Myriam Maestroni : Les coupures de courant ne sont pas inhabituelles en Chine, mais cette année leur fréquence et leurs conséquences les rend particulièrement inédites.
Il y a 2 raisons essentielles à cela.
La première est que la Chine, en pleine reprise économique «post-covid » manque de charbon et se retrouve ainsi confronté à une crise énergétique qui commence à avoir des conséquences sur ses perspectives de croissance. Rappelons que le pays, qui selon le FMI devait connaître une croissance de +8,4%, a récemment vu ces prévisions révisées à la baisse, par Goldman Sachs, à 7,8% (contre 2,3% l’an dernier, et ce en dépit d’une décélération après un premier trimestre 2021 à plus de 18%) précisément du fait des fermetures d’usines et des perturbation des chaînes d’approvisionnement que connaissent certaines zones de la Chine. Il faut dire que le niveau de production des usines chinoises est redevenu équivalent à celui d’avant la crise, notamment tiré par les exportations vers le reste du monde, dont l’Europe, qui a, d’ailleurs, vu ses importations en provenance de Chine s’accroître de 31 à 36 milliards d’euros par mois.
qui se sentent menacées par l’orientation environnementale du pays et des producteurs d’énergie qui se retrouvent à produire à perte dans leurs centrales à charbon et qui décident de s’en tenir aux quotas minimums de production imposés par l’administration centrale (d’autant que les stocks de charbon sont au plus bas avec à peine de quoi couvrir les besoins de pays pendant quelques semaines au plus) en début de période hivernale où les pays d’Asie ont vu leurs températures chuter.
A cette pénurie liée à des effets d’offre plus réduite, des stocks de charbon faibles, une production hydroélectrique en berne du fait d’une faible pluviométrie, et une demande en hausse s’ajoute l’engagement du Président XI Jinping clamé haut et fort d’atteindre la neutralité carbone pour la Chine à l’horizon 2060. C’est la deuxième raison fondamentale. Dès 2018, la Chine avait décidé d’être plus vertueuse en matière de politique environnementale et elle a vite emboîté le pas à l’Union européenne qui avait annoncé son ambition de neutralité carbone à 2050. Les choses se sont accélérées dans le contexte de reprise économique. Les gouvernements régionaux ont déployé toute une série de mesures (dont la réduction de la production de charbon) visant à réduire les émissions de C02 et ainsi éviter de s’attirer les foudres de Pékin.
on sent monter l’inquiétude des industriels, qui se voient imposer des jours de fermeture, mais également des habitants de quartiers résidentiels aussi concernés (ce qui ne leur étaient pas arrivés depuis près de dix ans).
5 % par rapport à 2019
L’arrêt des chaînes de production tous secteurs d’activités confondus (aciéries, textile…) combiné aux séquelles de la crise sanitaire dans l’ « usine du monde » entraîne des craintes de perturbation des chaînes d’approvisionnement mondiales. Le risque semble d’ailleurs déjà avéré pour les matières premières (aluminium), les semi-conducteurs, l’industrie automobile, les broyeurs de soja, les producteurs de ciment ou d’engrais, parmi les industries les plus énergivores. Des fournisseurs de Tesla ou d’Apple auraient apparemment déjà dû suspendre leur production plusieurs jours avec pour conséquences des retards de livraison.
Dans le Guangdong, le delta de la Rivière des Perles, les 126 millions d’habitants ne doivent pas mettre en route leurs climatiseurs en-dessous de 26 degrés ou éviter de prendre l’ascenseur pour monter moins de trois étages. A Zhongshan, les horaires d’ouverture des centres commerciaux ont été limités pour limiter la climatisation et l’éclairage. Dans le nord de la Chine, à Huludao, il est recommandé de ne pas utiliser les chauffe-eau ou les fours à micro-ondes pendant les périodes de pic de consommation.
Les objectifs de neutralité climatique chinois pourraient-ils être réellement atteints étant donné l’intensité énergétique du pays ?
On comprend que la Chine se trouve confrontée à une équation pas simple à résoudre. Il s’agit de concilier une forte croissance, soutenue à la fois par la demande interne et une politique d’exportations soutenue, ayant vocation à créer des emplois, à pérenniser la logique d’accroissement du pouvoir d’achat et du niveau de vie de ses citoyens et donc énergivore avec des objectifs de réduction de ses émissions de CO2 extrêmement ambitieux puisqu’il s’agit d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2060, soit 10 ans après la vieille Europe, bien loin des niveaux de croissance chinois. On est face à des enjeux liés à une transition énergétique accélérée dans un pays habitué à réconcilier les contraires et qui a bien compris que les « soucis » de court terme ne devaient pas conditionner les projections de long terme.
Comment les pays riches ont réduit leurs émissions de carbone en les exportant vers la Chine
Pékin annonce d’ailleurs construire plus de 250 GW de nouvelles centrales au charbon alors que toutes celles de l’UE s’élèvent à 150 GW dans une logique de sécurité nationale, de santé publique et de course au leadership éco-industriel, car la Chine a parfaitement compris, alors qu’elle est déjà le leader des énergies renouvelables, que la transition éco-énergétique est une formidable opportunité pour relancer une nouvelle voie industrielle et de développement en adéquation avec les demandes et tendances lourdes mondiales.
Vérité des chiffres : il faudrait ouvrir une centrale nucléaire par jour dans le monde pour respecter l’objectif d’émissions carbone zéro en 2050
soit le double du rythme actuel, ceci en évitant les retards et les surcoûts qui ont largement handicapé le nucléaire français. Par ailleurs, les catastrophes nucléaires successives qui ont refroidi les ardeurs, expliquent les technologies innovantes du secteur, par hybridation du réacteur américain et de l’EPR français, dont une version chinoise a permis de faire émerger le réacteur phare Hualong-1. Ce réacteur, installé dans la centrale de Fuqing, au sud-est du pays, est le premier-né du modèle à eau pressurisée, conçu et construit 100 % made in China. Ses promoteurs rêvent de conquérir les marchés extérieurs. La Chine est ainsi devenue un acteur majeur de la filière nucléaire à l’échelle internationale sur la totalité de la chaîne de conception, de construction et d’exploitation. Elle se distingue par ses innovations et notamment par un programme basé sur des démonstrateurs appelé le « Dragon Rising 2020 ». Pékin investit en plus fortement dans l’innovation et effectue des recherches intenses sur la fusion thermonucléaire. Depuis 2003, le pays est ainsi partenaire du grand projet international Iter de réacteur thermonucléaire (qu’on appelle également un tokamak). Le réacteur, situé à Cadarache en France, devrait générer son premier plasma en 2035. Mais la Chine possède aussi ses propres réacteurs et a battu, le 28 mai 2021, un record de température de fusion dans le troisième tokamak qu’elle vient de construire : l’Experimental Advanced Superconducting Tokamak (East) a atteint 160 millions de degrés Celsius et il a surtout réussi à maintenir son plasma à une température de plus de 120 millions de degrés Celsius pendant cent une secondes. D’évidence, même dans ces domaines, l’empire du Milieu promet de ne plus se contenter d’imiter, mais de déclasser l’Europe, et, à terme, les États-Unis.
La Chine va-t-elle devoir faire un choix entre son ambition climatique et une économie de plus en plus gourmande en énergie ?
et elle s’est distinguée comme le pays ayant installé deux fois plus de capacités de production que la plupart des pays réunis sur la seule année 2016. Son parc solaire eest devenu cinq fois plus important que celui des États-Unis. En ce qui concerne l’éolien, elle a déjà déclassé la totalité de la capacité de l’Europe dans ce secteur. En matière de mobilité propre, Pékin est en pointe, avec des décisions claires, dans la production de véhicules thermiques. Lors du salon de l’automobile de Pékin d’avril 2020, les experts prévisionnistes ont même émis la crainte que la Chine devienne bientôt le leader absolu des véhicules électriques, une concurrence terrible pour les constructeurs européens moins compétitifs qui risquent là aussi le déclassement industriel. Il faut dire que le pays a tout pour réussir ce virage et développer la totalité de la filière : un gigantesque marché intérieur de près de 1,4 milliard d’habitants, des métaux rares (voir infra) indispensables au fonctionnement de ces nouveaux moteurs, des capacités industrielles dont celles nécessaires à la fabrication de batteries électriques, et un vivier de mains-d’œuvre et de compétences impressionnants. Bref, les Chinois semblent avoir compris qu’ils pourraient parfaitement revendiquer l’industrie automobile du futur. Le président Xi Jinping a d’ailleurs imposé à tous les constructeurs de réaliser, dès 2019, 10 % de leurs ventes avec des voitures hybrides ou électriques tout en exigeant des quotas plus restrictifs que partout ailleurs dans le monde, pour les véhicules trop énergétivores. Ceci est une véritable leçon en matière de capacité de faire d’une pierre trois coups : un énorme marché à la clé pour les entreprises nationales, une solution concrète pour réduire la pollution et rendre le ciel des villes encombrées plus bleu, et une position de filière industrielle prédominante. Rappelons que la Chine a investi 360 milliards de dollars pour construire le premier réseau de lignes à grande vitesse dans le monde. Avec plus de 22 000 km de lignes, celui-ci permet de desservir la plupart de grandes villes chinoises autour de huit grands axes. Un chiffre supérieur à la somme de tous les réseaux du reste du monde et qui laisse rêveurs bon nombre de pays occidentaux ! Bref, le gouvernement chinois semble bien décidé à promouvoir un environnementalisme politique, avec des moyens de mise en œuvre dépassant de loin le cadre de l’action possible des gouvernements occidentaux.
Une réduction rapide des émissions de méthane permettrait de ralentir de 30% la hausse des températures à horizon 2030
Enfin il ne faut pas oublier que la Chine après avoir subi les conséquences de la pollution est désormais devenue également et largement victime des effets de changement climatique. Les pluies diluviennes à Pékin et dans le nord de la Chine qui ont eu lieu l’été dernier et ont provoqué des inondations extrêmement graves ne sont qu’une toute petite illustration d’une conviction de plus en plus ancrée selon laquelle la lutte contre le changement climatique n’est plus une option.
C’est ainsi que plus de la moitié des provinces sont touchées ce qui signifie que si le marché était libre Comme ce n’est pas le cas, ils n’ont pas intérêt à produire davantage.
et en Belgique La demande augmente donc nettement ainsi que le prix du C02 qui semble enfin décoller et qui va peser de plus en plus dans le prix des énergies polluantes … Un sujet de plus dont la Chine a pris toute la mesure puisqu’elle a lance le plus grand marché carbone au monde, qui devrait également contribuer à sa transition énergétique tout en renchérissant les prix.
et cela a contribué à la flambée des prix en Asie. Et c’est le phénomène inédit de transmission des prix du gaz entre l’Asie et l’Europe qui explique en effet la réponse positive à votre question… Néanmoins les états largement impliqués dans le calcul des prix des énergies fossiles alourdis pas de forts niveaux de taxation pourront limiter l’impact de ces augmentations comme on le voit ces jours-ci avec le bouclier tarifaire annoncé par le premier ministre, mesure de court terme ou redéfinir les logiques fiscales, un point d’ailleurs prévu dans le paquet de mesures du pacte vert européen (FitX55). Bref, affaire à suivre, à quelques semaines de la présidence de l’UE pas la France.