"L'histoire de la Brise de mer n'est pas que du fait divers"


Le réalisateur vendéen Franck Guérin signe, en quatre épisodes, un documentaire qui constitue une véritable saga du gang criminel corse. Après la diffusion du premier volet, vendredi dernier, sur Canal+, il répond à nos questions, pour raconter trois années de travail.

Sans être un spécialiste, ni de la Corse, ni du grand banditisme, comment un réalisateur en arrive-t-il à une telle immersion dans l’histoire de la Brise de mer ?

L’idée a été lancée par Patrick Spica Production, puis proposée à Canal+ qui m’a ensuite contacté. Le sujet m’a immédiatement séduit même si je ne le connaissais pas du tout. C’est pourquoi j’ai vraiment pris le temps de me documenter avant de me lancer dans cette réalisation.

Qu’est-ce qui vous a intéressé au point de proposer un véritable feuilleton ?

J’ai très vite compris que l’histoire de ce gang n’était pas seulement du fait divers. Cette histoire revêt aussi une dimension culturelle, sociologique, et le vrai défi, c’était de raconter cette histoire sur une période de 30 ans, de l’avènement à la chute. L’idée, c’était d’appuyer mon travail sur un travail d’enquête solide, et en même temps de raconter une histoire. C’est à ce niveau-là que ma démarche se démarque de tout ce qui a pu être fait sur ce sujet. Raconter l’histoire comme une épopée. Ce qui n’a rien de facile, car survoler trente années, c’est faire des choix, c’est l’impossibilité d’être exhaustif, mais en même temps s’efforcer de raconter avec la plus grande acuité.

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des journalistes sans lesquels cette histoire n’aurait jamais été connue. Mais on ne pouvait faire l’économie des rencontres avec les voyous. J’ai d’ailleurs appris à cette occasion que le mot n’était pas péjoratif pour les intéressés eux-mêmes. La parole de ceux qui s’expriment dans le film est absolument essentielle, mais tout ce qui m’a été dit et qui n’a pas été enregistré pour l’image a aussi son importance. Ce « off » m’a servi énormément à comprendre les choses et à mieux raconter cette histoire. Comme le temps que j’ai passé en Corse avec les amis que je connaissais déjà, le temps passé dans des soirées jusqu’au bout de la nuit.

Vous êtes-vous heurté à des refus, voire à l’hostilité de ceux qui ne comprenaient pas votre démarche ?

Des refus, oui, pas vraiment d’hostilité, à l’exception de quelques sous-entendus de la part de quelques intermédiaires qui avaient quelques craintes. Quelques espoirs ont été déçus et douchés lors de certaines prises de contact.

« Omertà », pourquoi ce titre ?

L’omertà, c’est le silence qu’on a imposé à une population pendant des années, c’est aussi le silence que l’on voudrait conserver autour de ces affaires-là. Au-delà de ceux qui témoignent, j’ai rencontré aussi des voyous très proches de la Brise de mer. Ils ne sont pas dans le film, mais j’ai l’impression qu’ils assument plus que les autres, leur histoire, d’avoir été ce qu’ils ont été. Et s’ils n’ont pas voulu parler, c’est parce que ça ne correspond pas à ce qu’ils sont, à leur « culture ». En revanche, ça ne veut pas dire qu’ils ne m’ont rien dit. J’ai d’ailleurs exploité beaucoup de choses, d’où la précision dans l’évocation de certains épisodes. D’autres rencontres ont été importantes, avec des gens qui ne sont pas de ce milieu mais qui, comme beaucoup de Corses, par capillarité, ont eu affaire à cette histoire.

En vous lançant dans la réalisation de ce documentaire, vous attendiez-vous à découvrir tout ce que vous avez découvert ?

Je ne pensais pas que c’était aussi riche, aussi shakespearien. Dans le troisième épisode, on parle quand même des services secrets français. Sur des aspects plus connus, on propose des versions un peu différentes. Vous savez, la vie des grands voyous, ces hommes que les flics appellent « les beaux mecs », ce sont quand même des vies hors norme. Si on s’intéresse à ces vies, sans se mentir, c’est parce qu’elles exercent sur nous une forme de fascination, qu’elles nous passionnent. Ce ne sont pas non plus seulement des histoires de voyous parce qu’elles traversent l’histoire de la Corse.

Canal+ a décidé d’offrir le premier épisode du documentaire en autorisant sa diffusion sur YouTube.