfaces simplifiées. Surtout que l’IA générative est affaire de langage, et que les juristes ne sont pas les moins armés dans ce domaine. 
Mais posons-nous la question de la standardisation des réponses.

Ces facilités d’usage ne portent-elles pas le germe de l’effacement de l’expertise individuelle ?  Car si obtenir avec ces nouveaux outils des résultats relativement satisfaisants est simple, arriver à se différencier, en alimentant grâce à l’outil et ses extensions une réflexion, un raisonnement ou un processus, reste pour une grande majorité des utilisateurs un défi et pour la machine une limite. Assimiler les grands principes de fonctionnement des IA génératives est une condition nécessaire mais pas suffisante.  
Ni « IA-béats », ni techno-réfractaires : convenons de la puissance phénoménale actuelle et à venir de l’IA générative et tirons-en les conséquences : les professionnels du droit doivent s’engager dans un plan inédit et massif de formation aux nouvelles solutions d’IA.

Face à une rupture technologique d’une telle ampleur, un usage moyennement maîtrisé ne suffit pas. Utiliser l’IA à des fins de conseils juridiques sans se former en amont à ses potentialités, c’est risquer de passer à côté d’opportunités et de générer des risques substantiels, individuels et collectifs. L’enjeu n’est pas seulement d’apprendre à se servir de l’IA, mais de l’asservir, en apprenant à la maîtriser.

Et pour cela, de comprendre les grands principes de fonctionnement et d’utilisation de la machine afin d’en tirer le meilleur, sans la subir.
L’ampleur des enjeux est telle que des initiatives individuelles d’apprentissage ou à l’échelle des structures d’exercice ne sauraient suffire. Ce sont bien les organisations, instances et ordres professionnels qui doivent, selon nous dès cette année, impulser ces programmes massifs et homogènes de formation professionnelle, via des plateformes de e-learning.

Seul un plan de formation de ce type permettra aux juristes des différentes professions de se doter des mêmes chances dans l’exercice de leurs missions. Sans plan de formation généralisé, le risque est évident d’un décrochage des petites structures vis-à-vis des grandes, avec les conséquences directes que cela pourrait avoir sur la Justice dans un État de droit.
Au-delà de la seule maitrise technique, ce plan de formation d’ampleur doit également être l’occasion pour les juristes de s’interroger sur les limites de l’usage de l’IA.

  Du fait de leur mission particulière, les juristes doivent s’astreindre à une éthique renforcée et mettre au point une doctrine claire et partagée dans son utilisation. Car la question de la responsabilité – éthique et professionnelle – des décisions prises par l’algorithme est l’éléphant dans la pièce. Pour répondre à ce défi, les juristes devront s’essayer à ce que nous qualifions de méta-décision : décider de ce qu’ils décideront.

Car finalement, dans ce nouvel univers ultra-numérique, la mission ultime des juristes éclairés restera la même : apporter de la sécurité juridique par leurs écrits et procédures.
Guillaume Deroubaix, Président de Lamy Liaisons, CEO Karnov Group Region South