La guerre est proche


quand le budget militaire chinois, désormais deuxième mondial, progresse à grande vitesse, ou que les états-majors des armées françaises bruissent de la « guerre de haute intensité ».Mais cette fois, Heisbourg pousse le curseur un cran plus loin en posant le coronavirus en accélérateur de l’histoire. La guerre entre grandes puissances ou entre puissances régionales est redevenue possible, à côté des guerres dites « asymétriques » de la seconde moitié du XXe siècle et des « forever wars », ces « guerres du peuple » et autres guérillas qui continuent de faire florès.

Ne pas céder face à la Chine

La pandémie a exacerbé les frictions entre les deux superpuissances de la planète, les Etats-Unis et la Chine. Cette confrontation politique et économique peut déboucher sur une guerre, directe ou indirecte, massive ou limitée. Même si, après le retrait précipité d’Afghanistan , l’opinion américaine souhaite que Joe Biden se concentre sur les problèmes intérieurs, un consensus national existe sur la nécessité de ne pas céder face à la Chine.

La guerre est proche

« Aucune fraction notable de la société ne souhaite une politique d’apaisement », affirme celui qui a présidé l’International Institute for Strategic Studies. Les milieux d’affaires, désormais sceptiques sur le « pactole chinois » après s’être fait dépouiller de leurs pépites technologiques, ne font plus exception.De son côté, l’empire du Milieu, qui n’a pas été une puissance expansionniste au cours des siècles récents, a retrouvé les moyens de l’être.

Il exprime avec de plus en plus de hargne son envie de revanche face à l’Occident.Au quotidien, une sorte d’infraguerre existe déjà, avec des cyberopérations de toutes sortes, à des fins de renseignement, d’entraînement, de rançonnement ou de sabotage. La guerre technologique sur les puces ou la 5G, avec l’affaire Huawei, pourrait provoquer des réactions plus classiquement militaires.

Sans parler du sort de Taïwan, qui constitue la cause de conflit la plus probable et la plus inquiétante puisque la réunification est une ardente obligation pour Xi Jinping.

Guerres du climat, climat de guerre

Les guerres du climat peuvent aussi être synonymes de climat de guerre  : voir la Chine continuer d’émettre massivement du CO2 quand l’Occident consent des sacrifices deviendra vite insupportable, et pas seulement pour le bon élève européen. Washington et Pékin n’ont jamais partagé les mêmes rêves mais, dit Heisbourg, « ils trouvaient le moyen de coucher dans le même lit géopolitique ».

Désormais, les deux pôles de puissance se considèrent comme voués à la confrontation. Et inutile d’espérer une nouvelle guerre froide  : le risque est qu’elle ne soit ni froide ni limitée à des moyens conventionnels.L’Europe, dont le non-recours à la force est le mode « par défaut » en matière de sécurité ressemble, dans ce contexte, à un herbivore dans un monde de carnassiers.

Le Covid a réinventé les frontières

Mais un bilan plus large et inquiétant doit aussi être tiré en termes de gouvernance, car la pandémie laisse dans son sillage un monde plus divisé et polarisé, dans lequel les facteurs de désordre et les égoïsmes se sont donné libre cours, exacerbant les instincts de conservation et les appétits prédateurs. Nous avons assisté à la réinvention des frontières, et même instauré des freins à la circulation des personnes à l’intérieur de la zone Schengen. Des pays démocratiques avant la pandémie ont vu leurs dirigeants profiter de l’occasion pour instaurer un état d’exception à durée illimitée (c’est le cas de la Hongrie qui pourrait devenir la première « coronadictature »).

L’auteur montre aussi, plus globalement, que la guerre se démocratise en se banalisant. Les conflits sont de moins en moins « asymétriques » quand les barrières à l’entrée s’abaissent, loi de Moore oblige  : une poignée de terroristes dotés d’un drone du commerce, d’un smartphone en guise de senseur-transmetteur, et d’un pain d’explosif, peuvent anéantir une cible majeure.

Conflits cybernétiques

Les cyberattaques se sont multipliées en 2020 (par quatre en France  !) et elles contribuent à l’accroissement du danger de guerre.

Avec le développement du distanciel, la préservation des réseaux permettant les réunions Zoom, Teams et consorts va devenir un enjeu réel dans les conflits cybernétiques.La mondialisation heureuse s’est terminée avec la crise de 2008. Mais ce qui se dessine avec la crise du Covid est encore plus lourd de risques de guerre ouverte.

En 1948, pour évoquer la confrontation Est-Ouest dans « Le Grand schisme », Raymond Aron parlait de « paix impossible, guerre improbable ». Il n’est pas certain que ce syllogisme rassurant soit toujours d’actualité.