Larry Fink veut sauver le monde (et s’enrichir au passage)


L’intéressé pas moi. »

La place qu’occupe Larry Fink reflète une évolution du monde de la finance, de moins en moins intéressé par la sélection active et de plus en plus séduit par la gestion passive, une lame de fond qui a aussi bouleversé la dynamique des conseils d’administration, où les gérants comme BlackRock sont de plus en plus puissants

Larry Fink veut sauver le monde (et s’enrichir au passage)

En 2020, Larry Fink avait annoncé que son groupe s’opposerait de plus en plus aux conseils d’administration et aux entreprises qui communiqueraient sur leurs risques climatiques avec des méthodes que BlackRock n’approuve pas.Il milite aussi pour que les entreprises soient plus bavardes sur les conséquences sociales de leur activité, notamment sur bien-être de leurs salariés. Pour lui, ce n’est rien de plus qu’une bonne manière de fonctionner  : les entreprises qui sont attentives aux besoins de leurs collaborateurs sont aussi celles qui protègent le mieux leurs investisseurs.

Des militants écologistes manifestant devant le siège de BlackRock, à New York, le 18 octobre.Erik McGregor/Sipa USA/SIPA/Erik McGregor/Sipa USA/SIPA

les célèbres ETF.La place qu’occupe Larry Fink reflète une évolution du monde de la finance, de moins en moins intéressé par la sélection active et de plus en plus séduit par la gestion passive, une lame de fond qui a aussi bouleversé la dynamique des conseils d’administration, où les gérants comme BlackRock sont de plus en plus puissants.C’est d’ailleurs à Larry Fink que les responsables politiques américains ont fait appel en période de crise  : en mars 2020, quand la pandémie a anéanti les places boursières, mais aussi vingt ans plus tôt, quand la faillite de Bear Stearns faisait trembler les marchés.« Les secrétaires au Trésor et les ministres des Finances changent, ils travaillent pour des gens qui peuvent les limoger du jour au lendemain et ils font ce que d’autres ont décidé qu’ils devaient faire, observe David Rubenstein, co-fondateur du fonds de capital-investissement Carlyle. Quand on dirige le plus grand gestionnaire d’actifs au monde, on n’a pas ce genre de problème. »La carrière de Larry Fink à Wall Street a débuté chez First Boston, où il dirigeait une équipe qui transformait des emprunts en produits financiers. Les investisseurs achetaient les composantes les plus sûres de cette innovation financière, et les plus risquées restaient au bilan de la banque.Quand les taux d’intérêt se sont effondrés en 1986, l’équipe a perdu 100 millions de dollars en trois mois et Larry Fink a dû prendre la porte.Deux ans plus tard, avec Rob Kapito, ex-trader en chef de First Boston, et six autres acolytes, il fondait BlackRock. Au départ simple gestionnaire obligataire, BlackRock a séduit les investisseurs en leur affirmant qu’il possédait la même technologie de gestion des risques que les grandes banques, mais sans les conflits d’intérêts puisqu’il n’investissait pas son propre argent.En mars 2008, BlackRock a fait partie de ceux que la Fed a appelés à la rescousse pour gérer l’implosion de la bulle immobilière. Un dimanche, le président de la Fed de New York, Tim Geithner, et le secrétaire au Trésor, Hank Paulson, ont appelé Larry Fink pour lui demander de l’aide  : comment gérer la débâcle Bear Stearns avant l’ouverture des marchés asiatiques ? Ni une ni deux, l’homme a quitté son haras et foncé à New York.Les autorités voulaient alors que JPMorgan Chase absorbe Bear Stearns, mais s’inquiétaient du portefeuille de prêts de la banque, dont ils avaient du mal à estimer la valeur. Tim Geithner et Hank Paulson avaient demandé à Larry Fink si, selon lui, il y avait une chance qu’un financement de la Fed en faveur d’une entité qui reprendrait les actifs douteux de Bear Stearns fonctionne.Larry Fink leur avait répondu qu’à long terme, les contribuables américains ne perdraient pas d’argent. Décision avait donc été prise de transférer les actifs les plus mal en point dans une entité financée par la Fed pour que JPMorgan puisse absorber Bear Stearns sans problème. C’est BlackRock qui a choisi les actifs destinés à l’entité sous perfusion publique et supervisé la manœuvre. Au bout du compte, les contribuables américains ont gagné de l’argent.« Larry était l’homme idéal pour cette mission, se souvient Hank Paulson. Personne ne connaissait mieux le marché et BlackRock n’avait pas l’ombre d’un problème. »Un an plus tard, l’occasion s’est présentée de racheter l’activité de gestion d’actifs de Barclays. BlackRock avait déjà envisagé de le faire, mais cette fois-ci, c’était la bonne. En juin 2009, Larry Fink est devenu grand-père pour la première fois. Son petit-fils embrassé, il est reparti au bureau où, toute une nuit, il a remué ciel et terre pour lever les 3 milliards de dollars dont il avait besoin pour acheter Barclays Global Investors.

C’est en 2012 que BlackRock a publié la première « lettre de Larry Fink aux PDG », un texte devenu une lecture incontournable pour de nombreux patrons. Il s’en sert pour titiller les entreprises, les réprimander et les pousser à en dire davantage sur ce qu’elles font pour leurs salariés, l’environnement et la société tout entière

Avec cette acquisition Pour l’heure, elle erre quelque part dans un bureau de Washington.Larry Fink a longtemps eu la même routine  : arrivée à 6h tous les matins et deux semaines de déplacements par mois. Aujourd’hui, à 69 ans, il arrive plutôt vers 7h30, après une séance de sport avec son coach. Et souffre du dos après de longues années derrière un ordinateur.Le conseil d’administration et l’équipe dirigeante de BlackRock, dans le cadre de discussions sur la planification de la succession, ont récemment demandé à Larry Fink de rester PDG. Ce dernier a déclaré qu’il prévoyait de prendre sa retraite dans cinq ans au plus tard.

Avant la conférence de Glasgow de 2021, Larry Fink a demandé aux dirigeants d’entreprise de ne plus militer pour une taxation du carbone, arguant du fait que son coût serait prohibitif.Alastair Grant/AP/SIPA/Alastair Grant/AP/SIPA

Larry Fink a convoqué une réunion et ordonné à ses équipes de décrocher leur téléphone pour aller défendre BlackRock auprès des clients BlackRock avait répliqué en abaissant les frais facturés par plusieurs fonds

Quand des patrons l’appellent pour le flatter, le convaincre ou le menacer pour que BlackRock adopte telle ou telle stratégie sur la rémunération des dirigeants ou le climat, Larry Fink les transfère au service de relations avec les entreprises

Dans la panique« Je leur explique posément que ça n’est pas mon boulot », résume-t-il.Parmi les milliers de bulletins de vote déposés par BlackRock, certains ont eu des conséquences notables  : refonte du conseil d’administration de Toshiba, élection de trois administrateurs chez Exxon Mobil à l’issue d’un scrutin qui a révélé le mécontentement que suscite la stratégie climatique de la major pétrolière et refus de la rémunération envisagée pour les dirigeants d’AT&T.

Avant la conférence de Glasgow, Larry Fink a demandé à ses homologues du secteur financier de pousser les pouvoirs publics à proposer des dispositifs qui encouragent les investisseurs à financer les énergies alternatives

Selon le groupe Dans ses portefeuilles à gestion active une stratégie qui n’est pas sans rappeler celle qu’il avait proposée en 2008 pour Bear Stearns.Avant la conférence de Glasgow, Larry Fink a demandé à ses homologues du secteur financier de pousser les pouvoirs publics à proposer des dispositifs qui encouragent les investisseurs à financer les énergies alternatives. Il a demandé aux autres patrons de ne plus militer pour une taxation du carbone, arguant du fait que son coût serait prohibitif, ont rapporté des sources proches du dossier.Il a également pesé sur les débats autour des mesures à prendre pour que les secteurs de l’acier, de l’aérien, du pétrole et du gaz réduisent leurs émissions, ainsi que sur la façon de traiter les actifs qui, chemin faisant, n’auraient plus de valeur aux yeux de personne.« La société essaie parfois de pousser les entreprises à en faire davantage, même quand ce serait plutôt à l’Etat d’agir », regrette Evan Greenberg, directeur général de la compagnie d’assurances Chubb, qui s’est essayé à la pêche à la mouche avec Larry Fink.« Pour moi, Larry a choisi sa démarche en toute connaissance de cause, il ne la voit pas comme quelque chose qu’il était censé faire. »(Traduit à partir de la version originale en anglais par Marion Issard)