L'architecte des Bâtiments de France, à propos de Thiers : "C’est par la qualité des restaurations qu’on arrive ...


Régis Delubac, architecte urbaniste de l’État, architecte des Bâtiments de France (ABF), chef de service de l’Unité départementale de l’architecture et du patrimoine du Puy-de-Dôme, répond à nos questions.Régis Delubac, architecte des Bâtiments de France.

Qu’est-ce qui différencie architecturalement la ville de Thiers des autres villes ?

La caractéristique première, c’est que c’est une ville construite sur une colline à flanc de coteaux avec des immeubles qui ont des gabarits imposants, des R+2, +3.

On n’est pas du tout sur de la petite maison. Il y a aussi une suite de remparts qui est assez importante, et tous les bâtiments qui vont se construire jusqu’au XIXe siècle, vont rester dans l’architecture dictée par ces remparts.

Après, c’est une ville qui a été très importante au niveau industriel, ce qui fait que parmi ces bâtiments médiévaux et Renaissance, on identifie très vite des quartiers plus bourgeois que d’autres.

Rue Conchette, il y a une suite d’hôtels XVIIIe, on voit que c’était un quartier privilégié. Au cours de la période industrielle, XIXe, de grosses maisons bourgeoises vont se construire, souvent des résidences de couteliers, soit en périphérie immédiate de ces fortifications, qui restent quand même l’hypercentre actuel, soit en restauration ou en complément de certains gros hôtels particuliers.

Archi fan de Thiers, notre série d’été sur l’architecture : « Ce n’est pas un centre historique anodin, on est sur du très beau »

Enfin, l’habitat issu du Moyen Âge va lui-même potentiellement faire l’objet de surélévation ou d’extension sur les arrières, côté vallée par exemple, sur lesquels vont se greffer des ateliers.

Et ça, ce sont des caractéristiques que vous ne trouvez pas dans d’autres villes  : cette sédimentation entre des hôtels médiévaux ou Renaissance et le doublement d’activité d’ateliers qui va venir en complément à ces bâtiments.

On a vraiment cette triple lecture  : une topographie très marquée, une adaptation du bâti aux différentes extensions fortifiées de la ville et après l’ajout, sur ces bâtiments existants, de petits ateliers liés à l’activité coutelière notamment. C’est vraiment ça, la caractéristique de Thiers, avec un usage très important du pan de bois.

Qu’est-ce qui a motivé le placement de Thiers en « Site patrimonial remarquable » géré par un Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) ?

C’est un ensemble. Il y a une très grande densité de bâtiments à très forte valeur patrimoniale dans le centre de Thiers et l’outil du PSMV est fait pour les restaurer et les valoriser. Le PSMV concerne des quartiers de haute valeur patrimoniale où il y a une très grande concentration d’architectures de toutes époques confondues.

En général on est quand même sur la période médiévale, rarement antérieure, avec une densité très forte et une qualité réelle. Thiers, ce n’est pas un centre historique anodin, on est sur du très beau. Dès qu’on rentre dans les bâtiments, on le voit sur les intérieurs  : boiseries, cheminées, parquets, gypseries… Ça a été une ville très riche au Moyen Âge, c’est évident.

Les choses qu’on voit tous les jours, on ne se rend pas compte de leur rareté et de leur intérêt. À l’échelle de la région AuRa, il y a un enjeu très fort en termes de communication et de tourisme.

Comment évaluer la valeur d’un bâtiment ?

Le PSMV délimite un périmètre à l’intérieur duquel s’applique un règlement qui va être affiné en fonction de la qualité de l’édifice.

Les bâtiments de 1re catégorie ont une très haute valeur patrimoniale, nous avons une vigilance sur l’intérieur et l’extérieur. La seconde catégorie, ce sont des bâtiments qui ont une forte valeur patrimoniale mais on va se limiter aux aspects extérieurs. Après, il y a les bâtiments « d’accompagnement », qui n’ont pas une architecture très singulière mais dont le positionnement et la cohérence font que l’espace public fonctionne bien.

Et il y a aussi des Monuments historiques.

Tous les articles de cette série seront à retrouver sur ce lien

Pour la 1re catégorie, on demande par exemple à conserver les parquets, boiseries, cheminées etc. Pour la deuxième, on peut accepter des modifications partielles d’une ouverture de fenêtre par exemple.

Pour les immeubles d’accompagnement on peut, peut-être, accepter une surélévation, une extension.

Le but du jeu au final, c’est d’avoir des bâtiments restaurés dans les règles de l’art, qui permettent d’avoir une ville très attractive et qualitative.

Comment concilie-t-on protection de ce patrimoine et volonté de revitalisation ?

Nous avons tout intérêt à ce qu’un centre ancien soit vivant et restauré mais par contre, il faut qu’il soit bien restauré.

Un centre ancien mal restauré, il n’y a aucun intérêt à aller y habiter. Vous allez vous retrouver avec des fenêtres en PVC, des volets roulants, des voitures partout, des hangars en parpaings, vous ne ferez venir personne.

En revanche, un immeuble correctement restauré trouve toujours preneur.

Si on veut que les gens aient envie d’habiter dans un centre ancien, il faut de la valeur patrimoniale, de belles façades, des restaurations qualitatives.

En Italie, les centres historiques sont superbes et ils sont habités. En Espagne et au Portugal aussi.

Un centre ancien n’est pas voué à disparaître. C’est bien toute l’erreur qui a été faite dans les années 1960, où l’on pensait que les centres anciens “ce sont des coupe-gorges, des cloaques, qu’il faut les raser et construire une nouvelle urbanité avec des tours et des barres, où les gens peuvent venir en voiture et tout le monde sera plus heureux”. Cinquante ans après, on se retrouve avec des quartiers à rénover, détruits, avec des barres qui n’ont aucun intérêt, et où les gens n’ont pas envie d’habiter.

A contrario, à Troyes par exemple, un Site patrimonial remarquable, il n’y a pas de problème de vacance, c’est super bien restauré, on a envie d’y vivre. Donc il n’y a pas d’opposition. Il faut que ce soit fait avec intelligence et finesse.

Un jour à la Pamparina, je marchais dans la rue et j’ai entendu deux jeunes filles qui disaient  : “C’est vachement beau, ça doit être génial d’habiter là.” Elles avaient 16-17 ans.

C’est bien la preuve que c’est par la qualité des restaurations qu’on arrive à attirer de la population.

Je suis très optimiste sur l’avenir des centres anciens. Mais il ne faut pas perdre de vue l’exigence.

Propos recueillis par Alice Chevrier

.