La France se prépare à livrer du gaz à l'Allemagne..., une grande première!


la question n’est plus de savoir si la France livrera du gaz à l’Allemagne, mais de savoir quand et dans quelles quantités. « On sent que l’Allemagne va demander de changer le sens du flux des livraisons de gaz. Il y a une question de solidarité. Si nous sommes dans une bonne situation, on peut se permettre d’envoyer du gaz pour soutenir nos voisins allemands. La question c’est quand et dans quelles quantités », confirme-t-on au ministère de la Transition énergétique. Samedi, en marge des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, la Première ministre Elisabeth Borne avait déjà indiqué que, la France devrait fournir une petite partie de son gaz à l’Allemagne. Historiquement, les flux de gaz en Europe ont toujours transité de l’Est vers l’Ouest, via trois gazoducs : Nord Stream 1 (qui relie directement la Russie à l’Allemagne), Yamal-Europe (qui relie la Russie à l’Allemagne, en passant par la Biélorussie et la Pologne) et Brotherhood (qui transite notamment par l’Ukraine).

Reconfiguration des flux de gaz européens

les flux devraient donc s’inverser pour transiter de l’Ouest vers l’Est. Ce qui est inédit. On se dirige vers « une reconfiguration des flux européens de gaz où la France et l’Espagne deviennent la porte d’entrée du gaz, là où avant elles en recevaient », explique-t-on au sein du cabinet d’Agnès Pannier-Runacher. La France et l’Espagne sont, en effet, les deux pays membres de l’Union européenne les mieux dotés en terminaux gaziers permettant de regazéifier et de stocker le gaz naturel liquéfié (GNL) transporté par voie maritime. Or, pour se défaire au plus vite de leur dépendance au gaz russe, les Vingt-Sept se sont tournés massivement vers le GNL, importé notamment depuis les Etats-Unis. L’Espagne en compte six tandis que la France dénombre quatre terminaux terrestres (un à Dunkerque, un autre à Montoir-de-Bretagne et deux à Fos-sur-mer) et s’apprête à en construire un cinquième flottant dans le port du Havre.

La France se prépare à livrer du gaz à l'Allemagne..., une grande première!

Résoudre la question de l’odorisation

« Faire transiter du gaz de la France vers l’Allemagne suppose toutefois de répondre à la question réglementaire et technique de l’odorisation », souligne Alexandre Martin, responsable de la prospective et de la régulation stratégique, chez Teréga, l’un des deux gestionnaires du réseau gazier en France. « En effet, le gaz en France est odorisé au niveau du transporteur, ce qui n’est pas le cas en Allemagne. Il y a donc une différence de qualité du gaz au niveau des réseaux de transport. Quand on envoie du gaz depuis l’Allemagne vers la France, on rajoute du produit pour l’odoriser. Dans le sens inverse, il faut pouvoir le désodoriser. Des stations de désodorisation existent donc ce n’est pas infaisable, mais il faut être vigilant », explique-t-il. Aujourd’hui, le gouvernement français ne communique pas sur les volumes de gaz qui pourraient être envoyés vers l’Allemagne et éventuellement vers d’autres pays de l’Est. Toutefois, ces volumes devraient être relativement limités en raison de facteurs purement physiques mais aussi du niveau de stockage du gaz français, lié au rythme des importations de GNL.

Des volumes limités

Aujourd’hui Il entend ainsi aller au-delà de l’obligation prévue par la loi française

Organiser la solidarité européenne

« Lorsque l’Allemagne demandera de mettre en place ces flux, nous le ferons, mais de manière concertée », précise-t-on encore au sein du ministère de la Transition énergétique. Cette réponse coordonnée n’est, aujourd’hui, pas encore définie. Elle fait justement l’objet d’un intense travail auprès de la Commission européenne qui doit présenter un plan d’urgence le 20 juillet prochain. En effet, en cas de pénurie de gaz, l’accord conclu entre les Européens ne spécifie pas selon quelles règles les États membres pourront puiser dans leurs réserves. Or, Bruxelles doit s’assurer que les Vingt-Sept ne puisent pas dans les réserves de gaz de manière désordonnée, pour qu’aucun pays ne soit lésé. Certains membres du Parlement européen appellent ainsi à la mise en place de règles contraignantes. Un règlement européen sur la sécurité d’approvisionnement en gaz, datant de 2017, instaure déjà un mécanisme de solidarité entre Etats membres. Celui-ci oblige un Etat à réduire son approvisionnement local pour venir en aide à un pays avec lequel il est connecté, si ce pays en difficultés est dans l’incapacité de fournir en gaz « un client protégé ». Grossièrement, cela signifie que la France pourrait devoir renoncer à l’alimentation d’un site industriel pour pouvoir fournir du gaz à un hôpital allemand. « Mais ce mécanisme a été mis en place pour une situation d’urgence et très temporaire, et non pour une situation prolongée comme celle que nous pourrions connaître cet hiver », pointe Phuc-Vinh Nguyen, chercheur sur les politiques énergétiques européennes à l’institut Jacques Delors. Jusqu’à présent, ce mécanisme n’a jamais été mis en œuvre, souligne-t-on chez Teréga.

Éviter la récession

Toutefois, même en l’absence de règles contraignantes de solidarité européenne, la France a tout intérêt à venir en aide à l’Allemagne en lui livrant du gaz. En effet, l’industrie allemande, notamment celle de la chimie, est très consommatrice de gaz. Si elle devait être mise à l’arrêt en raison de rationnements imposés, cela plongerait l’Allemagne dans la récession. « Dans ce cas, la France n’échappera pas non plus à un recul de son PIB car l’Allemagne est le premier marché de l’Hexagone et vice-versa » », pointe Patrice Geoffron, directeur du centre de géopolitique de l’énergie et des matières premières de Paris-Dauphine.