« L’affaire Emile Louis aurait avancé beaucoup plus vite, avec une cellule Cold Case » selon Me Corinne Herrmann


Un pôle judiciaire « Cold Case » va enfin voir le jour en France. L’avocate Corinne Herrmann, qui a beaucoup travaillé sur l’affaire des disparues de l’Yonne, réclamait depuis vingt ans la création d’une telle juridiction. Entretien.

France Bleu Auxerre : La création de cette juridiction nationale pour les affaires non résolues, qu’est-ce que ça va changer exactement ? 

ça va probablement changer notre pratique au quotidien avec le juge d’instruction en ce qui concerne les affaires d’homicide qui sont non résolues ou qui traînent. Ça va permettre aux trois juges de cette juridiction d’avoir une pratique spécialisée puisque ces juges seront dégagés de tout le courant traité par les cabinets des juges d’instruction. Ils ne font plus que de l’homicide, les viols et les affaires d’enlèvement, séquestration ou de disparition. Donc, ils vont évidemment,  développer des spécialités et être beaucoup plus efficaces et plus rapidement efficaces dans ces affaires. Et ils seront dégagés. Ils auront un temps, ils seront dégagés. Je dirais qu’ils ont dégagé des autres affaires de traitement des détenus, du traitement d’autres types de délinquance et du coup, ce temps qui sera dégagé pour le consacrer totalement à ses dossiers. 
à lire aussi
Cold cases : « des magistrats spécialisés auront le temps de recevoir les familles »

Comment vous expliquez qu’on n’ait pas créé une telle juridiction plus tôt? 

Je ne l’explique pas. On a bataillé pendant vingt ans. Moi, je, je pense à cette juridiction depuis l’affaire Emile Louis parce que ça semblait s’imposer déjà dans ce dossier, parce qu’il y avait beaucoup d’affaires non résolues dans l’Yonne. Ça justifiait qu’on ait des juges spécialisés. Mais je ne sais pas répondre à cette question. C’est une volonté politique que nous avons rencontré, un garde des Sceaux qui avait la volonté de faire des choses. Peut-être que les affaires aussi qui ont été résolues, ou  le parcours de Michel Fourniret sur l’ensemble de la France et  l’affaire Estelle Mouzin qui a montré toutes les déficiences et les dysfonctionnements de la justice et de ces magistrats qui finalement, n’arrivent pas à traiter ces grandes affaires :  Tout ça, a peut être décidé le garde des Sceaux. 

Y a t-il eu des affaires que vous avez traitées dans l’Yonne qui auraient avancé plus vite si une telle cellule avait existé? 

Ah oui, l’affaire Emile Louis, qui est l’affaire historique pour moi puisque j’ai commencé sur cette affaire, aurait avancé beaucoup plus vite et beaucoup plus facilement puisqu’il a fallu convaincre le juge, lequel juge avait refusé d’instruire cette affaire. 
Il a fallu faire appel. Aller devant la chambre d’accusation à Paris puisqu’à l’époque, c’était la chambre d’accusation. Ce sont des années de perdu sur l’enquête. Il y a d’autres affaires, comme l’affaire de la mort de Christian Jambert, qui est une affaire qui aurait mérité un regard différent. Il y a beaucoup d’autres affaires, comme l’affaire Joanna Parrish, qui a été retrouvée en 90 dans l’Yonne. L’affaire Domece, l’affaire Isabelle Laville.. Toutes ces affaires-là, aurait été regardées peut être d’un autre œil. Et peut-être qu’on aurait pu finalement interrompre la route de Michel Fourniret à l’époque. 
à réécouter
Comment une affaire classée à Nargis a forgé le combat de l’avocate Corinne Herrmann sur les cold cases

L’affaire de l’inconnu de Mont-Saint-Sulpice par exemple, cette jeune femme retrouvée morte en 1997 sans qu’on puisse l’identifier. Est-ce une affaire susceptible d’être traitée par cette cellule de cold case? 

C’est  très particulier parce que l’affaire de Saint-Sulpice, c’est un corps non identifié. Avec Didier Seban, on s’est intéressé à cette affaire. C’est compliqué pour que les juges se saisissent de ce type d’affaire puisque, en fait, ils ne s’intéresseront à ces corps non identifiés que quand ils travailleront sur des disparitions ou au parcours d’un tueur en série puisque maintenant, ils sont autorisés à le faire. C’est ce qui a été fait d’ailleurs dans le cadre de l’affaire Michel Fourniret, où le juge d’instruction de Paris s’est intéressé aux corps non identifiés dans la région d’Auxerre.  Par exemple dans l’affaire Marie-Angel Domece,  Michel Fourniret et Monique Olivier ont fait des aveux mais on n’a pas retrouvé le corps. Dans ce cadre-là, ils pourront s’intéresser à ce corps non identifié, mais je crains qu’il ne soit pas saisi directement quand il y aura une découverte de corps non identifiés. Ils ne le seront qu’à travers d’autres affaires. 

Il y a 200 dossiers non résolus par an en France. J’imagine qu’avec trois juges, on ne peut pas espérer que tous soient traités ?

Oui, il y a beaucoup de dossiers. Ça va être une question de stratégie de l’information. Il y a des dossiers qui nécessitent d’être sauvés, qui sont totalement à l’abandon, qui ne sont pas bien traités et qui ne peuvent pas aboutir. Il va falloir évidemment sauver ces dossiers en priorité. Il y aura des dossiers qui, par contre, sont bien suivis, où l’enquête avance bien. Dans ce cas,  ce serait troubler l’enquête et perdre du temps et peut être faire perdre une chance de résolution que d’envoyer le dossier au pôle puisqu’il y aura un temps d’adaptation des juges. Pendant ce temps-là, l’enquête sera arrêtée. Nous nous traitons 80 dossiers criminels non résolus au cabinet. Bien évidemment, nous n’allons pas envoyer les. 80 dossiers au pôle. Tous les dossiers ne sont pas appelés à monter au pôle.