la visite du pape, une étape essentielle dans un chemin de réconciliation nationale  ?


Professeur d’anthropologie à l’université de Saint Boniface, à Winnipeg, plus grande ville autochtone du Canada (12 % de ses 680 000 habitants), Denis Gagnon a toujours été conscient des cicatrices béantes qu’a laissées le passé colonial de son pays. Pourtant, le discours du pape à Maskwacis le 25 juillet, dans lequel François demande pardon pour le rôle joué par l’Église catholique dans l’administration des pensionnats pour autochtones, lui a fait l’effet d’un coup de poing.

« C’est en écoutant le pape que j’ai réalisé. Comme si j’avais toujours eu une résistance à comprendre la gravité de ce qu’il s’était passé, parce que c’était ma propre histoire. L’entendre dans la bouche d’un autre m’a fait réaliser de manière viscérale l’horreur de ces événements qui ont marqué notre pays », explique le professeur spécialiste de l’identité métisse et des religions amérindiennes.

la visite du pape, une étape essentielle dans un chemin de réconciliation nationale  ?

Triple demande de pardon

Le 25 juillet, depuis Maskwacis, réserve autochtone située à une centaine de kilomètres d’Edmonton et première étape de son voyage canadien, le pape François a fait une triple demande de pardon. « Pardon », pour la manière dont « malheureusement, de nombreux chrétiens ont soutenu la mentalité colonisatrice des puissances qui ont opprimé les peuples autochtones ».

« Pardon », ensuite, « pour la manière dont de nombreux membres de l’Église et des communautés religieuses ont coopéré, même à travers l’indifférence, à ces projets de destruction culturelle et d’assimilation forcée » menée par « les gouvernements de l’époque ». « Pardon », enfin, de manière plus large, « pour le mal commis par de nombreux chrétiens contre les peuples autochtones ».

Dans son discours, le pape a dénoncé le génocide culturel mené contre les populations indigènes par le gouvernement canadien et l’Église, mettant l’accent sur le système des « écoles résidentielles » à travers lequel « vos langues et vos cultures ont été dénigrées et supprimées ». Le pape a également dénoncé les « abus physiques et verbaux, psychologiques et spirituels », subis par les enfants qui y étaient pensionnaires. « Je connais les souffrances et les traumatismes », a souligné François.

Le dernier pensionnat ferme ses portes en 1996

Au Canada où les autochtones sont estimés à 1,67 million (soit 4,9 % de la population), le drame des pensionnats fait encore partie de l’histoire récente. De 1831 à 1996, ils sont environ 150 000 enfants autochtones à être passés par des établissements administrés par des congrégations religieuses, le but étant de les couper de leurs croyances, langues et traditions pour les faire adopter un mode de vie eurocanadien.

« Le dernier pensionnat a fermé en 1996, mais ils ont commencé à fermer massivement dès 1969 », explique Jean-François Roussel, professeur à l’université de Montréal spécialiste de la réconciliation dans le contexte canadien. La première déflagration intervient en 1990 quand Phil Fontaine, un des chefs des Premières Nations de la province de Manitoba, évoque dans une interview les abus physiques et sexuels dont il a été victime enfant au pensionnat de Fort Alexander, au nord-est de Winnipeg.

« En 2008, un historien autochtone avait publié un livre sur les pensionnats, et j’avais proposé d’engager un dialogue entre autochtones et allochtones sur ce sujet, car beaucoup de ces derniers n’avaient pas connaissance de la réalité des pensionnats, se souvient Jean-François Roussel. Il m’a répondu que les autochtones commençaient tout juste à en parler entre eux, car les enfants avaient été conditionnés à taire ce qu’ils vivaient en pensionnat, lorsqu’ils voyaient leurs familles dans les parloirs, avec l’obligation de parler français. »

Un trauma récent

Avec la libération de la parole vient la démarche de réconciliation. À la suite des révélations de Phil Fontaine, le gouvernement et les Églises sont interpellés. L’Église unie du Canada (responsable d’une quinzaine de pensionnats), les Églises anglicanes (une trentaine) et presbytérienne (une quinzaine) présentent leurs excuses pour leur rôle dans l’affaire des pensionnats. Côté catholique, la congrégation des Oblats de Marie Immaculée, responsable de la gestion du pensionnat autochtone de Marieval, présente ses excuses.

« La conférence des évêques catholiques du Canada avait alors refusé de présenter ses excuses, au motif que la gestion des pensionnats revenait à des communautés religieuses et pas aux diocèses », rappelle Jean-François Roussel. Au plus fort de la période des pensionnats, en 1930, l’Église catholique administre pourtant les trois cinquièmes de ces établissements, contre un quart pour l’Église anglicane tandis que l’Église unie et les presbytériens se partagent le reste.

L’année suivante est mise en place une Commission Vérité et Réconciliation qui formule 94 recommandations dont… les excuses du pape. Dans ce geste, beaucoup espèrent qu’un processus national sera enclenché pour sensibiliser l’opinion publique à l’horreur des pensionnats, provoquer une prise de conscience.

ça faisait exploser le nombre de victimes. » Le chercheur évoque un choc en forme de réveil d’un trauma collectif, « même si ce n’était pas vraiment un réveil parce que le syndrome post-traumatique ne s’arrête jamais, il revient sans cesse ».

La visite du pape, organisation colonialiste ?

tenus en marge de la préparation de la visite. Cette façon de penser reste colonialiste  ! »

Tandis que certains dénoncent le fait que le pape ait demandé pardon pour certains chrétiens et membres de congrégations au lieu de demander pardon au nom de l’Église comme institution, le professeur de l’université de Montréal souligne tout de même un progrès chez ce pape par rapport à ses prédécesseurs. « Quand François est allé en Bolivie pour demander pardon pour les actions de l’Église lors de la colonisation, il le faisait au nom de certains catholiques, tout en étant lui-même chef de l’institution. »

Demander pardon ou présenter ses excuses ?

Sur ce point Denis Gagnon n’est pas d’accord. « La demande de pardon laisse la liberté aux autochtones de l’accepter ou pas. Certains veulent aller au bout des choses, demander des excuses plus complètes, d’autres veulent tourner la page. Cela va se faire individuellement. Chaque personne pourra décider dans son cœur et sa conscience si elle pardonne. Cela n’efface pas ce qu’il s’est passé, mais attise la haine et le désir de revanche. »

La venue et les excuses du pape ne sont qu’une étape d’un long processus, entamé il y a seulement une trentaine d’années et qui prendra du temps pour plonger au fond de l’histoire, faire jaillir la douleur et reconstruire la confiance. « Il ne faudrait pas que la réconciliation reste une politique de distraction, prévient Jean-François Roussel. Un projet de réconciliation nationale passera par une réflexion sur le racisme, le colonialisme, les inégalités économiques, le fait de rendre les archives (où figurent les noms des enfants morts anonymement, ndlr) disponibles, de payer les compensations financières, de rendre les artefacts autochtones exposés aux musées du Vatican. C’est comme ça que se construira la confiance. »