Derrière les négociations sur l’emploi des seniors, se joue aussi la question de l’assurance


Lundi 8 avril au soir, les partenaires sociaux se sont donné quelques heures de plus pour tenter de parvenir à un délicat accord sur la question de l’emploi des seniors. Les discussions sur le « pacte de la vie au travail » pourraient durer jusqu’à tard ce mardi.L’enjeu est important pour tenter d’améliorer le faible taux d’emploi des seniors en France. Mais derrière ce dossier, se cache aussi celui de l’assurance chômage.Lire aussi : Difficile, la négociation sur l’emploi des seniors loin d’un accordEn septembre 2023, les partenaires sociaux avaient entamé leurs discussions pour définir les règles de la nouvelle convention, qui devait s’appliquer en principe à compter du début d’année 2024.Organisations représentatives des salariés et des employeurs étaient parvenues à un accord en novembre. Ne manquait plus que l’agrément d’Élisabeth Borne, à l’époque Première ministre. Problème : le document n’a semble-t-il pas répondu à ses attentes… Le gouvernement a argué qu’il avait exigé que soient revues les règles d’indemnisation des seniors au chômage. Pour mieux prendre en compte leurs plus grandes difficultés à reprendre un emploi, elles sont en effet plus favorables en matière de durée, que pour les plus jeunes. Mais le gouvernement y voit une forme de préretraites déguisées.Un flou sur l’issue possibleDans leur accord, les partenaires sociaux avaient trouvé la parade, en renvoyant justement ce volet à la future négociation sur l’emploi des seniors, considérant que cela devait plutôt être discuté dans un contexte d’aménagement des fins de carrière et de meilleure prise en compte de ces questions par les entreprises.Le 27 novembre, les services de la Première ministre ont indiqué que l’agrément de la convention d’assurance chômage serait différé. Et ont surpris, en sortant de leur chapeau un « décret de jointure », pour prolonger l’ensemble des règles actuelles. Et ce, jusqu’au 30 juin 2024 au plus tard.Lire aussi : Assurance chômage : des négociations sous contraintes démarrentLes négociations sur l’emploi des seniors, nous y sommes justement. Alors que se passera-t-il ensuite ?En cas d’accord, une ultime négociation sur l’assurance chômage est prévue dans les locaux de l’Unedic dès ce mercredi 10 avril. Objectif : signer un avenant sur la partie assurance chômage des seniors. Il serait dans ce cas envoyé dans la foulée au Premier ministre pour agrément.À défaut d’accord, il faudrait répondre à une situation inédite, d’où un certain flou. En toute logique, le gouvernement pourrait sans doute décider de ne jamais agréer l’accord qu’avaient pourtant trouvé les partenaires sociaux. Et de revoir les règles par décret. C’est ce qu’on appelle un « régime de carence », sur lequel il s’est déjà appuyé en 2019 pour reprendre la main.Un billard à trois bandesN’est-ce pas d’ailleurs l’objectif ? « Je considère que l’État devrait reprendre la main sur l’assurance chômage de façon définitive », déclarait sans ambages Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, dans Le Monde début mars.Le président de la République lui non plus, n’a jamais été un grand partisan du paritarisme sur ce type de sujets. Dès sa candidature en 2017, Emmanuel Macron annonçait vouloir retirer la gouvernance de l’Unédic aux partenaires sociaux. « Je souhaite que nous arrêtions [l’] hypocrisie et créions, comme on l’a fait pour l’Assurance maladie, une assurance chômage universelle financée par l’impôt et pilotée par l’État, en lien avec les partenaires sociaux », défendait-il dans les colonnes du Parisien.Depuis, des jalons ont été posés. Outre des documents de cadrage des négociations très contraignants, le gouvernement a aussi supprimé en 2019 la part salariale des cotisations chômage, la compensant par une hausse de la CSG, prélevée sur les revenus. Une part de cette CSG étant ensuite affectée à l’Unedic. Cela permet à l’État de considérer qu’il participe désormais au financement de l’assurance chômage.Remise en question du paritarismeÀ vouloir aller trop loin, cela pourrait-il toutefois finir par coincer ? Les partenaires sociaux, et nombre de représentants politiques, s’inquiètent de cette remise en cause du paritarisme. Ce pilier de notre système social, hérité de l’esprit du Conseil national de la résistance, après la Seconde guerre mondiale. L’Unedic a été créée en décembre 1958, par les partenaires sociaux sous l’impulsion du Général de Gaulle. Depuis plus de 65 ans, ce sont donc eux qui pilotent le régime.Mais l’État semble aussi lorgner les excédents de l’Unedic (comme sur ceux du 1 % Logement ou des retraites complémentaires de l’Agirc-Arrco). Selon les dernières projections, et bien que revus à la baisse compte tenu du contexte économique, ils seraient de 1,1 milliard d’euros en 2024, 3 milliards en 2025, 5,3 milliards en 2026, et 11,2 milliards en 2027. « La trajectoire financière du régime est positive, mais avec un solde inférieur à la dernière prévision, indiquait en février 2024 Jean-Eudes Tesson, président de l’Unedic. C’est en partie lié à la conjoncture économique, mais surtout aux prélèvements de l’État qui amputent notre capacité à rembourser notre dette (celle-ci devrait atteindre 58 milliards en 2024, mais elle avait été fortement grevée par la crise du Covid-19 et les mesures d’urgence prises à hauteur de plus de 18 milliards, N.D.L.R.) ». Une non-compensation partielle des exonérations de cotisations (plus de 12 milliards en moins pour la période 2023-2026) a en effet été instaurée par la dernière loi de financement de la Sécurité sociale. La dette devrait descendre à 38,6 milliards en 2027. « Sans les prélèvements de 12,05 milliards d’euros jusqu’en 2026, la dette aurait été de 25,5 milliards en 2027 », indiquait alors l’Unedic. Une négociation pour rien ?Quoi qu’il en soit, même en cas d’accord des partenaires sociaux et d’avenant sur l’indemnisation des seniors, les mesures prises pourraient être très vite obsolètes. Car même s’il a déjà réformé l’Assurance chômage en 2019, puis en 2023 en mettant en œuvre la « contracyclicité » des règles (la logique était qu’elles soient plus dures quand le chômage baisse, plus protectrices quand il augmente), Gabriel Attal a annoncé qu’il voulait un nouveau tour de vis cette année… Alors même que le chômage remonte. Il a évoqué une nouvelle lettre de cadrage d’ici à l’été… Pour une entrée en vigueur dès l’automne. Ce qui a fait grincer des dents même au sein de la majorité. Aline GÉRARD.