Thierry Breton, commissaire européen au marché intérieur, en charge de la « task force » sur le renforcement de la production de vaccins, répond aux questions de Paris Match.
© Frédéric Lafargue
Paris Match. Bientôt une usine de production de vaccins à grande échelle non loin de Dakar au Sénégal dans la ville nouvelle de Diamniadio, racontez-nous la genèse de ce projet inédit ?Thierry Breton. Notre réflexion a démarré au beau milieu de la pandémie, il y a un an à peu près. A cette époque, on ne savait même pas encore quand et s’il y aurait un vaccin ! Mais on a commencé à réfléchir, à anticiper. Il fallait commencer à imaginer les bases d’une souveraineté pharmaceutique et médicale sur le continent africain. Le 5 février dernier, on m’a confié la « task force » européenne sur le renforcement de la production de vaccins. Il fallait aider au départ les six entreprises avec lesquelles nous avions déjà contractualisé à monter en puissance de production. Nous l’avons fait, avec l’idée d’exporter enfin ce savoir-faire. Mi-avril, le Président du Sénégal Macky Sall est venu à Bruxelles, ensuite tout est allé très vite. Grâce à la présence de l’Institut Pasteur implanté au Sénégal depuis 80 ans, le projet était viable. Il a fallu trouver les financements, monter les équipes. Imaginez, cela fait trois mois seulement jour pour jour et déjà cette usine est en train de sortir de terre ! On a monté les financements, la structure de la plateforme, réservé le terrain. Mettre sur place une usine de vaccins avec une première capacité de production espérée pour 2022, ce n’est pas rien ! C’est une mobilisation sans précédent, quand on sait que l’Afrique importe encore actuellement 99 % de ses vaccins ?Oui, car si cet accord voit le jour grâce au concours de l’Union Européenne, de l’ensemble des partenaires, y compris des États-Unis et de la banque mondiale, nous revenons de loin. La dépendance des pays en développement est terrible en termes d’accès à la vaccination. Il y a des dons et des promesses d’exportations, mais les Américains par exemple n’ont pas encore exporté de doses. En Europe, nous avons exporté 50% de notre production de vaccins COVID-19. On fournit même les Anglais, Israël, le Japon ou encore l’Arabie Saoudite. Nous avons très vite eu au sein de l’Union européenne cette politique de partage. Quand on sait qu’il faut 500 composants pour faire un vaccin, l’interdiction de l’export de matériaux de la part des États-Unis dues aux restrictions n’a pas facilité les choses. Mais tant pis, on s’est adaptés. On est montés en puissance avec les 55 usines en Europe, avec pour objectif de fournir 50% du reste du monde. Avec le mécanisme COVAX, il y a des promesses de dons. Mais le problème reste de produire suffisamment de doses. Pour ça, il faut aider les pays qui en ont le plus besoin à monter leurs propres infrastructures. C’est ce que nous faisons.
« Un projet digne d’une économie de guerre «
Avec cet accord signé le 9 juillet dernier au palais présidentiel à Dakar, le Sénégal devrait donc franchir une étape importante vers la production de ses propres vaccins et devenir moins dépendant ? Vidéo: Alliance européenne pour les semi-conducteurs : Thierry Breton en visite à Grenoble (Dailymotion)
En effet, et c’est un projet digne d’une économie de guerre ! L’objectif c’est que les labos près de Dakar soient prêts au premier semestre 2022 pour une première phase d’enflaconnage aseptisé, puis de la fabrication de la substance de vaccin afin d’être autonome. Plusieurs vaccins sont à l’étude, mais rien n’est encore arrêté. Pour des raisons de conditionnement, le vaccin Johnson & Johnson est intéressant. Il est aussi à dose unique. Et il est difficile d’acheminer en dehors des villes des vaccins qui doivent être conditionnés à moins 80 degrés. Tout va très vite, on essaie de gagner la « guerre » contre la pandémie en Europe, mais aussi de permettre dans le même temps de la gagner dans les pays moins développés. Il fallait se mettre en mouvement pour le continent africain, développer une infrastructure, effectuer un transfert de technologies et permettre une plus grande autonomie. Vous saluez la rapidité avec laquelle ce projet a été mis en place, il est vrai que tout va très vite depuis un an et demi…Oui, c’est fou. Je disais que c’était une économie de guerre, et ça l’est. C’est notre nouvelle vie depuis le début de la pandémie. C’est bien sûr le cas avant tout pour la science qui a développé des vaccins en temps record dans l’histoire de l’humanité, mais c’est aussi le nouveau rythme des institutions publiques. L’Europe produit environ 300 millions de doses par mois, les usines fonctionnent H24. Il y a un an, je le rappelle, on ne savait même pas si un vaccin fonctionnerait. Comment voulez-vous avancer plus vite sur le plan scientifique, industriel, du point de vue de la coopération également. A présent, dans sept ou huit mois, cette usine de production verra le jour à Dakar. Il a fallu tout inventer. Avec ce projet qui se concrétise, on constate que rien n’est impossible. Et cela permettra à terme une autonomie sur cette partie du continent face aux futures pandémies ?C’est le projet. Au départ, nous allons évidemment nous focaliser sur un vaccin COVID et qui a démontré sa capacité face au variant. Derrière, il y aura une plateforme multi-technologique avec des vaccins à vecteur viral, ARN messager, ou protéine recombinante. Il y a l’aspect sanitaire mais aussi la capacité de mouvement. Il faut un vaccin qui puisse permettre aux Africains de voyager et qui soit reconnu par l’agence de santé européenne et américaine. Il y aura la palette complète. Puis dans l’avenir, on mise sur une plateforme nettement exportatrice de vaccins pour les générations futures dans le continent.